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7 ans après la loi handicap de février 2005 :
les réalités, les avancées, les manques

 

 
Un texte de Daniel Calin


La loi de 2005  Voir le texte de la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la partici­pation et la citoyenneté des personnes handicapées.
Présentation de la loi par Daniel Calin  Voir aussi sur ce site une présentation de la loi par Daniel Calin, écrite en 2005, peu après son adoption : Comprendre la loi de février 2005 sur les droits des personnes handicapées.
Deux autres articles de Daniel Calin sur la scolarisation des élèves handicapés  Enfin, sur la scolarisation des élèves handicapés, voir deux autres textes de Daniel Calin : La problématique de la socialisation des enfants handicapés et L’accueil des enfants présentant un handicap.
Publication originale  Ce texte a servi de base à une conférence organisée par l’association ALERCE (Association Laïque d’Etude et de Recherche pour les Communautés Educatives des Hautes-Pyrénées), le 27 mars 2012, à Tarbes (65). Il a été initialement publié sur le site de cette association, le 12 juin 2012, et légèrement toiletté à l’occasion de cette seconde publication.

 

Une loi non consensuelle

La loi d’orientation en faveur des personnes handicapées du 30 juin 1975 avait été votée pratiquement à l’unanimité.

La loi du 11 février 2005, pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, n’a pas bénéficié d’un tel consensus, loin s’en faut. Il y a eu plusieurs navettes entre l’Assemblée Nationale et le Sénat. Les sénateurs, de tous bords, plus proches des élus territoriaux que les députés, ont longuement bataillé pour l’amender. La gauche a voté contre, surtout parce qu’elle ne présentait aucune garantie de financement des mesures qu’elle préconisait. Même les centristes ne l’ont finalement votée que « la mort dans l’âme ».

Elle donne une définition assez dure du handicap. Elle ne parle pas de « personnes en situation de handicap », selon l’expression euphémique en vogue depuis deux décennies, mais bien de « personnes handicapées », définies par « une altération substantielle, durable ou définitive de leurs facultés ».

Elle continue à faire l’objet de critiques très diverses, qui vont d’une opposition frontale à une dénonciation de sa mauvaise application.

 

Deux modifications majeures du cadre législatif

La départementalisation

La loi de 2005 est d’abord une des multiples formes du désengagement de l’État de tous les secteurs qui concernent ce qu’on nomme la solidarité. C’est une des raisons de l’opposition de la gauche au Parlement. Elle procède avant tout à une départementalisation de la prise en charge des personnes handicapées, à travers la création des Maisons Départementales des Personnes Handicapées (MDPH), dominées par les élus départementaux, qui se substituent aux anciennes commissions départementales, COTOREP et CDES, gérées de façon paritaire par des fonctionnaires d’État. On est ainsi passé d’une gestion technique (santé, éducation nationale) à une gestion politique (conseil général). Les avantages et les inconvénients comparés de ces deux gestions sont pour le moins discutables.

Les associations de personnes handicapées et de parents d’enfants handicapés ont soutenu cette loi, car elles pensaient pouvoir peser plus facilement sur les élus que sur les fonctionnaires d’État. De fait, elles sont très largement représentées, alors qu’elles ne l’étaient que très faiblement dans les commissions antérieures. Mais, dans les faits, faute de tout système d’estimation objectivée de la représentativité de ces associations, c’est le président du conseil général qui nomme leurs représentants à la MDPH. D’un département à l’autre, les choix sont très différents.

Cette départementalisation de la gestion des aides aux personnes handicapées entraîne évidemment un risque majeur d’inégalité territoriale, ce qui est contraire à la Constitution actuelle. Pour pallier ce risque, la loi prévoit une conférence nationale tous les trois ans sur cette question, qui doit rendre un rapport, lequel peut être présenté devant les assemblées. C’est notoirement insuffisant pour éviter le creusement d’inégalités territoriales. La conférence de 2009 a constaté, effectivement, de fortes inégalités territoriales... sans conséquence notoire. La prochaine doit avoir lieu en 2012. Déjà, certaines MDPH, au bord de la faillite, accordent de fait les prestations de compensation du handicap en fonction de leur budget plus qu’en fonction des besoins des personnes handicapées.


Création de la prestation de compensation

La loi prévoit que toutes les dépenses induites par un handicap non couvertes par les prestations « ordinaires » doivent être compensées. Cette prestation de compensation du handicap (PCH) est une innovation majeure. C’est une idée très généreuse, avec laquelle on peut difficilement être en désaccord.

Cependant, le financement de générosité pose lourdement problème. L’État devait en principe financer une partie de cette prestation, sans que ce financement soit clairement encadré et assuré. D’où l’opposition des élus de gauche au moment du vote, ainsi que les réticences de nombre de parlementaires proches des élus territoriaux. Dans un contexte de paupérisation généralisée de l’État, ce financement demeure plus problématique que jamais.

D’autant que cette loi très favorable aux personnes handicapées est susceptible d’induire un « appel d’air » pour se mettre sous sa protection, bien au-delà du public initialement visé. Dans l’Éducation Nationale, on a ainsi vu se multiplier les demandes de reconnaissance de handicaps pour des enfants qui précédemment n’entraient pas dans ce champ, comme tous les enfants « dys ». Exemple extrême : dans la région parisienne, il y eu une création d’UPI pour surdoués, avec une ruée vers cette classe. À ma grande surprise, nombre de parents de tels enfants ont accepté que leurs enfants soient reconnus « handicapés » pour y être inscrits. Il est vrai qu’une partie de ces enfants sont en souffrance en milieu scolaire ordinaire, tant les pratiques ordinaires d’enseignement sont incapables de prendre en compte leurs particularités. De là à les ranger dans la catégorie des « handicapés »...

 

Une continuité sous estimée

La loi de 2005 reconduit les anciennes allocations, AES (rebaptisée AEEH) et AAH, qui étaient et qui sont toujours versées par la Sécurité Sociale, donc par la solidarité nationale. Seule la prestation de compensation est départementalisée.

La loi de 2005 touche à la gestion des aides aux personnes handicapées et à leur financement. Elle ne touche pas directement aux structures, elle ne dit rien sur les classes ni sur les établissements spécialisés. Elle ne prône absolument pas la disparition des structures spécialisées.

La loi de 2005, contrairement à certaines des lectures qui en sont faites, n’impose pas la scolarisation en classe ordinaire. Elle en fait certes, dans son article 19, la modalité de scolarisation à privilégier, mais elle conserve les autres, « si [les besoins de l’enfant] nécessitent qu’il reçoive sa formation au sein de dispositifs adaptés ». La loi de 1975 avait déjà adopté un principe similaire, dans son article 4, avec une formulation très proche : « soit, à défaut, une éducation spéciale, déterminée en fonction des besoins particuliers de chacun d’eux ».

La loi de 2005 peut sembler a priori renforcer le pouvoir des familles. C’est vrai pour une part : l’interlocuteur unique des MDPH est le handicapé ou son représentant, alors que la loi de 1975 accordait à toute personne en charge des enfants handicapés la possibilité de saisir les anciennes commissions. Mais, à la CDAPH, dès qu’il est question d’argent, le pouvoir décisionnaire est entre les mains des seuls politiques, conformément, d’ailleurs, à la constitution. Entre la lourdeur bureaucratique des MDPH, surtout dans les département très peuplés, et la force des pouvoirs politiques départementaux, les familles ne sont probablement pas plus entendues que précédemment.

Les anciennes ambiguïtés quant aux pouvoirs respectifs des familles et des commissions ne sont pas levées. Les anciens conflits interminables entre les CDES et certaines familles n’ont en rien disparu avec la CDAPH.

 

Un défaut majeur de conception

Quand on s’en tient à la loi, les projets personnalisés de scolarisation (PPS) sont préparés par les spécialistes de l’équipe pluridisciplinaire de la MDPH et décidés en CDAPH, donc uniquement en interne à la MDPH. La loi exclut donc de la préparation de la décision comme de la prise de décision tous les professionnels effectivement en charge de personnes handicapées, aussi bien du côté des soignants que du côté des enseignants. Même leur simple consultation n’est absolument pas prévue par la loi.

Cela est tellement absurde que le 30 décembre 2005, l’avant-veille de l’entrée en vigueur officielle de la loi, le ministère de l’Education Nationale a inventé par décret la profession d’enseignant référent, totalement absente du texte de la loi, au départ pour suivre la bonne application des PPS (Projet Personnalisé de Scolarisation). Dans les faits, ces enseignants référents ont sont très vite devenus les chevilles ouvrières de l’élaboration des PPS, dont les CDAPH ne sont plus guère de fait, le plus souvent, que les chambres d’enregistrement, ce qui est fondamentalement contraire à la loi. Le comble est peut-être que ces enseignants tendent également à devenir de facto les coordinateurs de l’implication des soignants.

Luc Ferry, ministre de l’Education Nationale pendant l’essentiel de la phase de la préparation de la loi, n’a pas manifestement pas participé activement à son élaboration, pas plus que Jean-François Mattei, ministre de la santé durant la même période. Ces deux incompétents notoires ne figurent d’ailleurs pas parmi la liste pourtant longue des signataires de la loi, puisqu’au moment de l’adoption de la loi, ils ont été respectivement remplacés par François Fillon et Philippe Douste-Blazy, tous deux manifestement plus préoccupés de coupes budgétaires que de service public. Ces errements politiques sont probablement à l’origine du noyau d’absurdité de cette loi.

 

Des problèmes persistants

Des problèmes persistent qui, pour une part au moins, ne tiennent pas à la loi.


Les auxiliaires de vie scolaire (AVS)

L’expression « auxiliaire de vie scolaire » n’existe pas dans la loi, mais leur fonction y est bien dessinée. La loi prévoit, dans son article 20, d’employer des assistants d’éducation (AED) à l’accompagnement de la scolarisation des enfants handicapés, ainsi que, dans son article 21, des personnels « recrutés sans condition de diplôme », lorsque que cet accompagnement « ne comporte pas de soutien pédagogique » (?). Ce sont bien les actuels AVS et EVS qui, dans les faits, sont presque toujours employés indifféremment.

Les uns comme les autres sont des travailleurs précaires, généralement voués au travail à temps partiel, qui reçoivent des rémunérations très basses et qui ne sont pas formés avant d’entrer en fonction, même s’ils bénéficient d’un droit à la formation en cours d’emploi de 40 heures par an. Ce maigre droit n’est même pas toujours respecté, ce qui a valu des condamnations à plusieurs Académies. En Italie, qui a été pionnère en ce domaine, ceux qui assurent des fonctions similaires sont des professionnels avec une formation de niveau Bac+3, proche de celle des éducateurs spécialisés, mais orientée spécifiquement vers l’accompagnement scolaire des enfants handicapés.

À ce jour, toute vraie professionnalisation leur est toujours refusée, malgré les revendications de diverses associations et un appui massif des associations de parents concernés. Sauf marginalement, pour certains types limités de handicaps, et uniquement par le biais d’associations : les pouvoirs politiques se refusent manifestement à créer un nouveau corps de fonctionnaires !

La pertinence de la présence d’un AVS auprès d’un enfant handicapé scolarisé en classe ordinaire peut être utile, voire indispensable dans certains cas. Elle n’en pose pas moins problème, tant elle produit des effets de marquage, voire de marginalisation.

L’élève et son AVS sont en principe sous la responsabilité de l’enseignant de la classe, mais, trop souvent, les enseignants, n’ayant aucune connaissance du handicap ni aucune habitude de la collaboration avec une autre personne dans leur classe, en arrivent à se décharger entièrement sur l’AVS de tout ce qui concerne l’enfant ainsi « inclus ».

Pour multiplier les inclusions, on multiplie les AVS, en fermant les yeux sur les dysfonctionnements multiples de ce système. Là comme ailleurs, la politique du chiffre domine au détriment de toute autre considération.


Les classes spécialisées (CLIS et ULIS)

L’Education Nationale a de moins en moins les moyens de mettre en place ces classes spécialisées ; cela entraîne une augmentation des effectifs des élèves. En CLIS, l’effectif maximum de 12 élèves est de plus en plus souvent dépassé. Le nouveau texte sur les ULIS (2010) a supprimé toute limite précise de l’effectif, précédemment fixé à 10, qui de fait n’était déjà plus guère respecté.

Les classes spécialisées sont de plus en plus fréquemment tenues par des enseignants non spécialisés, voire par des enseignants débutants, par manque d’enseignants formés. Au niveau national, c’est probablement maintenant le cas pour la majorité de ces classes. Le travail y est tellement difficile et tellement mal reconnu, qu’il y a une grave crise du recrutement, surtout dans les classes orientées vers le champ des handicaps mentaux.

Pour appuyer ces enseignants, le ministère avait créé et développé les AVSco, mais, depuis deux ans, ces postes sont en diminution. Certains départements les ont complètement supprimés.

Dans ces classes, l’articulation avec les soignants serait absolument nécessaire, tant pour le bien-être des élèves que pour rendre supportable le travail des enseignants. Il a existé des classes « adossées à des services ou établissements », ce qui permettait une dynamique proche de celle qui existe dans les établissements spécialisés. Mais ces classes ont pratiquement disparu, au nom du libre choix des soignants par les familles. Actuellement, il y a presque toujours au moins autant de services soignants que d’enfants : toute articulation entre soin et enseignement est rendue impossible. Cela plonge les enseignants des classes spécialisées dans un isolement dramatique.


Les établissements spécialisés

Le médico-social a été absorbé par la santé : il est désormais géré par les ARS, institutions lourdement bureaucratiques et dans lesquelles le médico-social ne pèse pas lourd, en particulier par rapport aux établissements hospitaliers. Les budgets des établissements spécialisés sont de plus en plus revus à la baisse : le secteur médico-social est le maillon faible de l’ARS.

Il y a de moins en moins d’enseignants mis à disposition par l’Education Nationale dans les établissements spécialisés, en raison de la volonté politique de supprimer chaque année des milliers de postes d’enseignants.

 

Et les élèves ?

L’idéologie inclusive de la loi de 2005 a fait croire aux familles touchées par le handicap de leur enfant, même si ce n’est pas vraiment ce qu’elle prescrit, que tous les enfants et adolescents handicapés pouvaient fréquenter avec profit les classes ordinaires. Elle cultive ainsi des illusions ravageuses, qui menacent de se payer très cher à terme pour ces jeunes et leurs familles.

Un des effets de cette priorité accordée à la scolarisation en milieu ordinaire est que l’orientation vers les classes et établissement spécialisés se fait presque systématiquement après un constat d’échec. Ainsi, les enfants handicapés voient de plus en plus souvent l’expérience de l’échec scolaire s’ajouter aux problèmes déjà lourds induits par leur handicap.

Aucune étude, à ma connaissance, n’a été conduite sur les effets réels de la scolarisation en milieu ordinaire, qui n’est en réalité privilégiée que pour des raisons budgétaires, dissimulées sous des prétextes idéologiques ou éthiques :

Daniel Calin
12 juin 2012

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