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Que faire de l’aide personnalisée ?

 

 
Un texte de Dominique Fontaine,
enseignant spécialisé


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Le 5 juin 2008, la circulaire 2008-082 « Organisation du temps d’enseignement scolaire et de l’aide personnalisée dans le 1er degré » a fait surgir une nouvelle modalité de l’aide dans le paysage de l’école. Mais ces nouveaux mots dans l’emploi du temps des professeurs des écoles sonnaient creux, tant cette aide personnalisée prenait l’apparence d’un nouvel objet scolaire non identifié. Il était demandé aux fonctionnaires enseignants de faire usage d’un “produit” descendu de la haute sphère ministérielle. Mais s’il était bien perçu, était-il suffisamment conçu ?

 

L’aide personnalisée : le risque du non-sens pédagogique

Ne pouvant penser cette nouvelle tâche, l’école l’a assimilée à cette vague notion de “soutien”. Voilà un terme un peu daté mais qui pouvait rassurer. Face à l’incertitude, il peut être rassurant de se rattacher à ce qui est connu ou bien à des croyances. Dans le langage des enseignants, la dénomination “aide personnalisée” est peu entendue, alors que le mot “soutien” est très utilisé. Une nouvelle représentation ne peut se créer dans la fulgurance de notre pensée qu’à partir du moment où une différence apparaît dans les perceptions que nous tirons de la réalité environnante. Or là, concernant l’aide personnalisée, il faut bien admettre qu’il s’agissait plus de confusion que de différence. N’était-ce pas une confusion savamment voulue à l’époque des coupes drastiques dans le budget de l’État ? Telle une belle médaille à deux revers, l’aide personnalisée pouvait être dévisagée :

Résumons : aide personnalisée, aide spécialisée et soutien, c’est du pareil au même. Seulement, taire les différences, c’est confronter les ensei­gnants à un “impensé” pédagogique, des parents d’élèves à leur désillusion, mais – surtout – des élèves à la répétition de leur symptôme.

Le texte de référence est loin d’éclairer cette nouvelle modalité de l’aide à l’école. A priori, elle s’adresse à tous les élèves en difficulté, sans distinction : « Les élèves rencontrant des difficultés bénéficient, au-delà des temps d’enseignement obligatoire, d’une aide personnalisée de 2 heures maximum par semaine selon les modalités définies par le projet d’école. » Dans une logique de « contrôle des résultats », la circulaire recommande aux enseignants de soumettre les performances individuelles (« évaluations ») à la norme (« programmes de l’école primaire »). Les produits finis proposés par les élèves doivent permettre de repérer les lacunes des élèves. On en reste à une analyse de surface. On quantifie, on établit des pourcentages, on présente une « liste au conseil des maîtres ou conseil de cycle » et on lance l’opération de sauvetage. C’est mathématique. Il n’y a pas à se poser de question. Il n’y a pas à attendre pour combler illico les manques constatés. On veut du chiffre. Il faut redresser le niveau de la « fabrique de crétins » !

Dans cette affaire pédagogique, on oublierait presque qu’il est normal pour certains élèves de s’attarder dans leurs apprentissages, d’avoir besoin de prendre leur temps pour adapter leurs représentations. En se faisant urgence pour répondre aux compétences qui n’en finissent pas de s’installer chez certains élèves, l’école diffuse de l’angoisse. L’aide massive réparatrice est chargée d’annuler cette suspension du temps de l’apprentissage, en venant rapidement boucher ces lacunes qu’on ne saurait voir plus longtemps. Cette impatience n’est-elle pas symptomatique ? N’est-ce pas la marque d’une société névrotique que de ne pas vouloir être contrainte au réel, à “ce qui ne va pas” ?

L’action d’aide directement pensée pour l’élève “aidé” situe clairement le “désir” du côté de l’enseignant. L’offre nouvelle d’aide personnalisée à l’école crée des besoins pressants d’aide chez les enseignants. La nature ayant horreur du vide, des élèves doivent donc venir remplir cette case de l’emploi du temps. Et le temps presse : il faut faire ses heures. Le temps de l’analyse préalable à l’indication d’aide est court-circuité. Des élèves qui n’ont rien à y faire se trouvent embarqués dans le bateau de l’aide personnalisée qui navigue à vue. Oh, ils y viennent souvent bien volontiers tant qu’ils y trouvent leur compte de relation ! Mais quand il s’agit de se mettre au travail, est-ce qu’il y a quelqu’un pour se demander si l’élève est réellement concerné ? L’expérience de l’aide nous démontre qu’il est vain de s’acharner à vouloir faire le bien aux autres, à leur place ! Ce peut être d’ailleurs particu­lièrement violent pour les élèves qui ne peuvent pas faire autrement que d’échouer pour – par exemple – sauvegarder quelque chose de leur désir de sujet.

Le scénario catastrophe est facile à imaginer : un(e) enseignant(e) un peu “rigide” ne veut rien savoir de la difficulté de son élève de CP. Il (elle) le contraint à rallonger ses journées de travail (plutôt éprouvantes à son âge, dans le système français) pour lui faire subir la répétition de séances de “phonologie” et de “lecture de gammes syllabiques”. Imaginez le besoin de fuir chez l’élève et le besoin de rattraper chez l’enseignant(e), l’angoisse des deux protagonistes, la course-poursuite, l’absence de rencontre. À défaut de dialogue pédagogique, l’élève aura droit à un dialogue de sourds qui ne peut que le conforter dans son symptôme. Imaginez que des leçons l’attendent, à son retour à la maison : “des mots à savoir écrire”. Quand peut-il ne redevenir qu’un enfant ? Imaginez que ce scénario puisse se reproduire plusieurs fois par semaine, tout au long de l’année scolaire. Imaginez qu’il n’y ait pas (plus) d’avis extérieur, tiers (enseignant spécialisé, psychologue scolaire, collègue, directeur), qui viennent interroger ce non-sens pédagogique. L’école peut – à son insu parfois – maintenir en otage des élèves en aide personnalisée. Ce sont finalement les mêmes abus qu’elle a pu parfois dénoncer quand des prises en charge orthophoniques inefficaces s’éternisaient pendant cinq ou six ans, sans que personne n’y trouve à redire (pas même la sécurité sociale !). Le risque, c’est que ces pratiques incontrôlées s’enferment dans le registre du soin (remède), bien loin de l’idée de l’aide. En oubliant qu’elle s’adresse à des sujets animés d’un désir propre, l’école peut oublier d’être ce que François Dolto appelle une « école de la vie ». Elle se déshumanise. Mais le paroxysme se trouve probablement atteint lorsqu’on force l’élève de CM à des “heures de rattrapage” sur son temps de vacances. La course “ folle” du maître assoiffé de maîtrise (et de récompense pécuniaire) tente vainement de récupérer “son” élève qui ne se détermine pas à être sa possession, mais “un” élève au singulier. Pour sauvegarder la condition même de son existence, le sujet n’a (parfois) pas d’autre choix que de résister à toute entreprise de façonnage venant de l’extérieur. À mesure que la difficulté se répète, la surdité du maître peut devenir sévère.

Le discours sur le symptôme a toujours été difficilement accepté dans le milieu scolaire. À l’époque où le “neuro-comportementalisme” occupe le devant de la scène médiatique et remplit les cabinets médicaux, la sujet a peut-être encore plus de mal à se faire entendre. À partir du moment où la difficulté scolaire est vouée à se traiter exclusivement en termes d’objectifs et de résultats, la question du sens de cette difficulté est largement éludée. L’enseignant se trouve devant une injonction de performance qui ne manque pas de susciter un sentiment de culpabilité. En rattachant l’analyse des résultats des élèves à l’efficacité pédagogique de son maître, l’identification de celui-ci à la difficulté de son élève risque de se renforcer. Les enseignants pourront-ils supporter de s’entendre dire : « Que faites-vous pour vos élèves qui ont moins de 33% de réussite ? » Sauront-ils se décaler de ces demandes de résultats ? Il y aura toujours l’enseignant trop accaparé par sa propre difficulté pour ne rien vouloir savoir de la difficulté de l’autre (celle de son élève, en l’occurrence). Il y aura aussi l’enseignant capable d’appréhender la relation d’aide avec sa fragilité (la conscience de ses limites) et qui tentera de comprendre l’autre (l’élève) pour mieux l’aider. Beaucoup d’enseignants ont choisi ce métier parce qu’il implique de la relation et relève de l’éducation. Leur imaginaire les amène probablement à s’opposer passivement aux directives actuelles excessivement rationalistes.

 

L’aide personnalisée : la possibilité d’une créativité pédagogique

Avec son caractère elliptique, la circulaire 2008-082 offre néanmoins la possibilité de devenir les auteurs de ce changement. Il y a toujours – pour les professeurs des écoles – la possibilité d’être créatifs à partir de cet objet à investir. Et il n’y a guère d’autre issue que de passer par l’échange avec l’élève et avec les collègues pour faire advenir cette “aide personnalisée”. On ne va pas l’inventer tout seul dans son coin. Il y a plus que jamais urgence non à faire, mais à se parler.

De nombreux enseignants ont pu dire leur questionnement face à cette “aide” inconnue et leur scepticisme par rapport aux effets attendus ! Combien d’indications d’aide personnalisée se sont faites “à la louche” ? Combien de séances d’aide personnalisée ont été improvisées ? Quelle réflexion a pu réellement se mettre en place pour qu’une représentation commune se dégage autour de cette aide ? Combien d’élèves ont été – d’un coup – dits “en difficulté” à partir du moment où cette aide a vu le jour ? La pratique de l’aide spécialisée nous apprend qu’une action d’aide qui n’est pas précédée d’une recherche de compréhension conduit à une impasse. La difficulté de l’élève peut se répéter à l’infini et en tous lieux tant quand le sujet n’a pu être rencontré dans la singularité de ce qu’il manifeste. Et cette rencontre d’aide ne va pas de soi. Pour éviter les nombreuses fausses pistes, il vaut mieux en passer par “l’autre” : ce que peut en dire l’élève lui-même, ce que peuvent en dire des collègues... Pour élaborer à partir de “ce qui ne va pas”, il faut que de la parole circule. Dans l’emploi du temps des 108 heures, chaque heure est désormais comptée (logique comptable !). Il n’existe pas (ou peu) d’espaces et de temps pour penser l’action pédagogique. La densité des programmes et le rétrécissement de la formation continue ne font que réduire davantage le champ de la réflexion pédagogique. La pédagogie qui oublie l’effort de théorisation et s’enferme dans une répétition de la pratique risque alors de s’appauvrir. Dans la vie, tout est mouvement. Pourquoi la pédagogie y échapperait ? Elle est toujours à réinventer, à adapter, parce qu’elle met en jeu des sujets et des personnes inscrites dans une époque, ainsi que des cadres souvent modifiés. Pour ce qui est du “traitement de la difficulté” à l’école, on ne peut que constater la mouvance des cadres institutionnels : loi de 2005 sur le handicap qui élargit les publics d’élèves accueillis, mise en œuvre du PPRE, suppression progressive de postes de RASED, apparition de l’aide personnalisée...

L’aide personnalisée n’est pas (ou peu) pensée, en amont, par les équipes pédagogiques. Elle ne l’a pas été beaucoup plus en aval, par les décideurs institutionnels. Cette aide personnalisée souffre – à l’évidence – d’un défaut d’invention, de définition et d’évaluation. Est-ce qu’elle pourra se faire un nom ?

De mon point de vue, l’aide personnalisée peut être envisagée comme une démarche de résolution de problèmes. C’est un accompagnement à proposer à l’élève pour l’aider au dépassement des obstacles d’apprentissage. L’obstacle est inhérent à tout apprentissage. Apprendre, pour les élèves qui réussissent, c’est un parcours accessible et plutôt plaisant, mais auquel il faut néanmoins s’adapter. L’adaptation peut consister à pouvoir faire demi-tour pour mieux s’outiller, faire une pause pour mesurer le chemin parcouru et se projeter dans l’étape suivante. L’aide personnalisée peut permettre de reconstruire certains apprentissages lacunaires ou mal établis (des finalités, des définitions, des procédures) ou d’élaborer des étayages (outils d’aide) provisoires pour progresser. Elle ne vise donc pas à corriger le produit mal fini par l’élève en refaisant ce qui a été raté en classe ou bien en appliquant des recettes pédagogiques. Il ne s’agit pas tant – pour l’enseignant – de faire travailler l’élève comme il le ferait en classe que de lui donner la parole. L’apprentissage passe par la médiation privilégiée du langage. Parmi les objets de savoir à appréhender, certains sont sus avec l’autre et d’autres ne sont pas sus avec l’autre. Il y a des apprentissages qui échappent à la prise de conscience de l’élève. En relevant du langage, l’apprentissage peut diviser. La difficulté vient révéler qu’il y a eu, dans le processus d’apprentissage, une incompréhension entre l’élève et son ensei­gnant. Pour dépasser cette difficulté, il faut pouvoir rétablir le dialogue pédagogique. La responsabilité de l’enseignant qui prétend aider un élève consiste donc à tenter de rejoindre l’élève dans son savoir et sa logique. Aider implique une rencontre, donc une écoute et une interaction. Dans ces conditions, l’aide personnalisée ne devrait pas trop se préparer puisqu’il s’agit de faire un peu de place en soi pour accueillir l’élève avec son savoir et son rapport au savoir. Partant du principe que l’aide se situe dans une relation, l’aide personnalisée ne peut se concevoir qu’à partir du moment où le sujet accepte de savoir quelque chose de sa difficulté (de son manque) et d’émettre un désir par rapport à ses apprentissages qui s’effectuent difficilement. Il doit pouvoir voir sa difficulté dans l’espace (en face, à distance) et dans le temps (estimer ce qui fonctionne et ce qui bloque, revenir sur une étape du processus d’apprentissage incomprise, envisager les étapes à venir). Il doit pouvoir parler de sa difficulté, de sorte de ne plus tout à fait y être empêtré. Avec lui, le doute est permis. Si l’on conçoit l’aide personnalisée comme une démarche de résolution de problèmes, les verbalisations de l’élève constituent la base du travail de réélaboration du savoir. Le travail d’explicitation mené par l’enseignant peut lui offrir la possibilité d’aller au bout de sa logique, de ses idées, de ses croyances, afin qu’il se rende compte par lui-même que “ça ne va pas” et qu’il faut adapter ses connaissances et/ou compétences. L’aide personnalisée s’adresse, donc, clairement à l’enfant qui a suffisamment élaboré son statut d’élève et le statut du savoir. Dans cette démarche, le maître (ou la maîtresse) est invitée à quitter – pour un temps – sa maîtrise. Il s’agit de se faire partenaire du symptôme de l’élève, c’est-à-dire de “ce qui tombe avec” les demandes scolaires spécifiques qui le mettent systématiquement en échec. Ce qui anime le sujet, ce n’est pas une question posée par l’autre, mais plutôt la recherche d’une réponse qu’il se pose avec l’autre. Pour ce faire, la difficulté ne doit pas envahir complètement la scène scolaire, son rapport aux apprentissages. L’élève est globalement dans une dynamique d’apprentissage. L’enseignant peut le dire “volontaire” dans certains domaines d’apprentis­sage. Son désir d’apprendre peut se manifester dans quelques activités scolaires. Mais il y a ci et là des accrocs, des difficultés ponctuelles, réduites, localisables dans le tableau des compétences. Il est possible de les nommer. L’enseignant est convaincu que son dépassement n’est qu’une question de temps. Il peut l’envisager. L’aide personnalisée pourrait s’inaugurer avec un discours d’ouverture, sur le mode de la proposition. Par exemple, dans le cas d’un élève de cycle 3 en difficulté orthographique dès lors qu’il s’agit de traduire par écrit les compétences et les connaissances qu’il mobilise à l’oral : « Je vois bien que c’est difficile pour toi quand il faut écrire. Il y a des choses qui t’empêchent de pouvoir écrire correctement ce que tu penses. J’ai l’impression que tu ne sais pas toujours comment faire pour écrire certains mots. Je crois que tu peux progresser. Je voudrais comprendre avec toi ce qui t’empêche d’écrire les bonnes idées que j’entends quand tu t’exprimes à l’oral. Es-tu d’accord pour chercher avec moi des solutions à ce problème-là ? »

La recherche de solution implique les forces créatives de l’élève et des enseignants. Le travail consiste à lever les différentes incompréhensions chez l’élève par rapport aux apprentissages attendus. Et c’est souvent une question de sens qui se cache derrière un obstacle d’apprentissage :

Fondamentalement, l’aide personnalisée est un travail qui se déroule dans le registre du symbolique. C’est un moment différé du temps de la classe, décalé de l’urgence des apprentissages quotidiens. C’est un moment pour prendre le temps de “re-parcourir” – avec l’élève – le chemin du savoir, à partir de ce qu’il peut en dire (des mots et des exemples qu’il utilise). Le matériau est fait essentiellement de représentations. En signifiant à l’élève qu’il n’y a pas d’applications toutes prêtes pour régler ce problème, il peut prendre conscience de la singularité de sa difficulté. Ce n’est pas une difficulté en général, mais la sienne, qui nous met au travail. Et il y peut quelque chose. C’est une façon de considérer l’élève comme sujet de ses apprentissages que de l’impliquer dans le dépassement de ses propres difficultés d’apprentissage. Il devient alors possible de penser l’expres­sion “aide personnalisée” :

Il est évident qu’une démarche d’aide suppose une certaine disponibilité de la part de l’enseignant(e). Dans la mesure où l’expression de l’enfant et la verbalisation de l’élève précèdent l’action, il est difficile d’envisager l’aide personnalisée avec des groupes trop élargis. L’idée d’une aide personnalisée assurée par un enseignant en direction d’un seul élève serait tout à fait défendable. Et pourquoi ne pas imaginer que des temps d’aide personnalisée se déroulent sans élèves présents physiquement mais présents symbolique­ment, des temps institués au cours desquels une équipe d’enseignants, à partir d’une situation exposée par un collègue, essaierait d’envisager les obstacles repérés, la problématique pédagogique, l’indication d’aide et la démarche d’aide ?

 

L’aide personnalisée : l’articulation avec l’aide spécialisée

La circulaire 2009-088 « Fonctions des enseignants spécialisés des réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté (RASED) dans le traitement de la difficulté scolaire à l’école primaire » met en évidence le fait que « l’aide personnalisée, ou les stages de remise à niveau au cours moyen... peuvent se révéler insuffisants ou inadaptés pour certains élèves ». L’ensei­gnant spécialisé doit alors contribuer à « mieux analyser ces situations parti­culières » et à « construire des réponses adaptées ». Une évolution de la posture de l’élève dans sa façon d’appréhender la réalité scolaire est attendue du côté des « attitudes et méthodes de travail » (aide à dominante pédago­gique) ou du côté des « rapports de l’enfant aux exigences de l’école... [de] son investissement dans les tâches scolaires » (aide à dominante rééduca­tive), en sachant que « ces deux formes d’aides, quoique distinctes, ne sont pas cloisonnées ».

L’aide spécialisée (de fait incarnée par un autre enseignant) implique une demande. Charge à l’enseignant spécialisé d’écouter la plainte du maître de la classe afin de séparer :

Ce travail initial de désencombrement permet d’envisager la posture d’aide adaptée à la situation et les étayages possibles pour faciliter les appren­tissages dans la classe. Plus généralement, le projet d’aide spécialisée repose sur la reconnaissance par chacun (enseignant, élève, parents) de la part qui lui revient dans l’émergence et la résolution de la difficulté. De sa position tierce, l’enseignant spécialisé vise – dans un même mouvement – l’émanci­pation du sujet et la normalisation de l’élève. Son approche est centrée sur la logique d’apprentissage de l’enfant face aux “objets scolaires”. Elle nécessite de rejoindre l’enfant dans ce qui le mobilise, là où il reste fixé dans son rapport au savoir. L’évolution souhaitée passe par un détour, des médiations, un cadre, une temporalité. Ce qui est attendu, c’est un déplacement de la position du sujet par rapport au savoir. En aide personnalisée, l’élève se trouve suffisamment sécurisé pour attaquer l’obstacle d’apprentissage de front. Après la classe, il s’agit de revenir sur la trace des apprentissages pour qu’il apprenne à franchir – par lui-même – certains obstacles jusque-là évi­tés, quitte à modifier sa destination, sa direction et quelques définitions. En aide spécialisée, l’élève emprunte un parcours d’aide qui peut lui permettre de reconsidérer son rapport aux autres et/ou au savoir. Il s’agit, pour lui, d’emprunter une autre trace pour apprendre à devenir écolier et élève.

Dans ces deux types d’aide, la perspective finale des apprentissages attendus par l’organisation sociale est conservée, mais le chemin emprunté est différent. La circulaire 2009-088 envisage la jointure entre ces deux types d’aides : « Quand un élève relève successivement, voire concomitam­ment, de l’aide personnalisée et de l’aide spécialisée, il convient de garantir la complémentarité entre les deux modes d’action ».

L’idée d’un continuum d’une aide vers l’autre est tout à fait concevable, quand l’enfant devient élève et porte un intérêt nouveau aux apprentissages qu’il ne voulait pas voir jusqu’à présent. L’évolution de la posture de l’élève face aux apprentissages s’organise dans une certaine durée. Mais quand l’enfant devient capable de penser par lui-même, lorsqu’il peut actualiser ses compétences cognitives, il est possible de lui proposer d’actualiser ses compé­tences scolaires.

L’idée de la coexistence des ces deux aides est plus difficile à penser. Comment est-ce possible d’apprendre un métier tout en le faisant ? Il est vrai – pour rester dans le domaine de l’enseignement – que l’on peut désormais être enseignant sans formation pédagogique préalable ! Il faudrait alors, peut-être, penser parallèlement l’aide dans certains apprentissages spéci­fiques et l’aide au devenir d’élève, sur le mode de la formation par alternance. Il y aurait – pour certains élèves en difficulté – des moments d’exercice de leurs compétences dans des situations concrètes d’apprentissage en classe. Il y aurait d’autres moments pour prendre du recul par rapport à l’exercice de son activité. Mais cette « concomitance » entre les deux aides ne pourrait signifier quelque chose que dans le cas d’élèves rencontrant des difficultés électives :

  1. Certains élèves réussissant brillamment face aux demandes d’application (de règles, techniques...) et de restitution (de connais­san­ces, de poésies, d’autodictées...) tout en échouant massivement face aux demandes d’élaboration (de compréhension, de raisonne­ment, d’imagi­nation). C’est la question du sens qui les divise. Quand il s’agit de penser comme l’autre (avec les mots de l’autre), ces élèves sont performants. Quand il s’agit de penser par soi-même (avec ses propres mots), ces élèves se trouvent en grande difficulté. Leur position subjective trop peu affirmée les empêche de réussir, même si – par ailleurs – ils se mon­trent volontaires pour remplir leurs devoirs d’élèves.
  2. D’autres élèves se révèlent pertinents dès lors qu’on sollicite leurs capacités logiques et créatives, tout en résistant à entrer dans les conventions, les règles, les automatismes que l’école ne manque pas de leur imposer. C’est la question du cadre qui les divise. Quand il s’agit de mettre en avant leur originalité, ces élèves sont perfor­mants. Quand il s’agit de fonctionner comme tout le monde, ces élèves se trouvent en grande difficulté. Leur position subjective trop affirmée les empêche de réussir, même si – par ailleurs – ils se montrent investis cognitivement quand les tâches scolaires leur offrent une possibilité d’expression.

Dans la mesure où la « concomitance » des deux aides serait retenue, l’équipe pédagogique aurait tout intérêt à bien discerner le champ d’inter­vention de chacune des aides :

 

Conclusion

Si les mots ont encore un sens, celui de l’expression “aide personnalisée” reste à inventer. Dans cet article, j’ai voulu participer à la discussion, en tentant d’élaborer une représentation pédagogiquement acceptable. Il m’a semblé qu’avant de faire l’aide personnalisée, il fallait peut-être se demander ce qu’elle pouvait être.

Situant l’aide personnalisée clairement dans les apprentissages, je propose de l’envisager comme un accompagnement de l’élève dans la recherche de solutions personnalisées aux problèmes d’apprentissage qu’il rencontre. C’est l’obstacle qui se dresse dans l’acte d’apprendre qui pose problème à l’élève, obstacle lié aux appréhensions, aux finalités, aux signifi­cations, aux stratégies... Elle implique donc que l’élève accepte de voir sa difficulté manifeste, de la travailler, d’en dire quelque chose, pour acquérir les compétences visées. Dans la mesure où l’élève a des attitudes défensives face la proposition de “réparation” et qu’il signifie – de la sorte – que son problème est ailleurs, l’aide personnalisée devient rapidement contre­productive.

Par souci de différenciation, l’aide spécialisée s’adresse aux élèves qui ne peuvent agir directement sur leur difficulté; nécessitant par là-même des détours pédagogiques. L’acte d’apprendre les confronte à quelque chose d’insoutenable. Elle s’adresse clairement à des enfants qui ont du mal à devenir vraiment élèves. C’est une aide aux apprentissages.

La succession des deux aides peut s’entendre dans la mesure où la progression du rapport aux apprentissages d’un élève l’amène à être davantage mobilisable dans les apprentissages.

La concomitance des deux aides ne peut s’entendre que lorsque la difficulté de l’élève est parcellaire, c’est-à-dire qu’elle n’englobe pas, à la fois, le versant instrumental et le versant de l’élaboration. Il existe un point d’appui qui autorise, en amont, un travail sur le rapport aux apprentissages et, en aval, un approfondissement de certains apprentissages.

Avec l’apparition de l’aide personnalisée, les enseignants spécialisés ont eu le sentiment d’être menacés d’anéantissement. Leur réaction de défense a probablement consisté à se protéger, en cloisonnant les deux types d’aide. Un élève relevait soit de l’aide spécialisée, soit de l’aide personnalisée. C’était catégorique, indiscutable ! Ce sentiment était en grande partie fondé par les interventions répétées du ministre de l’époque qualifiant systématiquement les RASED de « réseaux d’aides et de soutien aux élèves en difficultés ». Autrement dit, du côté institutionnel, il y avait confusion et, du côté des enseignants spécialisés, il y avait cloisonnement. Dans l’intérêt des élèves à aider et des enseignants à accompagner, il me semble que le temps est venu de différencier et d’articuler ces deux types d’aide...

Dominique Fontaine
Novembre 2010

 
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