Psychologie, éducation & enseignement spécialisé
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Quelques commentaires au fil du Rapport Lachaud

 

 
Un texte de Daniel Calin


Le Rapport Lachaud  On peut lire le Rapport Lachaud ICI (format PDF, 1 227 Ko).

 

En exergue, un mot attribué à « Théo, 8 ans » :

« J’ai barré le mot intégration parce que je suis comme les autres. » (page 1)

Mettre en exergue un superbe déni du handicap parfaitement intériorisé par un enfant handicapé âgé de huit ans, on démarre très fort !

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« (...) faut-il proposer aux enfants handicapés un espace spécifique ou favoriser leur scolarisation avec les enfants ordinaires ?

Pour nous, la réponse ne fait aucun doute. Dans la très grande majorité des cas, la scolarisation en milieu ordinaire est la voie qui doit être privilégiée et de nombreuses expériences montrent que les écoles ayant choisi cette solution se félicitent de l’évolution de leurs élèves et de leur enrichisse­ment réciproque. » (page 3)

D’où vient que cette réponse ne fasse aucun doute ? Quelles études a-t-on faites pour en démontrer la pertinence ? Les « nombreuses expériences » évo­quées le sont de façon purement incantatoire : elles n’ont fait l’objet d’aucune évaluation, ni même d’aucune observation un tant soit peu structurée. Au mieux, on est dans le domaine de la pure croyance. Au pire, dans la validation a priori d’économies budgétaires substantielles.

L’évolution comparée des élèves en intégration en classe ordinaire, par rapport à ceux qui sont pris en charge dans les divers types de structures spécialisées, à handicaps comparables, mériterait à l’évidence d’être faite, et rigoureusement conduite. Malgré la vogue déjà ancienne des idéaux intégratifs, je n’ai jamais trouvé trace, ni en France, ni ailleurs, d’aucune étude de ce type. Faute d’une telle étude, toute affirmation sur les effets positifs de l’intégration sur l’évolution effective des enfants intégrés est littéralement infondée. Pour ma part, pour avoir vu fonctionner l’intégration à l’italienne, j’émets les plus grandes réserves quant à la réalité de ces effets positifs de l’intégration sur le devenir des enfants handicapés, toujours affirmés, mais jamais sérieusement étudiés. Ce que j’ai pu constater en France m’amène à des positions très nuancées et très prudentes : on peut effectivement voir parfois des évolutions positives spectaculaires, comme on peut voir parfois des effets franchement catastrophiques. Le plus souvent, on ne voit pas très bien.

Comme on évoque malgré tout seulement une « très grande majorité des cas » de bénéficiaires de l’intégration, quid de la minorité restante ? Critères ?

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« Ce choix génère plus qu’un « mieux vivre ensemble » : il permettra in fine aux adultes de demain de porter un regard nouveau sur le handicap. Changer les mentalités : voilà l’enjeu, l’impérieuse nécessité... » (page 3)

Hannah Arendt, dans La crise de la culture, faisait déjà remarquer que l’utilisation de l’éducation pour « changer l’homme » ou pour fabriquer un « homme nouveau » était typique de tous les totalitarismes. À méditer. Les bonnes intentions proclamées me font toujours froid dans le dos. Seigneur, préservez-nous des âmes charitables !

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« Il est temps de cesser de parler d’« intégration scolaire » car il n’est pas concevable qu’un individu ait besoin d’« intégrer » la communauté nationale sauf à en être étranger. Les enfants, les adolescents et les adultes handicapés appartiennent pleinement à notre communauté. » (page 4)

Sous l’apparence de l’évidence ou du bon sens, on voit là de nouveau à l’œuvre le déni du handicap. Qu’on le veuille ou non, le handicap crée un écart par rapport aux personnes non handicapées, un écart de fait, un écart fonction­nel, mais aussi un écart existentiel. C’est la définition même du handicap, et c’est ce qui en fait, toujours, une tragédie. Il faut une activité sociale visant spécifiquement à réduire cet écart, sinon il tendra à devenir fossé. Après tout, c’est bien une telle activité que ce rapport tend à proposer, non ? Ou serait-ce que ce rapport ne vise qu’à déconstruire ce qui existe en ce domaine ? Déni, ou aveu ?

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« Dans cet esprit, le ministère de l’Education nationale doit prendre en charge la déficience de l’enfant (au sens général du terme) avant de faire appel au ministère de la Santé afin d’évaluer l’état de santé de l’enfant. » (page 4)

Sous une apparence technique anodine, cette proposition est une des pièces de la logique du déni du handicap qui domine ce rapport. La déficience est bien une notion médicale, et non pas une notion pédagogique. Son approche doit bien demeurer prioritairement médicale, et non pas éducative. S’il faut remettre en cause nos actuelles commissions de l’éducation spéciale, qui sont des structures médico-éducatives en charge de l’attribution des aides rattachées au handicap, c’est en basculant cette charge vers une structure strictement médicale. Et non l’inverse. Quitte à ce qu’une structure médico-pédagogique soit ensuite en charge, exclusivement, de négocier la scolari­sation des enfants handicapés, en permettant de croiser les exigences médicales et les exigences pédagogiques, pour tenter de les accorder autant que faire se peut.

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« Concernant les « Commissions d’éducation spéciale ».
– Ouvrir ces commissions aux collectivités territoriales. » (page 5)

Absolument d’accord. Les principaux textes législatifs et réglementaires définissant ces commissions datent de 1975 et 1976, soit bien avant les lois décentralisatrices de Gaston Defferre. Ce sont donc des commissions préfecto­rales. C’était logique au moment de leur création, mais c’est devenu absurde dès 1982. Plus de 20 ans après, il serait temps effectivement d’adapter ces commissions à la « nouvelle » organisation du pouvoir politique !

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« – En changer l’appellation. » (page 5)

Réforme vitale, probablement.

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« – Confier la présidence des commissions départementales à une autorité indépendante. » (page 5)

Comme la Banque Centrale Européenne ? En bon républicain, je vois toujours une régression du contrôle démocratique dans cette manie ultra-libérale et anglo-saxonne (redondance ?) des « autorités indépendantes ». D’où tirent-elles donc une légitimité qui les exonéreraient du contrôle démocratique ?

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« – Abandonner le schéma de fonctionnement de l’enseignement spécialisé qui se traduit par la mise en places de filières. » (page 5, citation textuelle)

Question naïve : est-ce bien le schéma de fonctionnement de l’enseigne­ment spécialisé qui produit des filières, ou les besoins éducatifs spécifiques induits par les différents handicaps ? Va-t-on supprimer la filière de l’appren­tissage du braille, ou celle de l’apprentissage de la langue signée ?

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« – Affirmer la responsabilité des chefs d’établissements sur les modalités de fonctionnement des UPI, dans le respect des textes en vigueur. » (page 5)

Voilà qui va certes résoudre tous les problèmes. Ah le bon vieux capora­lisme à la française !

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« – Proposer des formations spécialisées diplômantes aux personnels du second degré. » (page 5)

D’accord, bien sûr, depuis le temps que tous les professionnels de l’enseignement spécialisé attendent cette ouverture ! Mais quelles for­mations ? Les formations au rabais que nous préparent la réforme annoncée du CAPSAIS ?

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« – Poursuivre la création de SESSAD et inciter les établissements spécialisés à inscrire l’aide à l’intégration scolaire dans leurs projets. » (page 5)

Oui, mais tout cela est déjà fait. L’aide à l’intégration scolaire doit être dans les projets des établissements spécialisés depuis la révision des annexes XXIV, donc depuis 1989. Pour ce qui est des SESSAD, noter que l’on se garde bien de donner des chiffres, par exemple des normes en termes d’emplois en rapport avec la population couverte.

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« Concernant les SESSAD. –<Donner un nom unique à ces services dans l’usage “scolaire”. Ce pourrait être « service d’accompagnement à la scolari­sation des élèves handicapés ». » (page 5)

C’est une bonne idée, et en plus ça ne coûte rien. Bravo !

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« Ne pas orienter en UPI un jeune handicapé ne bénéficiant pas d’accompagnement apporté par le secteur libéral ou par un service. En effet, s’il en a besoin, les difficultés surgiront rapidement ; s’il peut s’en passer, l’UPI deviendra un doublon de la SEGPA. » (page 6)

Tout à fait d’accord.

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« – Définir et préciser au maximum la mission et le rôle des AVS.
– Différencier le rôle des AVS de celui des intervenants des SESSAD. » (page 6)

Toujours d’accord, mais on s’étonnera que les textes réglementaires, qui viennent juste de sortir, n’aient pas songé à définir correctement le rôle de la nouvelle catégorie d’emplois qu’ils instituaient. On peut se demander au passage si c’est bien un oubli : les AVS ne pourraient-ils pas se substituer très avantageusement aux SESSAD ?

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« Chaque enseignant du premier ou du second degré devra participer à un module obligatoire de douze heures sur la scolarisation des élèves handicapés. » (page 6)

Douze heures ! C’est, brutalement, l’aveu de l’importance réellement attachée à la scolarisation des élèves handicapés. Il faut rappeler que le dernier programme de formation des instituteurs et institutrices dans les Écoles Normales prévoyait en ce domaine un module obligatoire de 48 heures. Clairement, l’évolution de la formation effective des enseignants à l’intégration scolaire des élèves handicapés suit une évolution inversement proportionnelle à l’inflation des bonnes intentions proclamées.

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« (...) les IUFM doivent apporter une formation minimale à tous les futurs enseignants. » (page 6)

Minimale est le mot juste !

Sur le fond, il est totalement illusoire de vouloir former tous les ensei­gnants aux problèmes complexes posés par la scolarisation des diverses caté­gories d’élèves handicapés. Un an de formation à temps plein suffit à peine à poser les bases du professionnalisme requis par l’enseignement aux élèves présentant un seul type de handicap. En quelques heures, on ne peut guère que donner quelques informations institutionnelles, utiles, et tartiner quelques discours généralistes, forcément idéologiques, donc dépourvus de toute utilité professionnelle, voire nocifs, vue la nature délirante des modes idéologiques actuelles.

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« Les formations CAPSAIS doivent poursuivre leur modernisation et s’ouvrir aux personnels du 2ème degré. » (page 6)

Au train où va cette modernisation, ces formations spécialisées finiront vite par devenir aussi symboliques que les 12 heures généreusement accor­dées aux enseignants non spécialisés !

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« Installer près les recteurs un « Conseiller pour la scolarisation des élèves handicapés ». » (page 6)

Tiens, un nouveau poste à prendre ! Ou un emploi fictif à distribuer aux copains des copains ? Plus sérieusement (?), comment seront-ils recrutés ? Parmi qui ? Avec quelles garanties de compétences ?

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« Séparer l’adaptation scolaire (classes d’adaptation et réseaux d’aides spécialisées) de la scolarisation des élèves handicapés. » (page 6)

Sur le principe, on ne peut qu’être d’accord. Nous avons en France, depuis la loi de 1909, une forte tradition de confusion en ces domaines. Mais, dans la réalité, c’est beaucoup plus compliqué. D’abord, on peut fortement soupçonner que cela va permettre de liquider en douceur toutes les aides aux élèves en grande difficulté scolaire, enfants de pauvres dont tout le monde au fond se contrefiche, et dont les parents ne sauront pas se faire entendre. Ensuite, parce que la confusion qu’on chasse par la porte est déjà rentrée par la fenêtre, tout du moins pour ce qui concerne les enfants de bonne famille. Un fils de pauvre en échec scolaire, c’est un inadapté, mais c’est normal. Un fils de riche en échec scolaire, c’est pas normal, donc c’est un dyslexique, donc un handicapé. La séparation logique évoquée ci-dessus a toutes les chances de se traduire dans les faits, au bout du compte, par une aggravation de la « fracture sociale » en milieu scolaire.

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« Confier à certains IEN l’organisation et la gestion des classes et structures particulières pour publics en difficulté de scolarisation. » (page 6)

La tendance récente, sous prétexte précisément d’intégration, est à une dilution générale des responsabilités. Effets catastrophiques assurés, évi­dem­ment, d’autant que les IEN n’ont la plupart du temps, disons, qu’une formation très incertaine en ces domaines. Même si je m’en réjouis, je m’étonne qu’un rapport ultra-intégratif par ailleurs en appelle à plus de raison en ce domaine. Dure, dure, la gestion des contradictions entre idéologie planante et réalisme administratif !

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« (...) les jeunes atteints de déficience motrice sont ceux qui ont le plus de difficulté à accéder à une scolarisation en milieu ordinaire. Pourtant leurs capacités cognitives ne sont généralement pas en cause. S’agit-il d’une image du handicap ? De structures d’accompagnement ? De problèmes architectu­raux ? » (pages 15-16)

Bel aveu d’ignorance. Si le rapporteur avait rencontré un seul vrai pro­fessionnel de la prise en charge des jeunes déficients moteurs, il aurait pu accéder à quelques éléments explicatifs, au lieu de se contenter de ce chapelet de questions sans réponse, systématiquement à côté de la plaque qui plus est.

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« La place des jeunes handicapés dans les structures ordinaires n’est pas encore un geste naturel. Notre société n’a pas encore atteint un état de développement qui lui permette d’accepter tous ses membres. » (page<18)

Cette phrase est une insulte faite à tous les professionnels qui travaillent dans les structures spécialisées, ainsi qu’aux parents qui choisissent ces struc­tures pour leur enfant. Comme si la prise en charge, d’ailleurs fort coûteuse, en structures spécialisées, n’était pas une des formes possibles et un des signes tangibles de l’acceptation de tous ses membres par une société ! Comme si le choix entre intégration en structure ordinaire et prise en charge en structure spécialisée avait quoi que ce soit à voir avec on ne sait trop quel « état de développement » ! Traduction en français courant de cette phrase nauséeuse : moins un handicapé coûte cher à la société, plus la société est développée.

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« L’intégration scolaire ne saurait être une obligation pour le jeune handicapé. Dans le domaine du handicap mental, il est fait part du souhait de voir une intégration précoce (école primaire) suivie d’une préparation à la vie de la Cité, qui pourrait être conduite dans le cadre des centres de formation pour apprentis spécialisés (CFAS). La scolarisation en collège et lycée ne paraît pas une étape nécessaire. » (page 23)

Affirmation faite dans le cadre de consultations d’associations concernées. Le rapporteur signifie sa surprise en ajoutant : « Cette inter­vention ne sera ni reprise, ni contredite. ». Comment est-ce possible ? Comment peut-on garder à notre époque si développée une approche si réaliste du handicap mental ?

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« La mission des IME doit évoluer. L’école “ordinaire” est le lieu d’accueil de tout enfant et adolescent. L’orientation en établissement spécialisé ne se justifie que par la nécessité de la présence permanente et effective d’un plateau technique. Nombre de jeunes handicapés ont leur place dans les CLIS et les UPI, avec l’accompagnement des SESSAD. » (page 26)

Nous y voilà : c’est coûteux, la présence permanente et effective d’un plateau technique ! Bien plus que des CLIS et UPI avec SESSAD épisodique, bien sûr ! Interprétation : les IME dilapident l’argent public. À bon entendeur salut.

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« (...) il apparaît, d’ores et déjà, que la présence d’un AVS devient la condition de l’intégration scolaire, quels que soient la nature et le niveau du handicap. Qu’un dispositif visant à faciliter l’intégration scolaire se trans­forme en condition serait une perversion. » (page 26)

Bien sûr ! Un AVS, c’est déjà pas très cher, mais pas d’AVS du tout, c’est encore moins cher. Et puis l’élève est tellement mieux intégré, sans AVS, tellement plus « comme les autres » !

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« Cependant l’enjeu est de passer d’une éducation spéciale ou spécialisée à une situation de droit commun. » (page 28)

On ne saurait être plus clair sur les finalités ultimes des réformes en cours. Mettre un élève handicapé en situation de droit commun, c’est dénier les besoins éducatifs spécifiques induits par son handicap. C’est de l’aban­donnisme éducatif.

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« L’IEN-AIS est un inspecteur de l’éducation nationale chargé de l’adaptation et de l’intégration scolaire. Sa mission a été définie par une circulaire de 1961, aujourd’hui retirée du registre des lois et règlements. Mis à part dans la réalité quotidienne, son existence administrative reste encore à établir. » (page 117)

On ne saurait mieux dire à quel point la gestion administrative de l’enseignement spécialisé relève de l’improvisation et du plus pur arbitraire.

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« Reconnaître fonctionnellement la mission des IEN-AIS en créant auprès des inspecteurs d’académie un poste de conseiller technique, avec les attributs d’un tel emploi. » (page 118)

On se demande bien pourquoi cela n’a pas été fait de longue date. Le vrai problème est bien entendu de savoir d’où l’on va sortir ces conseillers techni­ques. Quelles garanties de compétence ? Quelle formation ?

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Le rapporteur s’étonne « que le ministère qui assume directement la mission de scolarisation des jeunes handicapés ne dispose d’aucune structure et donc d’aucune voix pour communiquer sur ce dossier sensible. Le ministère de l’éducation nationale gère une politique qu’il n’a pas le moyen d’énoncer. » Il propose de ce fait d’« installer près le ministre de l’éducation nationale un secrétariat d’Etat en charge de la scolarisation et de la formation des élèves en situation de handicap. » (page 120)

Comme il ne s’agit que de communiquer, nous voilà rassurés... Va-t-on, au bout du compte, remplacer les réalités institutionnelles et le travail effectif de l’enseignement spécialisé par une organisation hiérarchique de voix offi­cielles chargées de discourir sur le handicap à l’école ?

Daniel Calin
Octobre 2003


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