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Chronique 39
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Un texte de M. Barthélémy
 

Lettre aux parents des élèves handicapés dont j’étais l’enseignant référent,
aux enseignants qui ont la lourde tâche de les scolariser,
aux partenaires de soins qui les accompagnent

 

L’opportunité se présente peut-être pour moi de faire fonction sur une direction de SEGPA à la rentrée prochaine. Des interrogations persistantes sur la loi de 2005 et la fonction d’enseignant référent, des événements récents mettant à mal l’éthique professionnelle, et l’occasion de partir l’année suivante en formation de directeur d’établissement spécialisé m’inciteront sans doute à accepter la proposition qui me sera faite. Je voudrais par cette lettre vous dire les raisons de mon départ et vous remercier pour le travail accompli ensemble au cours de ces quatre dernières années.


Il est assez rare au sein d’une institution qu’un nouveau métier émerge qui nécessite de s’en construire une représentation fondée sur de nouvelles compétences. La fonction d’enseignant référent, et les missions qui lui sont attachées (« assurer la cohérence et la continuité du parcours scolaire de l’élève handicapé, de son entrée à la maternelle à sa sortie du lycée »), avaient tout du challenge passionnant. Mon parcours professionnel et personnel m’avait mis en contact avec le handicap, j’avais la chance de bien connaître et le fonctionnement de l’école, et les institutions partenaires, et les conséquences pédagogiques d’un certain nombre de pathologies – atouts que je pouvais mettre à la disposition des familles, des partenaires de soins, des équipes d’école.

J’ai essayé de m’acquitter de cette lourde tâche au moins mal, tout en continuant de m’interroger, et de vous associer à cette interrogation, sur ce qui signe le handicap, ses conséquences en termes d’image de soi, le gain permis par une situation handicapante reconnue telle, etc.

Cette interrogation de plus en plus souvent « squeezée » à mesure que la charge de travail augmentait, l’instrumentalisation du handicap par certains (familles, soins, écoles) pour obtenir des « moyens » qui font de plus en plus souvent défaut en ces temps de grandes restrictions, la culture du chiffre aux dépens du qualitatif, le sentiment de plus en plus prégnant de servir d’alibi à des conditions d’accueil qui se dégradent très largement font que j’ai le sentiment d’être allé au bout de ce que je suis capable d’accepter avant de devenir complice de dysfonctionnements majeurs que je désapprouve.


La circulation récente sur le Net d’un tableau recensant la situation de 476 élèves de maternelle scolarisés à temps partiel ou très partiel, tableau nominatif croisant des données personnelles et des données couvertes par le secret médical sans qu’aucune autorisation des familles ne soit même sollicitée, a été la goutte d’eau. Ce qui n’était jusque là qu’une crainte confuse prenait corps et devenait réalité : des enfants, parce qu’ils sont handicapés, et sous prétexte d’une étude « scientifique » (qui aurait pu se borner à n’être que statistique) se voyaient désignés, regroupés, prêts à être exclus de notre humanité commune si quelques mains mal intentionnées se saisissaient de ce document. Que les institutions pour lesquelles j’œuvre aient pu laisser passer ça ne manquait pas de me scandaliser comme citoyen, de me meurtrir comme individu, de m’engager à résister comme professionnel.


Enfin, « on ne meurt pas enseignant référent ». C’est un travail où l’on laisse trop de soi, où le rythme imposé et la charge de travail conduisent physiquement au bord de la rupture, où l’absence totale de supervision vous laisse seul face à « toute la misère du monde ». Devenir, à terme, directeur d’une SEGPA, c’est revenir à « mes premières amours », quand je débutais en « grand perf’ » ou que je continuais en collège ; ou bien directeur d’un SESSAD ou d’un établissement, c’est mettre mes compétences au service du handicap d’une autre manière, toujours impliquée, mais peut-être plus « responsable ».


La scolarisation des élèves handicapés, c’est vous, enseignants des classes, auxiliaires de vie scolaire, ATSEM, directeurs d’école qui la vivez au quotidien et la rendez possible. C’est vous, familles, qui la souhaitez sans toujours mesurer la pression que vous faites porter à vos petits, mais toujours animées des meilleures intentions du monde et prêtes à faire confiance à des professionnels compétents. C’est vous qui l’accompagnez, services de soins partenaires, avec les moyens qui sont les vôtres, eux aussi en diminution, avec une ouverture et une générosité rarement démenties.

À tous, merci. Vous m’avez accepté comme interlocuteur, rarement facile, ne cédant rien à ce que je comprenais des besoins des élèves qui m’étaient confiés, mais toujours respectueux, je crois, des compétences de chacun et des souffrances parentales. Vous m’avez aidé à apprendre mon métier, à le comprendre peu à peu, à l’exercer de moins en moins mal. Je le souhaite en tout cas, sans me leurrer sur ses limites et sur les miennes, et en vous assurant que j’ai vraiment essayé de le faire « pour le mieux ». Nos routes divergent, car la vie est ainsi faite qu’elle avance toujours. Nos rencontres auront été ces moments tristes, chaleureux, d’espoirs ténus et de remises en cause radicales qui la jalonnent et la remplissent. Soyez assurés que mes pensées vont vers vous qui continuez d’avoir la part la plus rude à assumer. Que la joie de quelques victoires toujours fragiles compense la terrible solitude du désespoir quotidien !


Rien n’est jamais en vain...

M. Barthélémy
30 juin 2009

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Pour écrire à M. Barthélémy : “monsieurbarthelemy–AROBASE–gmail.com” (...en remplaçant bien sûr “–AROBASE–” par “@”)

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