Psychologie, éducation & enseignement spécialisé
(Site créé et animé par Daniel Calin)

 

Comprendre la loi de février 2005
sur les droits des personnes handicapées

(Loi n° 2005-102 du 11 février 2005(1))

 

 
Un texte de Daniel Calin
 


Présentation de la loi par Daniel Calin  Voir aussi sur ce site une réflexion ultérieure de Daniel Calin sur la loi de 2005 et son application : 7 ans après la loi handicap de février 2005 : les réalités, les avancées, les manques.
Deux autres articles de Daniel Calin sur la scolarisation des élèves handicapés  Sur la scolarisation des élèves handicapés, voir deux autres textes de Daniel Calin : La problématique de la socialisation des enfants handicapés et L’accueil des enfants présentant un handicap.
Publication initiale  Ce texte de commande a été initialement publié dans le n° 29 de la revue enfances & PSY, Éditions Érès, décembre 2005, pages 189 à 200.
Publication originale  Il est maintenant disponible dans sa version originale sur le site CAIRN.INFO.

 

Sommaire

 
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La nouvelle loi sur les droits des personnes handicapées est un texte volumineux, d’une centaine d’articles, signé par vingt-deux ministres et secré­taires d’État. Comme toutes les lois depuis que l’ensemble des textes législatifs français a été codifié, elle prend la forme d’une succession de modifications, ajouts ou suppressions aux codes existants. La codification des lois présente certes l’avantage de limiter les risques de contradictions ou d’errements qu’induisait mécaniquement l’empilement historique des lois. Elle a cependant l’inconvénient d’éloigner encore plus la loi du citoyen, en rendant très problé­matique sa lisibilité.

C’est superlativement le cas ici. Les modifications introduites par la loi du 11 février 2005 touchent quinze codes, principalement le Code de l’action sociale et des familles, mais aussi, à des degrés divers, le Code de l’éducation, le Code de la santé publique, le Code de la sécurité sociale, le Code du travail, le Code de la construction et de l’habitation, le Code de l’urbanisme, le Code général des impôts, le Code civil, le Code électoral, le Code général des collectivités territoriales, le Code de procédure pénale, le Code des assurances et même le Code des marchés publics et le Code rural. En toute rigueur, il faudrait y ajouter un élément du Code des communes spécifique à Saint-Pierre-et-Miquelon !

De plus, ces mesures législatives appellent des dizaines de décrets d’application, non parus à ce jour(2), élaborés par l’ensemble des ministères et secrétariats d’État signataires, sans parler des arrêtés, circulaires et notes de service que ces décrets appelleront pour préciser leur propre application. C’est dire qu’actuellement, il est très difficile de se faire une idée des implications concrètes finales de cet ensemble complexe de décisions législatives. Si certains aspects de la loi sont relativement clairs et précis, d’autres sont particulière­ment ouverts ou vagues.

Je vais malgré tout tenter de dégager l’essentiel de cette loi, dans la mesure où l’on peut la déchiffrer actuellement, dans ses grandes lignes d’abord, puis en insistant sur ce qui concerne l’enfance et l’adolescence.

 

Les principes généraux de la loi

Cette loi propose d’abord, dans son article 2, pour la première fois dans l’histoire de la législation française, une définition du handicap qui mérite d’être citée ici in extenso : « Constitue un handicap, au sens de la présente loi, toute limitation d’activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d’une altération substantielle, durable ou définitive d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d’un polyhandi­cap ou d’un trouble de santé invalidant. »(3) Malgré son apparence limpide et raisonnable, cet article a fait l’objet de débats acharnés, au Parlement et dans les milieux associatifs. Il reste un des points les plus contestés de cette loi. C’est que la loi rompt ici avec la tendance conceptuelle qui s’était répandue depuis quelques années, y compris dans des textes réglementaires(4), à substi­tuer à la notion de personne handicapée la notion de personne en situation de handicap. La première, traditionnelle, inscrite désormais dans la loi, définit le handicap par une atteinte de la personne, importante et durable, dans l’une ou l’autre de ses capacités humaines essentielles. La seconde, issue du courant universitaire anglo-saxon des disabilities studies, met exclusivement l’accent sur les condi­tions environ­nementales du handicap : regard social porté sur les personnes handicapées, aménagements ou non des divers aspects de la vie sociale pour tenir compte des divers handicaps, etc. L’existence d’une dimension situation­nelle du handicap est incontestable : par exemple, le même handicap moteur qui oblige à se déplacer en fauteuil roulant n’a pas les mêmes conséquences selon que l’on vit à Paris ou dans certaines villes de province bien aménagées pour faciliter les déplacements de ce type de personnes handicapées. Cepen­dant, les tentatives pour réduire le handicap à une question de regard social, et par là même pour en faire uniquement un problème de discrimination parmi d’autres, me semblent relever des multiples formes de déni du handicap, certes compréhensibles chez les personnes directement concernées, mais néanmoins non fondées, et psychiquement ravageuses, comme tous les dénis.

À vrai dire, ce choix du législateur n’était peut-être pas motivé par des raisons seulement théoriques. Nous verrons que cette loi est globalement très positive pour les personnes handicapées, en termes de droits et de protections. C’est certes louable, mais c’est cependant à mettre en rapport avec une lourde tendance ces dernières années à réduire les droits sociaux et les prestations sociales. La seule référence à la notion de « situation de handicap » aurait ouvert largement la voie à de multiples demandes de se placer sous la protec­tion de cette loi de la part des multiples éclopés de la vie que notre société « concurrentielle » laisse en masse à ses marges. Même la définition plus restrictive adoptée n’a certainement pas fini de donner lieu à des recours. Où se borne, par exemple, une « altération substantielle » des fonctions « psy­chiques » ? On pense bien sûr aux schizophrènes, qui n’auront certainement aucune difficulté à obtenir les droits ouverts par cette loi aux personnes handicapées. Mais qu’en sera-t-il de ceux que nous avons pris la détestable habitude de nommer SDF, pour lesquels Patrick Declerck appelle pourtant à la reconnaissance psychiatrique d’un « syndrome de désociali­sation »(5) ? Et, bien plus largement, quid des toxicomanes ? Quid des chômeurs au long cours, plongés dans la dépression ou l’alcoolisme ? Quid des migrants sinistrosés ? Quid de tous les enfants perdus de l’abandon et du chaos ? Vieille histoire. Au XIIIe siècle, quand Saint-Louis a fondé les Quinze-Vingt, la très protectrice institution destinée aux aveugles, il en a en même temps écarté le grand peuple des gueux de Paris, condamnés à la cour des miracles. Lesquels gueux n’auront de cesse, au fil des siècles, d’intégrer « frauduleusement » les Quinze-Vingt, qui compteront parfois plus de voyants que d’aveugles !

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La principale innovation de la loi est la création d’un droit à compensation : « La personne handicapée a droit à la compensation des conséquences de son handicap quels que soient l’origine et la nature de sa déficience, son âge ou son mode de vie. »(6) Ce droit se traduit par la création d’une prestation de compensation(7), destinée à compléter les autres presta­tions sociales pour couvrir réellement l’ensemble des besoins liés au handicap. La prestation de compensation est susceptible d’être versée au coup par coup ou sous forme plus suivie, en fonction des besoins à couvrir. Elle peut être versée « selon le choix du bénéficiaire, en nature ou en espèces ». Elle peut concerner des biens ou des services. Cela peut aller de « l’aména­gement du logement et du véhicule » à « un besoin d’aides humaines ».

Il faut noter que les formulations retenues introduisent une possibilité de traitement inégal dans le champ même du handicap, puisque cette prestation n’est pas définie seulement par « la nature de [la] déficience », mais aussi par le « mode de vie », ou le « projet de vie »(8) de la personne concernée. On sait que le droit civil évalue les atteintes aux personnes en prenant lourdement en compte la situation sociale et professionnelle de la personne lésée. La présente loi introduit cette pratique très contestable dans le champ des prestations sociales. Il n’est pas interdit de le regretter.

Pour ce qui est des inégalités susceptibles d’être entraînées par la départementalisation de cette prestation de compensation, la loi pose un garde-fou : « L’État est garant de l’égalité de traitement des personnes handicapées sur l’ensemble du territoire et définit des objectifs pluriannuels d’actions. »(9) Ceci dit, la loi ne donne guère d’indication sur la façon dont cette garantie sera assurée de facto, sauf par l’instauration d’une « conférence nationale du handicap », réunie tous les trois ans, et chargée de faire un rapport « sur la mise en œuvre de la politique nationale en faveur des personnes handicapées (...) »(10). Quant à la destination de ce rapport, il est seulement précisé : « Ce rapport peut donner lieu à un débat à l’Assemblée nationale et au Sénat. »(11) On peut raisonnablement avoir des doutes quant à l’efficacité de cette procédure pour garantir « l’égalité de traitement des personnes handicapées sur l’ensemble du territoire ».

Les prestations traditionnelles aux personnes handicapées sont simplement reconduites, sauf surprises dans des décrets d’application. L’allocation aux adultes handicapés(12) (AAH) reste inchangée pour l’essentiel. L’allocation d’éducation spéciale (AES) change d’appellation. Elle se nommera désormais allocation d’éducation de l’enfant handi­capé(13), sans modification notoire sur le fond.

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La seconde innovation importante est la création des Maisons départementales des personnes handicapées(14), destinées à « offrir un accès unique aux droits et prestations (...), à toutes les possibilités d’appui dans l’accès à la formation et à l’emploi et à l’orientation vers des établisse­ments et services ainsi que de faciliter les démarches des personnes handica­pées et de leur famille ». Cette fonction de « guichet unique » pour tout ce qui touche au handicap est dans la logique des réformes adminis­tratives, peu contestable en son principe. Elle se prolonge par une large « mission d’accueil, d’information, d’accompagnement et de conseil des personnes handicapées et de leur famille, ainsi que de sensibilisation de tous les citoyens au handicap. »

Plus concrètement, la Maison départementale des personnes handicapées est chargée de mettre en place l’équipe pluridisciplinaire qui évalue « les besoins de compensation de la personne handicapée et son incapacité permanente sur la base de son projet de vie et de références définies par voie réglementaire et propose un plan personnalisé de compensation du handicap. »

De plus, « chaque maison départementale des personnes handicapées gère un fonds départemental de compensation du handicap chargé d’accor­der des aides financières destinées à permettre aux personnes handicapées de faire face aux frais de compensation restant à leur charge, après déduction de la prestation de compensation »(15). Au vu de la définition souple et large de la prestation de compensation, on comprend assez mal, en l’état actuel des textes tout du moins, la fonction, voire la justification, de ce dispositif complémentaire. On peut craindre une inutile complexification d’un dispositif qui se voulait pourtant avant tout cohérent et accessible. Surtout, ce « fonds départe­mental » est fortement susceptible d’induire des inégalités de traitement des personnes handicapées d’un département à l’autre, d’autant plus que les contributeurs à ce fonds ne sont nulle part précisés par la présente loi.

La commission exécutive(16) qui administre la Maison départementale des personnes handicapées est présidée, solidement, par le président du conseil général, appuyé par les représentants du département désignés par lui, pour la moitié des sièges. Un autre quart des membres représente les associations de personnes handicapées ou de leurs familles. Le dernier quart des membres est constitué pour l’essentiel de représentants des grands services de l’État, dont l’Éducation Nationale, et des organismes d’assurance maladie et d’allocations familiales.

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Troisième innovation importante, la création des commissions des droits et de l’autonomie des personnes handicapées(17), mises en place et organisées par les maisons départementales des personnes handica­pées. La commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées est compétente pour décider de l’ensemble des prestations et autres décisions administratives concernant les personnes handicapées. Elle se substitue à la fois à la CDES et à la COTOREP. C’est elle qui prend les décisions exécutoires pour l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé (AEEH, ex-AES), l’allocation aux adultes handicapés (AAH) et la prestation de compensation, ainsi que pour l’orientation scolaire, professionnelle et institutionnelle. Ces décisions sont prises « sur la base de l’évaluation réalisée par l’équipe pluridisciplinaire » mise en place par la Maison départementale des personnes handicapées.

Cette commission des droits et de l’autonomie des personnes handi­capées comprend « des représentants du département, des services de l’État, des organismes de protection sociale, des organisations syndicales, des associations de parents d’élèves et, pour au moins un tiers de ses membres, des représentants des personnes handicapées et de leurs familles désignés par les associations représentatives, et un membre du conseil départemental consultatif des personnes handicapées. » Il est toutefois précisé ensuite : « Lorsque la décision porte sur l’attribution de la prestation de compensation, la majorité des voix est détenue par les représentants du conseil général. » Les politiques, responsables devant les électeurs et contribuables, conservent les clefs de la bourse.

 

L’application de la loi aux enfants et adolescents handicapés

Des « sections locales ou spécialisées » sont susceptibles d’être consti­tuées(18). Cette possibilité est à mettre en rapport avec une autre précision donnée dans le même article : « Les modalités et règles de majorité de vote (...) peuvent être spécifiques à chaque décision en fonction de sa nature »(19). Vue l’ampleur et la diversité des tâches attribuées à la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées, on peut supposer que les décrets d’application définiront de telles sections spécialisées, la commission générale étant probablement destinée à fonctionner surtout comme instance de recours. Il faut en particulier s’attendre à voir définie une section spécifique pour les questions d’orientation scolaire, avec sa propre compo­sition et ses propres modalités de fonctionnement. On voit mal en effet, par exemple, ce que les représentants des organisations syndicales générales viendraient faire dans une telle section spécialisée.

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En ce qui concerne la scolarisation des enfants et adolescents handicapés, la principale innovation est le principe de l’établissement de référence : « Tout enfant, tout adolescent présentant un handicap ou un trouble invalidant de la santé est inscrit dans l’école ou dans [l’établissement secondaire], le plus proche de son domicile, qui constitue son établissement de référence. »(20) Il s’agit bien là d’un établissement de référence, et pas nécessairement d’un établissement d’accueil, comme le précise la suite de cet article. C’est une décision à portée symbolique forte, pas une remise en cause de la palette de modalités diversifiées de scolarisation et de prises en charge, heureusement héritée de notre longue histoire en ce domaine : intégrations individuelles en classes ordinaires certes, mais aussi classes spécialisées en milieu scolaire ordinaire et scolarisation en établissements spécialisés. Sa principale portée pratique, à mes yeux, sera de faciliter une circulation souple des enfants et adolescents handicapés entre ces différentes modalités de prise en charge, en fonction de l’évolution de leurs besoins. Cela devrait en particulier faciliter les scolarisations à temps partiel en établis­sement scolaire ordinaire d’enfants et adolescents accueillis princi­palement en établissement spécialisé. Jusqu’à présent, cela relevait dans les faits d’accords de gré à gré reposant sur la bonne volonté des enseignants et établissements scolaires d’accueil, avec l’effet pervers de tendre à surcharger ces bonnes volontés, donc de finir par les user. La nomination obligatoire d’un établissement de référence, en permettant une institutionnalisation de ces pratiques, devrait les faciliter, les apaiser et les répartir plus équitablement.

Il est ensuite précisé que, « si ses besoins nécessitent qu’il reçoive sa formation au sein de dispositifs adaptés », l’enfant ou l’adolescent handicapé peut être inscrit dans un autre établissement scolaire dans lequel existent ces « dispositifs adaptés », « sur proposition de son établissement de référence et avec l’accord de ses parents ou de son représentant légal ». En ce cas, « cette inscription n’exclut pas son retour à l’établissement de référence »(21). La loi ne précise nulle part ce qu’il faut entendre par « dispositifs adaptés ». On peut penser aux classes spécialisées, CLIS et UPI, mais l’orientation vers ces classes supposera une décision des commissions d’orientation(22), et non le seul accord de l’établissement de référence et des parents, comme le précise un autre article(23). Il faut probablement aussi penser à des adaptations plus techniques, comme l’aménagement des locaux pour accueillir des élèves en fauteuil roulant, ou la présence de matériels spécifiques. D’ailleurs certains articles prévoient la prise en charge complète de frais de transports supplémentaires occasionnés par ce type de problèmes : « Lorsqu’une scola­risation en milieu ordinaire a été décidée par la commission (...) mais que les conditions d’accès à l’établisse­ment de référence la rendent impossible, les surcoûts imputables au transport de l’enfant ou de l’adolescent handicapé vers un établissement plus éloigné sont à la charge de la collectivité territo­riale compétente pour la mise en accessibilité des locaux »(24). Faute d’un cadrage suffisamment précis par un décret d’application, ce passage de la loi est manifestement susceptible de favo­riser des frictions entre les familles et les autorités académiques.

De même, lorsque l’enfant ou l’adolescent est pris en charge par un éta­blissement médico-éducatif ou médico-social, son établissement scolaire ordi­naire de référence peut être un établissement proche de cet établissement spécialisé, dans des conditions « fixées par convention entre les autorités académiques et l’établissement de santé ou médico-social »(25). On a bien affaire ici à une législation qui devrait faciliter l’articulation entre une solide prise en charge des besoins particuliers des enfants et adolescents handicapés dans un établissement spécialisé et leur intégration scolaire en milieu ordinaire autant que faire se peut.

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Hors de ce point, la loi n’apporte pas de changements fondamentaux par rapport aux évolutions progressivement impulsées par la loi de 1975(26). Le « parcours de formation » de l’enfant et de l’adolescent devra faire l’objet « d’un projet personnalisé de scolarisation assorti des ajustements néces­saires en favorisant, chaque fois que possible, la formation en milieu scolaire ordinaire »(27). Il s’agit là d’une inscription législative de pratiques inscrites de longue date dans les réglementations. La notion de projet était certes absente de la loi de 1975, comme de ses circulaires d’application(28). Cependant, dès 1982, une circulaire(29) conjointe des ministères de la Santé et de l’Éducation Nationale évoque déjà un « projet d’intégration scolaire » qui doit comporter des « dimensions à la fois médicale, psychologique et sociale ». Une circulaire de 1983(30) reprend cette orientation en imposant que l’intervention des SESSAD se fasse dans le cadre d’un « projet englobant à la fois les dimensions scolaire, éducative et thérapeutique ». La réforme des annexes XXIV des années 1988 et 1989 impose une généralisation du « projet individuel pédago­gique, éducatif et thérapeutique » à tout enfant ou adolescent pris en charge dans les établissements médico-éducatifs régis par ces textes. Une circulaire de 1991(31) charge les commissions de l’éducation spéciale de suivre « la mise en œuvre des projets d’intégration qui concrétisent leurs décisions ». Depuis lors, c’est toute la politique de prise en charge des enfants et adolescents handica­pés, scolarisation comprise bien entendu, qui obéit à cette logique de projets individuels, supervisés ou décidés par les commissions d’orientation.

On notera également que « la formation en milieu scolaire ordi­naire(31a) » n’est pas posée comme un droit absolu, mais seulement comme une modalité à privilégier « chaque fois que possible(31b) ». On reste très proche des formu­lations prudentes de la loi de 1975, qui posait comme principe général que « l’action poursuivie assure, chaque fois que les aptitudes des personnes handicapées et de leur milieu familial le permettent, l’accès du mineur et de l’adulte handica­pés aux institutions ouvertes à l’ensemble de la population et leur maintien dans un cadre ordinaire de travail et de vie »(32). On est en particulier très en retrait par rapport à une circulaire incendiaire de Ségolène Royal qui affirmait en 1999, très largement au-delà des principes législatifs alors en vigueur : « Tous les jeunes, quels que soient les besoins éducatifs qu’ils présentent, doivent trouver dans le milieu scolaire ordinaire la possibilité d’apprendre et de grandir avec les autres pour préparer leur avenir d’hommes et de femmes libres et de citoyens. »(33)

La nouveauté, relative, est l’inscription de ce projet de formation dans le cadre global du « plan personnalisé de compensation du handicap » imposé par la loi(34). Ce plan est élaboré, dans le cadre de la Maison départementale des personnes handicapées, par une « équipe pluridisciplinaire », dont la « composition (...) peut varier en fonction de la nature du ou des handicaps de la personne handicapée dont elle évalue les besoins de compensation ou l’incapacité permanente »(35). Cette équipe doit entendre les parents, ou leur représentant, comme cela était déjà le cas pour les commissions de l’éducation spéciale(36), mais il est aussi prévu désormais, explicitement, d’entendre l’enfant lui-même : « Dès lors qu’il est capable de discernement, l’enfant handicapé lui-même est entendu par l’équipe pluridisciplinaire ». Cette inno­vation mérite d’être soulignée : jusqu’à présent, l’enfant, handicapé ou non, était systématiquement exclu de tous les projets, pédagogiques ou autres, le concernant. Même après la loi de 1989 le plaçant au cœur du système éducatif ! Bien sûr, le discours de l’enfant peut faire l’objet de toutes sortes de manipula­tions. Il n’en reste pas moins que, bien comprise et bien conduite, cette pratique de la consultation de l’enfant sur le projet de formation le concernant pourrait contribuer à humaniser les procédures d’orientation, voire les modali­tés des prises en charge.

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La commission chargée de piloter la réalisation de ce parcours de formation sera donc la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées, ou plus probablement sa section spécialisée en ce domaine. Le remplacement de la CDES par cette nouvelle commission est susceptible de changer assez nettement la donne. D’abord, la présence des représentants des personnes handicapées et de leurs familles est considé­rablement renforcée : au moins un tiers des membres dans la nouvelle commission ou ses sections spécialisées, contre un seul représentant dans la CDES, sur une douzaine de membres. Ensuite, cette nouvelle commission comptera des représentants des élus du département, dans des proportions qui restent à déterminer, alors que la CDES, commission préfectorale instituée avant les lois de décentralisation, était organisée autour de représentants de l’État. Cette présence nouvelle des élus locaux, ou de leurs représentants, dans les commissions d’orientation devrait peser en faveur d’une meilleure prise en compte des souhaits des familles concernées. Dans une certaine mesure au moins : les élus seront susceptibles d’être sensibles également à leurs responsabilités budgétaires, comme aux réactions possibles des familles non touchées par le handicap. Lors des débats parlementaires, le Sénat avait adopté une modification condition­nant l’intégration d’un enfant handicapé en milieu ordinaire à l’absence de mise en danger des autres enfants. Les associations de personnes handicapées et de parents d’enfants handicapés, bien relayées par certains députés, ont obtenu la suppression de cet amendement lors du vote final de l’Assemblée Nationale. Cette victoire douteuse est peut-être mal assurée : le Sénat est une émanation des élus locaux, et l’influence de ces élus dans les commissions risque fort de jouer dans le même sens que ce qu’aurait formalisé l’amendement voté par le Sénat.

Surtout, les décisions de la CDES s’imposaient aux établissements concernés, mais on considérait généralement qu’elles restaient soumises à l’accord final des parents. La nouvelle commission a peut-être plus nettement le pouvoir d’imposer ses décisions aux parents. Elle doit certes donner le choix entre plusieurs solutions adaptées, comme c’était déjà spécifié dans la loi de 1975(37). Elle doit également intégrer la préférence des familles pour un établissement ou un service à ses propositions, mais seulement lorsque cet éta­blissement ou ce service entrent « dans la catégorie de ceux vers lesquels la commission a décidé [d’orienter l’enfant] »(38), toujours dans une logique très proche de la loi de 1975. Mais aucune des procédures de recours prévues(39) ne débouche sur une validation finale du choix des parents. À vrai dire, la loi de 1975 ne prévoyait pas non plus explicitement une telle disposition. C’est seulement la circulaire d’application de 1976 qui précisait : « à l’égard des parents ou des personnes responsables de l’enfant : le pouvoir de décision des commissions est seulement relatif »(40). Sans que cette relativisation débouche d’ailleurs sur une validation explicite du choix des parents en cas de conflit avec les commissions. Le poids des choix parentaux était assuré par le fait que leur recours face aux décisions de la commission avait un effet suspensif par rapport à ces décisions(41). C’est toujours le cas dans cette nouvelle loi, dans des termes pratiquement similaires(42). Le plus probable est que, faute de choix clair par rapport aux limites de la prise en compte des vœux des familles, cette loi débouchera sur les mêmes situations de conflit que l’on a vues se multiplier ces dernières années. Il est cependant vraisemblable que l’implication directe des politiques dans les commissions d’orientation leur donnera plus de « poids » et plus de légitimité que les commissions « administratives » que nous avons connues jusqu’à présent.

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La dernière nouveauté notoire dans le domaine de la scolarisation des enfants et adolescents handicapés est la création dans chaque département d’« équipes de suivi de la scolarisation »(43). Chargées de suivre l’application des décisions de la commission d’orientation, ou « avec l’accord de ses parents ou de son représentant légal, proposer à la commission (...) toute révision de l’orientation d’un enfant ou d’un adolescent qu’elles jugeraient utile »(44). Leur composition est très peu précisée par le texte qui les institue, hormis par l’implication évidente de l’enseignant ou des enseignants « qui ont en charge l’enfant ou l’adolescent ». Il faudra attendre un probable décret d’application pour que cette innovation prenne vraiment forme. Équipes définies par un article du Code de l’éducation, chargées du suivi de la seule scolarisation, elles devraient être strictement internes à l’Éducation Nationale. Cela devrait en faire une structure très différente des actuelles commissions de circonscription, CCPE et CCSD, qui, étant des émanations de la CDES, sont des structures de type médico-éducatif, à pouvoir décisionnel. Ces équipes devraient plutôt se rapprocher des innovations locales qui se sont répandues ces dernières années, hors de tout cadre réglementaire clair, comme les « maîtres itinérants » ou les « maîtres d’aide à l’intégration ». Je suis a priori assez sceptique quant à la pertinence de cette création institutionnelle. Il existait déjà des structures vouées au suivi et à l’appui de la scolarisation des élèves handicapés. Ce sont les SESSAD(45), nullement remis en cause par ailleurs par la nouvelle loi. Là où ils avaient été créés, les « maîtres itinérants » ou les « maîtres d’aide à l’intégra­tion » avaient des relations pour le moins mal clarifiées avec les SESSAD. Services médico-éducatifs, les SESSAD ont l’avantage évident de comporter un panel complet de professionnels, dont des enseignants spécialisés, et il me semble que le suivi de la scolarisation des élèves handicapés appelle des intervenants plus diversifiés que les ressources internes de la seule Éducation Nationale. Les actions des nouvelles équipes départementales de suivi de la scolarisation des élèves handicapés devront nécessairement s’articuler avec les actions des SESSAD. Elles risquent fort de les chevaucher. Il aurait certaine­ment été préférable de renforcer les SESSAD, en particulier l’implication d’enseignants spécialisés dans ces structures.

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Droit à compensation, guichet unique, renforcement de la représen­tation des personnes handicapées dans les institutions les concernant, inscription systématique dans un établissement scolaire de référence, la loi de 2005 comporte manifestement des avancées significatives en faveur des personnes handicapées. Mais les espoirs qu’elle suscite, parfois sur la base d’une lecture hâtive ou partielle, risquent fort de se heurter à ses limites, comme à ses implications politiques. Le financement d’un droit à compensa­tion, ouvert à l’extrême en principe, est fort loin d’être assuré, comme le montre déjà la tournure ubuesque qu’a pris la suppression d’un jour férié destiné pour une part à alimenter cette solidarité nationale vis-à-vis des personnes handi­capées. Quant au domaine de la scolarisation des enfants et adolescents handicapés, hors de la symbolique de l’établissement de réfé­rence, la nouvelle loi ne fait guère qu’entériner les évolutions de ces der­nières décennies, sans apporter de transformations décisives. Ce n’est pas nécessai­rement à regretter : l’immer­sion de tous les enfants et adolescents handicapés dans les classes ordinaires est une idée certes sympathique, mais ce n’est certainement pas la panacée. La longue expérience des résultats d’une telle immersion pour les élèves socialement ou culturellement défavo­risés devrait inciter à considérer avec circonspection les avantages et les inconvénients des pratiques intégratives, comme cette nouvelle loi continue à nous y inviter.

Daniel Calin(46)
Professeur de philosophie chargé d’enseignement à l’IUFM de Paris
Formateur d’enseignants spécialisés

Décembre 2005-Avril 2006

 
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Notes

(1) Le texte intégral de cette loi est disponible sur le site Légifrance. Il est également disponible sur mon site personnel, avec un sommaire dynamique complet :
http://dcalin.fr/textoff/loi_2005_handicap.html.
(2) Début mai 2005.
(3) Cette définition constitue le nouvel article L. 114 du Code de l’action sociale et des familles.
(4) En particulier dans les nouvelles certifications des enseignants spécialisés : le « SH » du CAPA-SH et du 2CA-SH évoque « la scolarisation des élèves en situation de handicap ». Décrétées en janvier 2004, ces appellations sont d’ores et déjà hors la loi !
(5) Patrick Declerck, Les naufragés (Avec les clochards de Paris), Col. Terre Humaine, Plon, 2001, Page 293.
(6) Article 11 de la loi, et nouvel article L. 114-1-1 du Code de l’action sociale et des familles.
(7) Article 12 de la loi, et nouveau chapitre V du titre IV du livre II du Code de l’action sociale et des familles, articles L. 245-1 à L. 245-14.
(8) Article 12 de la loi, et article modifié L. 245-1 du Code de l’action sociale et des familles.
(9) Article 2 de la loi, et article modifié L. 114-1 du Code de l’action sociale et des familles.
(10) Article 3 de la loi, et article modifié L. 114-2-1 du Code de l’action sociale et des familles.
(11) Idem.
(12) Article 16 de la loi, et articles modifiés L. 821-1 et suivants du Code de la sécurité sociale.
(13) Article 68 de la loi, et articles modifiés L. 541-1 et suivants du Code de la sécurité sociale.
(14) Article 64 de la loi, et nouveau chapitre VI du titre IV du livre Ier du Code de l’action sociale et des familles, articles modifiés L. 146-3 et suivants.
(15) Article 64 de la loi, et article modifié L. 146-5 du Code de l’action sociale et des familles.
(16) Article 64 de la loi, et article modifié L. 146-4 du Code de l’action sociale et des familles.
(17) Article 66 de la loi, et nouveau chapitre Ier bis du titre IV du livre II du Code de l’action sociale et des familles, articles L. 241-5 et suivants.
(18) Article 66 de la loi, et article modifié L. 241-5 du Code de l’action sociale et des familles, 3ème alinéa.
(19) Article 66 de la loi, et article modifié L. 241-5 du Code de l’action sociale et des familles, 5ème alinéa.
(20) Article 19 de la loi, et article modifié L. 112-1 du Code de l’éducation.
(21) Article 19 de la loi, et article modifié L. 112-1 du Code de l’éducation, 3e alinéa.
(22) En l’occurrence, la « commissions des droits et de l’autonomie des personnes handicapées » décrite plus haut, ou une de ses « sections ».
(23) Article 21 de la loi, et article modifié L. 351-1 du Code de l’éducation.
(24) Article 19 de la loi, et article modifié L. 112-1 du Code de l’éducation, dernier alinéa.
(25) Article 19 de la loi, et article modifié L. 112-1 du Code de l’éducation, 4e alinéa.
(26) Loi n° 75-534 du 30 juin 1975 d’orientation en faveur des personnes handicapées.
(27) Article 19 de la loi, et article modifié L. 112-1 du Code de l’éducation.
(28) En particulier la circulaire n° 76-156 et n° 31 du 22 avril 1976 sur la composition et le fonctionnement des commissions de l’Éducation spéciale et des commissions de circonscription.
(29) Circulaire n° 82/2 et n° 82-048 du 29 janvier 1982 sur la mise en œuvre d’une politique d’intégration en faveur des enfants et adolescents handicapés.
(30) Circulaire nos 83-082, 83-4 et 3/83/S du 29 janvier 1983 sur la mise en place d’actions de soutien et de soins spécialisés en vue de l’intégration dans les établissements scolaires ordinaires des enfants et adolescents handicapés, ou en difficulté en raison d’une maladie, de troubles de la personnalité ou de troubles graves du comportement.
(31) Circulaire n° 91-33 AS du 6 septembre 1991 et n° 91-302 EN du 18 novembre 1991 concernant l’intégration scolaire des enfants et adolescents handicapés.
(31a) Article 19 de la loi, et article modifié L. 112-2 du Code de l’éducation, deuxième alinéa.
(31b) Article 19 de la loi, et article modifié L. 112-2 du Code de l’éducation, deuxième alinéa.
(32) Article premier de la loi d’orientation en faveur des personnes handicapées de 1975, 3ème alinéa.
(33) Circulaire n° 99-187 du 19 novembre 1999 sur la scolarisation des enfants et adolescents handicapés, 2ème alinéa.
(34) Article 64 de la loi, et article modifié L. 146-8 du Code de l’action sociale et des familles.
(35) Idem.
(36) Article 6 de la loi d’orientation en faveur des personnes handicapées de 1975.
(37) Article 6 de la loi d’orientation en faveur des personnes handicapées de 1975.
(38) Article 66 de la loi, et article modifié L. 241-6 du Code de l’action sociale et des familles.
(39) Articles 21 et 66 de la loi, et articles modifiés L. 146-10 et L. 241-9 du Code de l’action sociale et des familles.
(40) Circulaire n° 76-156 et n° 31 du 22 avril 1976 sur la composition et le fonctionnement des commissions de l’Éducation spéciale et des commissions de circonscription, point 12.130.
(41) Article 6 de la loi d’orientation en faveur des personnes handicapées de 1975, modifié par la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978.
(42) Article 66 de la loi, et article modifié L. 241-9 du Code de l’action sociale et des familles.
(43) Article 19 de la loi, et article modifié L. 112-2-1 du Code de l’éducation.
(44) Idem.
(45) Service d’Éducation Spéciale et de Soins À Domicile.
(46) Site internet : Psychologie, éducation & enseignement spécialisé.

 
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Écho

Référence  Cet article est donné en référence dans un article de Pierre Baligand, Inspecteur honoraire de l’éducation nationale, initialement publié dans la Revue Médecine thérapeutique – Pédiatrie, n° 4, consacré au thème Handicap de l’enfant : quelles prises en charge ?, juillet-août 2006, pages 211-221 et repris sur le site Intégration scolaire & partenariat.
 


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