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Au plus près des besoins de l’enfant – Accompagner l’élève
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Un texte de Claudine Ourghanlian
 

Approche de la notion

Ce « gros mot », propre au jargon en vogue dans les sphères de la réflexion pédagogique, recouvre des observations, des réflexions, des hypothèses et des enjeux.

Ce concept, issu de travaux basés sur une approche cognitiviste de l’apprentissage et notamment des travaux de l’américain Flavell(1) sur la méta-mémoire, est d’émergence relativement récente (1977). Il renvoie à l’idée « d’apprendre à apprendre » et à la notion de prise de conscience utilisée par Piaget(2) qui, dans ses protocoles, cherchait fréquemment à obtenir un recul des sujets par rapport à leur action par le recours à des questions sur le « comment ? » (« Comment vas-tu faire maintenant ? »). La prise de conscience permettrait le passage du « réussir » au « comprendre ».

La métacognition est un ensemble de savoirs, de savoir-faire et de savoir-être liés à une réflexion sur son propre fonctionnement mental pour apprendre. Elle comprend deux aspects qui se construisent conjointement : l’un se rapporte à la connaissance qu’une personne a sur ses propres savoirs et processus cognitifs, l’autre au contrôle qu’elle exerce sur eux. Ce contrôle est une posture mentale qui implique une distance, une décentration, voire un dédoublement, et permet la mise en œuvre d’un système interne de pilotage.


a – Pour l’apprenant, les connaissances métacognitives peuvent être diverses :

Elles portent sur les tâches, les buts, les actions, les stratégies, les expériences sur soi-même et sur les autres personnes confrontées à des activités cognitives.


b – Le contrôle renvoie à l’aspect procédural de la métacognition : l’élève prend de la distance par rapport à lui-même pour gérer la tâche, il se met en état de modifier en permanence ses démarches et ses stratégies pour se donner la meilleure chance d’atteindre le but visé. Ce contrôle s’exerce avant, pendant et après la tâche.

Avant la tâche, il doit identifier celle-ci, la rapprocher d’expériences passées, se représenter le but, anticiper sur la démarche à suivre, se demander s’il a des connaissances pertinentes, planifier des stratégies et des étapes pour atteindre le but.

Pendant la tâche, il doit s’auto-guider en évaluant le résultat de chacune de ses opérations, en détectant les impasses, en cherchant comment corriger les erreurs sans avoir tout à recommencer, il doit en permanence se situer par rapport au but et par rapport aux contraintes de la situation d’apprentissage (la donnée temps, par exemple).

Dans la phase postérieure, il évalue si l’objectif visé est atteint mais peut aussi faire le point sur la réalisation de la tâche, se demander s’il aurait été possible de faire autrement. Il peut « comprendre » quelque chose, dégager une règle, une leçon susceptible de l’aider dans d’autres situations.

Ainsi l’élève métacognitif fait-il des liens entre l’information nouvelle et ses savoirs antérieurs. Il a une représentation du but de la tâche. Il peut planifier une activité, superviser et ajuster sa propre démarche tout au long de son déroulement, ainsi que vérifier régulièrement où il en est par rapport à l’objectif visé. Il peut évaluer le résultat final comme la démarche.

 

Enjeux

L’autonomie et le transfert des connaissances(3)

Un enjeu fondamental de l’introduction à l’école d’objectifs métacognitifs, c’est de faire de l’élève, non un consommateur de savoirs emporté par le flot des activités scolaires, mais un sujet élaborant ses propres savoirs et construisant une pensée autonome. Selon Michel Grangeat(4), appendre, c’est se détacher de son état premier pour devenir autonome, c’est-à-dire acquérir plus de distance vis-à-vis des situations d’apprentissage, s’émanciper des éducateurs, se détacher de ses habituels cadres de pensée et habitudes de travail. La notion de transfert et la compréhension de ses mécanismes ont suscité un intérêt tout particulier. Même si certains ont douté de son existence car les recherches sur les moyens permettant de favoriser le transfert ont donné peu de résultats positifs. Transférer, c’est pouvoir réutiliser dans de nouveaux contextes ce qui a été appris dans un contexte préalable. L’hypothèse a d’abord été posée qu’une grande similitude des tâches facilite le transfert mais elle n’a pas été confirmée et il s’avère qu’au-delà des tâches construites par l’enseignant l’élève construit sa propre représentation des situations proposées. La notion de transfert pose la question de la mobilisation, de la motivation, du sens des apprentissages. Jean Tardif(5) observe une bonne capacité de transfert spontané des apprentissages en dehors des lieux formels de scolarisation qui ne se retrouve pas dans les murs de l’école où il deviendrait « crucial d’intervenir sur la transférabilité des apprentissages et de fournir aux jeunes les outils nécessaires pour qu’ils apprennent à transférer ». Il se demande « comment l’école parvient à « « bloquer » la réalisation d’une capacité régulièrement mise en œuvre en dehors de ses murs ».

 

La prévention de l’échec scolaire

Pour les cognitivistes, une situation d’apprentissage sollicite l’activité mentale du sujet contraint de recueillir et d’analyser des informations, de prendre des décisions, de mobiliser des connaissances, de mettre en œuvre des stratégies. Elle implique l’action du sujet et un auto-contrôle sur cette action.

Or, chez les élèves en difficulté scolaire s’observe un déficit d’activité métacognitive avec notamment une faiblesse de l’auto-contrôle. Ils ont tendance à être dans l’impulsivité, se laissent emporter par l’action sans la réguler de façon réfléchie et mettent en œuvre une pensée irréversible qui n’autorise pas les questionnements sur la pertinence de la démarche et interdit les retours en arrière. Ce déficit d’auto-contrôle est associé à une image de soi négative et à une absence d’auto-attribution de ses propres réussites ou de ses échecs (l’élève ne s’en sent pas véritablement responsable, il les attribue à la chance ou à la malchance, ou encore à la gentillesse ou à la méchanceté de l’enseignant, et il n’imagine pas pouvoir faire un travail mental). L’élève en difficulté ne se surveille pas et n’a pas de raison de le faire puisqu’il estime n’avoir aucune maîtrise des événements. Ne pouvant pas réguler de manière autonome les tâches, ils s’en remet au maître pour lui dire comment se comporter, comment faire, ou encore pour juger de la pertinence d’une réponse.

 

Envisager le rôle de la métacognition dans les apprentissages scolaires

Dans une perspective constructiviste qui parie sur l’éducabilité cognitive, les processus métacognitifs ne se développent pas de façon spontanée mais se construisent progressivement dans le cadre d’interactions. C’est pourquoi, dans les années 80, les chercheurs se sont demandés comment envisager le rôle de la métacognition dans les apprentissages scolaires afin de favoriser l’autonomie et de prévenir l’échec scolaire. Ils faisaient l’hypothèse que cela permettrait de construire des connaissances et des compétences transférables, d’accroître l’autonomie et la motivation tout en construisant un concept de soi positif comme apprenant par le contrôle effectué sur le déroulement de la tâche.

Dans les années 90, une baisse d’intérêt pour le concept a été observée, d’une part parce que la multiplicité des points de vue adoptés par les recherches ne facilite pas vraiment la clarification du concept ; d’autre part parce que l’accent mis sur la méthodologie en termes d’habitudes à construire et d’outils à fournir aux élèves a, en quelque sorte, dénaturé le concept. Mais surtout parce que la centration sur la transmission des savoirs, et non plus sur leur construction, revient en force. Pourtant, il semblerait que les comportements métacognitifs soient aujourd’hui implicitement exigés des élèves(6). La métacognition serait même un élément déterminant de la réussite scolaire, il y aurait là un élément normatif que nous aurions tendance à oublier. Bernard Lahire a montré(7) que la capacité d’avoir un rapport réflexif au langage pour le prendre comme objet d’analyse était un facteur favorisant la réussite dans les différents domaines scolaires. Il regrette que ce rapport distancié au langage ne fasse pas l’objet d’un enseignement explicite visant à le construire chez les enfants qui n’ont pas appris par leur éducation familiale à le « tenir devant soi ». Jean-Yves Rochex va dans le même sens(8) lorsqu’il analyse l’échec relatif des politiques de ZEP par la recherche de la motivation dans la multiplication des projets et non dans la construction de cette capacité à opérer un recul réflexif, sur un registre métacognitif ou métalangagier, sans lequel il n’y a pas réellement d’apprentissages à l’école parce qu’il n’y a pas de différenciation entre les tâches et les objets d’apprentissage. « Que représente en effet la métacognition ? La possibilité pour celui qui apprend de se mettre à distance de ce qu’il fait, des situations dans lesquelles ils est impliqué, afin d’en comprendre les ressorts, les tenants et les aboutissants, d’avoir ainsi conscience de sa conscience, de se montrer capable de penser sa pensée »(9).

Ajoutons que penser la dimension métacognitive dans sa pratique pédagogique ne va cependant pas de soi, d’une part parce que l’enseignement demeure encore fortement centré sur la réussite plus que sur les processus d’apprentissage, d’autre part parce que les processus mentaux mis en œuvre dans une résolution de problèmes sont difficilement rendus explicites et donc difficilement transmissibles. Une « technique » comme celle de l’entretien d’explicitation, développée par Pierre Vermersch(10), est une modalité possible de mise à jour de ces processus mentaux pour l’élève comme pour l’enseignant. Malgré la qualité des apports de l’explicitation, et celle de ses formateurs, peu nombreux sont encore les enseignants ayant pu en bénéficier dans le cadre de leur formation initiale ou continue...

 

Médiation, langage intérieur et métacognition

L’idée principale du concept de médiation, c’est celle d’un passage de l’inter-individuel à l’intra-individuel. Selon Vygotski, « chaque fonction psychique supérieure apparaît deux fois au cours du développement de l’enfant : d’abord comme activité collective, sociale, et donc comme fonction inter-psychique, puis la deuxième fois comme activité individuelle, comme propriété intérieure de la pensée de l’enfant, comme fonction intra-psychique »(11). Le jeune enfant se parle à lui-même comme s’il était un autre, et le plus souvent en présence d’autres personnes. Puis ce « monologue collectif » va peu à peu se transformer en langage intérieur qui permet à l’enfant de se décentrer de son action, de faire le détour par la représentation et la réflexion.

La qualité des interactions avec les adultes détermine celle de cet espace du langage intérieur. Il importe en effet que l’adulte offre au jeune l’enfant la possibilité d’être seul et d’agir seul sous un regard bienveillant ou même simplement d’une présence rassurante. Il importe également que l’enfant bénéficie de l’étayage et tout particulièrement du langage explicite d’une personne plus experte que lui. Par ce langage, l’adulte conduit l’enfant à se créer une représentation de la tâche et à construire des relations entre une succession de questions, d’actions, d’observations et la poursuite du but.

Bruner a montré comment des adultes étayants adaptaient leurs interventions auprès d’un public d’enfants âgés de 3, 4 ou 5 ans. Auprès des plus jeunes, ils privilégient l’enrôlement dans la tâche, c’est-à-dire qu’ils cherchent avant tout à les séduire en utilisant le jeu, en leur montrant comment faire ou en utilisant du matériel attractif, dans le but de leur faire observer le résultat de différentes tâches pour les identifier tout autant que pour se les attribuer.

Auprès des enfants de 4 ans qui interagissent essentiellement par le langage, ils interviennent surtout sur le déroulement de l’action, invitent l’enfant à se rappeler le but, à voir si ses tentatives vont bien dans le bon sens ou si elles ont besoin d’être rectifiées. L’enfant est peu à peu invité à prendre en charge le guidage d’abord exercé par l’adulte.

Auprès des enfants de 5 ans, la tutelle porte davantage sur l’« après ». L’enfant est orienté vers la vérification et la validation de chacune des étapes et l’évaluation du résultat final.

Ainsi, dès l’école maternelle, le maître peut favoriser la découverte par l’enfant de sa propre activité mentale. Pour cela, il doit se centrer davantage sur les procédures que sur le seul résultat final des tâches et permettre au petit élève de mettre des mots sur ce qu’il fait, sur comment il le fait, dans quel but, avec quel résultat.

 

L’élève métacognitif et l’enseignant réflexif

Ni directif, ni non-directif, le maître-tuteur devient, selon l’expression d’Anne-Marie Dolly, « médiateur de l’acquisition de l’autonomie dans les apprentissages »(12). Ses objectifs d’acquisition des savoirs par l’élève sont doubles : acquisition de connaissances mais aussi de compétences métacognitives. C’est pourquoi il ne présente pas le savoir comme un objet fini. Il montre que tout savoir est le produit d’une genèse, qu’il est le fruit d’essais, d’erreurs, de retours en arrière. S’il veut conduire les enfants à se détacher de la forme et de l’apparence, qu’ils se construisent une représentation de ce qu’ils sont en train de faire et s’interrogent sur ce qu’ils sont en train d’apprendre, qu’ils comprennent qu’apprendre est un processus et qu’il y a des « choses intellectuelles » à faire pour cela, l’enseignant doit lui-même se centrer moins sur les productions et accorder davantage d’attention aux procédures des élèves.

Ce médiateur pense et organise l’environnement pour faciliter l’apprentissage. Il propose des situations où l’élève pourra aller au-delà de ce qu’il fait avec l’aide apportée. Il enrôle le sujet dans une tâche finalisée dont il l’aide à se représenter le but, notamment en le conduisant à définir des critères de réussite. Il évite que le sujet se jette dans la tâche sans en analyser les données et sans avoir en tête les contraintes qui y sont liées. Il évite également que le sujet se décourage et renonce, en dédramatisant l’erreur et en soulignant les réussites partielles, les recherches intéressantes.

Selon Bruner, cette médiation n’est possible que si le maître possède une théorie de la tâche (des connaissances sur celle-ci : quels sont les incontournables ? autorise-t-elle différentes procédures ?) et une théorie de l’élève (connaissances sur les élèves d’un certain âge, d’un certain niveau et connaissance d’un élève particulier) qui passe par l’observation des démarches, l’analyse des erreurs. Ajoutons qu’il doit également posséder des compétences métacognitives, savoir où il veut aller et piloter le guidage exercé sur l’enfant. S’il souhaite construire une distanciation entre le sujet et le savoir, il doit posséder lui-même une certaine capacité de recul réflexif.

Philippe Perrenoud(13) avance que le praticien réflexif est un enseignant qui prend de la distance par rapport à sa manière d’agir, de façon à la fois critique et constructive, qui pratique régulièrement le doute et l’analyse.

Dans cette mesure, développer les connaissances et les compétences métacognitives des élèves ne relève-t-il pas d’abord d’un projet éthique visant l’autonomie de pensée de l’enfant par l’observation des démarches des élèves et un retour sur ses propres démarches d’enseignant ?

Claudine Ourghanlian
Septembre 2006


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Notes

(1) J. Flavell, « Développement métacognitif » in J. Bideaud et M. Richelle, dir., Psychologie développe­mentale : problèmes et réalités, Mardaga, 1985.

(2) J. Piaget, La prise de conscience, 1974.

(3) Sur le transfert, et la complexité d’une notion difficile à stabiliser, voir l’excellent n° 408 des Cahiers pédagogiques de novembre 2002, coordonné par J.-F. Tressol, Savoir, c’est pouvoir transférer ?

(4) M. Grangeat, coord., La métacognition, une aide au travail des élèves, ESF, 1997 ; ici, le chapitre 3 « La métacognition, un enjeu pour l’autonomisation » (2ème éd., 1999, pp. 95-129).

(5) « Faut-il réactualiser le concept ? », entretien avec J. Tardif, in Cahiers pédagogiques op. cit. pp. 13-14.

(6) Notons que la brochure Le collège des années 2000 (BOEN n° 23 de juin 1999) recommande explicitement aux enseignants d’utiliser une démarche métacognitive dans le déroulement ordinaire de la classe.

(7) B. Lahire, Culture écrite et inégalités scolaires, Presses universitaires de Lyon, 1993.

(8) E. Bautier et J.-Y. Rochex, « Apprendre : des malentendus qui font la différence », in J.-P. Terrail, La scolarisation de la France, La Dispute, 1997, chap. 6, pp. 105-122.

(9) M. Develay, « Introduction » in M. Grangeat, op. cit., p. 10.

(10) Voir, en première lecture, P. Vermersch, L’entretien d’explicitation en formation initiale et en formation continue, ESF, 1994 ; P. Vermersch et M. Maurel, dir., Pratiques de l’entretien d’explicitation, ESF, 1997 – en particulier le chapitre 3, rédigé par Agnès Thabuy, « Apprendre à se mettre " entre parenthèses " : l’exemple de l’AIS ».

(11) B. Schneuwly et J.-P. Bronckart, Vygotski aujourd’hui, Delachaux et Niestlé, 1985, p. 111.

(12) A.-M. Dolly, « Métacognition et médiation à l’école » in M. Grangeat, op. cit., chapitre 1, pp. 17-61.

(13) P. Perrenoud, « Mettre la pratique réflexive au centre du projet de formation » in Cahiers Pédagogiques n° 390, janvier 2001, pp. 42-45.


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