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Les phénomènes d’auto-censure dans l’orientation scolaire des jeunes issus de milieux populaires et défavorisés sont aujourd’hui bien connus. De nombreuses recherches en sciences sociales et de l’éducation ont bien mis en évidence ce phénomène (parmi de nombreux ouvrages, trois récents : S. Garcia, Le goût de l’effort, PUF, 2018 ; D. Guilbaud, L’illusion méritocratique, Odile Jacob, 2018 ; B. Lahire, Enfances de classe, 2019). Récemment aussi, le film La vie scolaire (Grand Corps Malade, Mehdi Idir, 2019) met le doigt sur cette question.

Pour différentes raisons, une partie de ces élèves s’interdisent de penser qu’ils peuvent accéder à un parcours de formation en lycée d’enseignement général. Même avec des résultats satisfaisants, certains de ces élèves ne se sentent pas destinés à l’enseignement général (réservé aux « bourges », aux « nantis »), mais se sentent destinés au mieux à un enseignement professionnel dévalorisé, avec l’aval de leurs parents, et de certains de leurs enseignants. Le lycée d’enseignement général, ce n’est pas pour eux ! Même si quelques autres surmontent le parcours méritocratique, extrêmement nombreux sont les élèves de ces milieux défavorisés qui s’auto-censurent et se condamnent eux-mêmes à des orientations dévalorisées.

On peut retrouver le même phénomène avec des élèves en situation de handicap. Emma est une jeune fille sourde en classe de 3ème. Dans son parcours de formation, elle est accompagnée pendant les cours de collège par des interfaces en langue des signes ou par des enseignants spécialisés : sans cette aide, elle n’est pas en mesure de traiter les informations langagières. Avec cette aide, elle est en mesure de faire les apprentissages attendus dans une classe de 3ème, avec des difficultés toutefois dans les compétences de production écrite.

Vient le temps des choix d’orientation pour le lycée. Emma rêve d’aller en lycée d’enseignement général. Elle sait que c’est la « voie  royale » dans les études, et elle serait fière d’y aller. Elle sait aussi que c’est difficile, qu’il faut travailler, et il y a là quelques motifs d’inquiétude dans son esprit. Pour n’importe quel élève avec les résultats qu’elle a (bulletins scolaires et livret de compétences) la question ne se poserait pas : il lui serait proposé une orientation en lycée d’enseignement général. C’est d’ailleurs spontanément ce qu’aurait proposé une grande partie de l’équipe d’enseignants du collège.

Mais voilà : elle est sourde ! L’inquiétude initiale est alimentée par certains professionnels de la surdité (enseignants spécialisés). Leurs doutes sur les capacités d’Emma à effectuer un parcours en enseignement général (« un sourd doit fournir beaucoup plus de travail que les autres », « elle aura quand même quelques difficultés d’abstraction », etc.) se diffusent auprès de leurs collègues du collège, et surtout d’Emma, et chez ses parents. Emma résiste cependant, et plus elle résiste, plus elle est mise en garde sur les difficultés qu’elle rencontrera.

Et au dernier moment, elle finit par choisir une formation en lycée d’enseignement professionnel. Elle n’aurait pas été handicapée, l’orientation en enseignement général n’aurait posé aucun problème. Mais étant sourde, un destin lui est attribué par son entourage, celui d’un parcours en enseignement professionnel, destin qu’elle intériorise et s’attribue elle-même : elle ne s’est finalement pas sentie capable de réaliser le parcours dont elle rêvait. La situation de handicap n’est pas chez Emma, mais dans l’environnement qui lui interdit son choix de vie.

 
Un texte de Jean-Yves Le Capitaine
9 octobre 2019

 
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