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Quels besoins scolaires spécifiques pour accueillir des enfants
ayant des troubles du comportement et du caractère ?

 

 
Un texte de Sylvie Canat
Formatrice à l’IRTS-LR Montpellier, Responsable du CAPA-SH option D
Chargée d’enseignement en Sciences de l’éducation et psychanalyse Université Paul Valéry


Autres textes de Sylvie Canat  Voir sur ce site les autres textes de Sylvie Canat.
Un livre de Sylvie Canat  Voir aussi le livre de Sylvie Canat, Vers une pédagogie institutionnelle adaptée (Les besoins particuliers des élèves en situation de difficultés scolaires), Champ social, Nîmes, 2007, Préfaces de Serge Boimare et Jacques Pain. Contact avec l’éditeur : Tél 0466291004 ou E-mail. Vente en ligne : Alapage, Amazon, Chapitre ou FNAC. Ou chez votre libraire habituel !

 

Résumé : Les enfants ayant des troubles du comportement et du caractère demandent une attention très particulière car ce type de présence au monde et à l’autre déstabilise peut-être encore plus les enseignants que tout autre type de handicap. La psychopathologie sous-jacente enferme l’élève et l’enseignant dans un trouble ambiant. Comment analyser les obstacles pédagogiques et quelles réponses pédagogiques adaptées apporter ?

Mots-clés : troubles du comportement et du caractère - besoins particuliers - formation adaptée des professeurs - contre-transfert - analyse des pratiques.

 
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L’école : le lieu de cristallisation de difficultés comportementales

Intégrer, inclure, accueillir les situations de handicap, repérer les besoins spécifiques, mettre en relief les compétences particulières, construire des projets individuels d’intégration, construire davantage de partenariats entre l’éducation spéciale et l’école ordinaire, changer les mentalités... les acteurs du pédagogique et de l’éducatif se mobilisent encore plus ou autrement autour de ces questions mais force est de constater l’ampleur et la complexité de la tâche.

Les enfants ayant des troubles du comportement et du caractère demandent une attention très particulière car ce type de présence au monde et à l’autre déstabilise peut-être encore plus les professionnels que tout autre type de handicap.

C’est pourquoi je limiterai mon propos à un questionnement centré sur l’accueil et l’accompagnement pédagogique des enfants ayant des troubles du comportement et du caractère ne relevant ni d’une structure psychotique ni d’une déficience. Selon la classification internationale du fonctionnement (CIF), ils sont en situation de handicap quant à leur participation à la vie scolaire qui reflète une difficulté à rentrer dans la vie sociale.

Lorsqu’un enfant est atteint de troubles autistiques, psychotiques, liés à une trisomie 21 ou à une déficience sensorielle, l’enseignant est peut-être moins tenté de « corriger » les expressions de sa pathologie. La plupart du temps, il se sent démuni, tenu à l’écart ou bien fasciné par ce type de fonctionnement radicalement différent du sien. Il se tient prêt si on lui fournit les moyens et les méthodes de remédiation cognitive à accueillir, à maintenir sa scolarité en milieu ordinaire. Par contre, c’est beaucoup plus complexe pour des enfants troublés car l’enseignant ne fait pas l’hypothèse qu’il est porté par un autre mode de fonctionnement que celui qu’il connaît. Il suppose qu’il a simplement à renforcer le cadre institutionnel, les interdits, les sanctions et les exclusions. Au regard des pratiques en Institut de Rééducation, la sanction, la punition, la correction ne portent que très peu ses fruits d’un point de vue rééducatif et pédagogique.

 

Les troubles du comportement et du caractère : une subjectivité inattendue à l’école

Ne pas minimiser la psychopathologie sous-jacente aux troubles du comportement et du désir d’apprendre et ne pas minimiser les effets destructeurs de celle-ci sur « le corps-enseignant ».

Je m’attacherai à comprendre ce qui anime le trouble d’un point de vue psychopathologique et situationnel afin de construire en réponse un environnement scolaire susceptible de ne pas démultiplier les crises et le rejet des apprentissages et de la culture en général. Comprendre la psychopathologie du trouble du comportement et du caractère ne doit pas rabattre l’échec scolaire sur la famille dite malveillante ou carencée. Comprendre n’est pas expliquer et trouver la cause au trouble mais c’est plutôt repérer l’architecture de la personnalité qui n’abrite pas l’élève contre le trouble psychique et l’échec scolaire. Apprendre, c’est bien sûr la résultante d’une situation et d’un environnement scolaire favorable à cela mais c’est aussi lié au désir de comprendre, de savoir, de dire et de jouer avec le langage.

Si ce désir est uniquement au service du corps, des sensations et de l’hyper-réactivité, il ne pourra alors investir la classe et le jeu scolaire à l’œuvre.

L’institution scolaire et la loi qu’elle véhicule représentent une menace car elles demandent à tout individu, au-delà de l’élève, de renoncer a minima à l’épanchement de sa subjectivité (par le processus du refoulement : tenir à l’écart ses pulsions et ses désirs archaïques pour les mettre au service de la pulsion épistémique). L’élève doit offrir à l’école une part conjugable et aliénable à l’institution. Lorsque cette part d’aliénation possible à la demande scolaire est absente ou au service de troubles psychiques, alors apprendre devient une menace.

Pour pouvoir apprendre et être scolarisé, il faut entretenir un rapport de confiance au langage, à l’autre, à son propre corps, à l’espace, au temps, aux représentants du cadre, à la demande scolaire, à la loi... Si un de ces rapports insécurise l’enfant, toute son attention se focalisera sur cette insécurité ou ce chaos interne et, du coup, elle ne pourra être mobilisée pour les apprentissages scolaires.

Les échecs scolaires des enfants ayant des troubles du comportement et du caractère révèlent des échecs psychiques beaucoup plus handicapants pour la vie scolaire que ce que la banalité des signes et des symptômes émergeant sur la scène scolaire laisse supposer. Même si, au regard des changements culturels actuels, nous ne voulons plus épingler et stigmatiser l’enfant à sa psychopathologie, nous ne devons pas, pour autant, nier ses effets sur l’école et le corps-enseignant.

Leurs échecs scolaires couplés à nos échecs pédagogiques mettent en avant une construction psychologique très instable, très chaotique, très conflictuelle, très pulsionnelle qui se déconstruit très facilement au contact de l’autre, de ses attentes, de sa présence ou tout simplement de son regard. Leur système de défense psychique est défaillant car il est focalisé sur ce que l’on appelle dans le champ analytique « l’originaire », dit plus simplement « les fondations de leur demeure et de leur rapport au langage ». Ces enfants montrent une psychopathologie qui affecte principalement :

L’enfant profondément et régulièrement troublé dans sa vie psychique se libère a minima et ce d’une façon éphémère des effets de ce trouble en le déversant sur l’environnement physique ou humain : passage à l’acte, hyper-réactivité, sidération de la pensée, rupture des liens, conflits, replis de type autistique, somatisations diverses, tentatives ou menaces de suicide, fugues, répétition d’échecs, crises...

Ce sont des modalités archaïques de défense qui ne sont toutefois pas psychotiques. Il se défend avec les moyens du bord contre la présence menaçante de l’autre et du cadre mais ceux-ci ont au moins le privilège d’exister. Il n’a pas refusé massivement et radicalement la réalité, c’est la conjugaison avec celle-ci qui fait souffrance. Le tissage du lien, pour eux, se fait avec des ciseaux : ce sont des lambeaux de lien.

L’enseignant profondément troublé dans sa vie d’enseignant peut se défendre par des attitudes très rigides et autoritaires mais sa propre vie psychique ne sera que très peu protégée. Il se sentira menacé par la crise aiguë du comportement au sein de sa classe. Et au final, le seul traitement possible sera l’exclusion. Car celle-ci permet à l’enseignant de poser une limite.

Trouver la limite étant la problématique majeure des élèves ayant des troubles du comportement, c’est-à-dire pouvoir :

En résumé, la psychopathologie de l’élève troublé et troublant met en avant des modalités de défense d’une profonde inquiétude humaine qui se traduit par :

Ces modalités défensives troublent profondément le lien enseignant-enseigné et l’articulation au travail car elles mettent en avant une extériorisation et une mise en circulation du trouble. Comment l’accueillir, comment ne pas basculer dans la violence et l’exclusion ?

 

Quels besoins spécifiques et quelle attention requièrent les enfants ayant des troubles du comportement et du caractère ?

1 – Prendre soin du lien enseignant-enseigné, écouter, analyser les impressions et les discours que l’on fabrique à partir du symptôme de l’autre et non à partir de ce qu’il est, sortir de la logique du passage à l’acte comme issue fatale.

Pour analyser la pratique et les obstacles aux liens enseignant-enseigné, élève-savoir et élève-institution, un outil clinique semble intéressant : prendre en compte les impressions, les perceptions et les affects qui envahissent la scène scolaire à la place du travail. L’enseignant, dans le cadre de groupe d’analyse des pratiques, pourrait éclaircir la disposition pré-consciente qu’il a vis-à-vis de cet autre troublant sa classe. Analyser ces éléments (du contre-transfert) peut aider à déverrouiller une situation-limite qui pourrait engendrer de la rupture scolaire. L’enseignant doit sortir d’une logique pédagogique basée sur le réactionnel et le passage à l’acte (sanction, exclusion...).

Pour la prise en charge de cette psychopathologie au sein de l’école, il serait intéressant de ne pas avoir uniquement recours à des techniques de remédiation cognitive car ce qui est en jeu dans ces échecs scolaires, ce ne sont pas que des mécanismes cognitifs inadaptés ; ce sont aussi des constructions inconscientes de type borderline sur un versant névrotique instable. Ces déconstructions abîment la classe, le lien à l’école et le rapport au savoir. Face au chaos des élèves, aux crises permanentes, aux rejets, aux passages à l’acte, aux somatisations diverses, aux répétitions à l’infini, à l’absence de communauté-classe, et aux échecs institutionnels, il est nécessaire de construire des espaces de parole pour les enseignants et pour les élèves afin d’analyser d’une part, le lien contre-transférentiel enseignant-enseigné et d’autre part, les lambeaux de lien des élèves.

Par contre-transfert, est entendu tout ce qui, de la personnalité et des processus inconscients du pédagogue, peut intervenir dans le lien. Face aux troubles, aux violences, aux crises, l’enseignant est envahi par une foule de sentiments, d’affects et d’impressions. Ils agissent et interfèrent dans et sur le lien pédagogique. Le regard que l’on porte sur l’autre et son rapport à l’école oriente ou renforce son positionnement dans la classe et la culture. Chaque jour, un travail d’accueil et d’acceptation devrait se faire afin d’élargir les limites de l’irrecevable ou de l’impossible. Si les crises ou les colères des élèves engendrent, par le biais d’une identification à l’agresseur, de la colère ou du rejet, rien ne peut être offert en retour sinon de la crainte ou de l’exclusion. La rencontre se fait là, au cœur de ces formes étranges qui débordent de la subjectivité des élèves. Il faut alors trier, ordonner, restituer autrement et surtout ne pas s’abandonner à la panique même si les systèmes de défense (de l’enseignant) sont très secoués et mis à l’épreuve. La protection psychique est parfois dénudée par un trop de tension qui circule au sein des classes troublées.

Cette notion de contre-transfert est fondamentale, elle est le moyen le plus « économique » et le plus « fiable » dont dispose le personnel éducatif ou pédagogique qui a affaire aux échecs scolaires « enkystés ». Bien souvent, ces sentiments partiellement conscients à l’égard des élèves en détresse, sont, si nous y prêtons une attention particulière, d’une grande aide pour dénouer des comportements déstructurants. Ils permettent de désamorcer une répétition éventuelle de « malentendus » ou de « passages à l’acte ».

Par exemple, dans le cadre de ma classe, un élève habité par des terreurs, des angoisses de mort aurait pu effectivement insuffler en moi une fin de non-recevoir. Cédant ainsi à sa demande inconsciente, j’aurais amorcé sa répétition d’échecs. Et j’aurais ainsi bloqué tout travail « différenciant », c’est-à-dire, secrétant de la différence au cœur de cette répétition mortifère. En « réécrivant » consciemment les effets supposés de ces paniques en moi en vue d’autres (effets), ses propres crises se redessinèrent selon l’esquisse donnée par le contre-transfert ; un « chiasme pédagogique et thérapeutique » pouvant ainsi s’opérer : Dire oui à son espace tumultueux – crises, colères, casse... – tout en sachant que je ne m’identifierai pas à ces signes chaotiques, que je ne quitterai pas mon identité et mon espace pédagogique / cet élève dit alors oui à la nature de cette présence, du coup en discontinuité par rapport à la sienne, tout en sachant qu’il n’y perdrait pas pour autant son être et son espace intime. Une telle confusion règne entre le « dedans » et le « dehors », un travail de « prémâchage » des sentiments et de la réalité découpée par l’élève est à faire. Au fond, leur perméabilité à l’environnement laisse entrevoir des pistes pédagogiques pour reconstruire, avec eux, leur être au travail : passer par l’environnement pour ré-insuffler de la cohérence, de la sécurité et de la limite.

Tant que l’enseignement ne prendra pas en considération la dimension inconsciente, non seulement des élèves mais des enseignants, la ré-articulation à la communauté, à la loi, au savoir-vivre et à la culture sera en échec..

C’est pourquoi une prise en compte des impensés ou des pensées systématiques devrait être une priorité dans le cadre de l’enseignement destiné aux enfants déstructurés ou structurés sur un mode névrotique instable, convoquant des signes liés à « l’originaire » (répétitions mortifères, terreurs, retournements de situation, variation d’affects...).

Si aucun temps d’analyse des pratiques n’est proposé au corps enseignant, alors comment gérer toute cette affectivité qui circule et qui entoure le rapport aux apprentissages et le lien enseignant-enseignés ? L’enseignant n’est pas uniquement enseignant. S’il colle à sa fonction, il ne pourra fabriquer cette « doublure » nécessaire qui abritera les élèves d’une répétition d’échecs. Plutôt que de penser qu’il faille transformer les passages à l’acte des élèves, il serait plus fécond de commencer par transformer les nôtres... en fournissant un réel travail clinique du lien pédagogique et des besoins particuliers.

 

2 – Changer les formations des enseignants en formation initiale, ne pas attendre de passer le CAPA-SH.

Formation initiale sur le trouble du comportement et du caractère
Adapter les évaluations et analyser les obstacles pédagogiques

Il me semble que pour des enfants très écorchés dont le système de pensée est mis en abîme par un surplus d’informations sensorielles annihilant, répéter les apprentissages et les méthodes de l’enseignement ordinaire n’aboutira à rien. Ce ne sera que du conditionnement ou du plaquage de connaissances. L’enseignement doit être repensé en termes de réponses adaptées à des besoins particuliers et non pas en termes de pratiques standardisées, d’où qu’elles viennent. Cette nouvelle donnée fait appel à d’autres savoirs et d’autres méthodes délivrées en formation des professeurs.

Il serait logique, non pas d’envisager une formation en deux temps (formation des professeurs des écoles et formation de type CAPA-SH), mais plutôt une formation, à la fois en tronc commun sur les techniques d’apprentissage et en spécialisation par rapport à la spécificité de la population avec laquelle l’enseignant sera amené à travailler. Ainsi, la capacité à construire des réponses adaptées serait-elle intégrée à l’enseignement ordinaire. D’autre part, ce personnel serait beaucoup plus mobilisé pour le trouble et les échecs scolaires liés à celui-ci, cela ne relèverait pas uniquement de l’engagement militant vis-à-vis de cet autre en difficultés. Il y aurait, sans doute, des retombées positives sur les manières d’enseigner. Ils seraient moins tentés, d’une part, de plaquer les programmes ordinaires et d’autre part, de garder les mêmes exigences pédagogiques en passant à coté du projet psychopédagogique. Les formations ne seraient pas disjointes, ni complètement confondues. Un dialogue pourrait ainsi s’instaurer au sein des instituts de formation de l’éducation nationale, de l’éducation spécialisée et des universités.

Une refonte des contenus pourrait être envisagée, dans le cadre d’un programme de recherche porté par une équipe d’enseignants, de praticiens de l’éducation spécialisée (les acteurs de SESSAD...), de cliniciens, de chercheurs mobilisés et compétents pour répondre aux exigences de l’école.

Après avoir repensé les contenus principaux, il serait important de former l’enseignant à l’analyse de sa propre pratique, à l’approche d’un travail en équipe ou en partenariat, ainsi qu’à la compréhension des structures humaines et de leur rapport singulier à la réalité. Cette découpe de la réalité est forcément très différente selon les processus de défense mis en place. Si un sujet ne cesse de s’évaporer devant la demande scolaire, connaître a minima, les principales défenses du Moi pourra au moins donner du lest à la relation pédagogique. Elle sera moins crispée autour d’un roc incompréhen­sible et terrifiant.

 

3 – Proposer des réponses pédagogiques adaptées

Ne pas tirer de conclusions à partir d’une évaluation partielle des compétences ou des incompétences. Aucune logique méto­ny­mique ne fonctionne, la partie évaluée n’est pas représentative de la totalité des acquis scolaires. Le penser risquerait de bloquer totalement leur rapport à la connaissance. Ceci peut s’expliquer par une présence morcelée aux différents savoirs ou par un lien poly­morphe aux apprentissages. De plus, les logiques supposées des apprentissages fondamentaux sont inapplicables, un enfant peut apprendre et comprendre des savoirs très complexes sans pour autant avoir intégré les prérequis.

Par exemple, les enfants présentant des troubles du comportement et du caractère sont très intéressés par tout ce qui est récit sur les origines (mythes, légendes...), explication et compréhension du fonctionnement du corps humain. Très sensibles également aux architectures, ils peuvent très bien véhiculer des paradoxes tels que la non intégration de la différence entre le féminin et le masculin mais l’appropriation de la différence entre l’art roman et l’art gothique. Un échec scolaire n’est pas uniforme et n’a pas envahi, à l’identique, tous les savoirs. De plus, pour accéder aux appren­tis­sages fondamentaux, faire des détours par la découverte de choses encore inconnues et non marquées par l’échec est assez efficace pour changer leurs attitudes négatives.

Il est important de bien délimiter les temps de travail par des rituels d’entrée et de sortie et par des espaces-temps transitionnels. La limite du moi étant un peu floue, passer d’un faire à un autre demande des espaces de passage afin d’articuler « le dedans et le dehors ».

Par espaces transitionnels ou activités transitionnelles sont entendus des lieux de ré-expérimentation de la présence/absence, du lien et de la coupure, de la réalité et du rêve... Le domaine transitionnel se situe entre la réalité plus tout à fait interne (correspondant à ce que Winnicott nomme l’aire d’illusion) et la réalité pas encore tout à fait externe. Ce holding confirme que pour des enfants en difficulté, il s’agit moins d’occuper une fonction tierce (paternelle) qu’une fonction de rassemblement et de réunification (proche d’une fonction maternante). La majeure partie de ces enfants ayant des troubles du caractère et du comportement a une structure éclatée, chaotique, instable ; c’est pourquoi réunir, relier, mettre en articula­tion les « éparpillements subjectifs » semble le premier objectif. Comment apprendre à apprendre si la pensée et les paradoxes envahissants ne cessent « d’effilocher » le contenant ?

S. Olindo-Weber s’exprime sur le paradoxe et dit ceci : « Or, nous savons que d’une bonne traversée de l’espace et du temps transitionnels dépendent des capacités fondamentales pour le psychisme humain. Tout le champ du paradoxe est gouverné par l’expérience transitionnelle : la capacité d’être seul en présence d’autrui, la capacité de créer/trouver des objets de pensée, la capacité de supporter que la réalité conserve une marge d’indéfinissable, et surtout la compétence à maintenir en soi un espace potentiel de rêve, de jeu, de croyance, tout en conservant son implication dans la réalité. Le transitionnel est le régime positif du paradoxe ; le régime négatif, c’est le trauma avec ses effets de déréalisation, d’incohérence, d’inquiétante étrangeté ; avec son appauvrissement de l’imaginaire qui se défend de l’absurde et de la peur par le vide. »(1)

Transformer les régimes du paradoxe peut ainsi récréer de l’unité pour ces enfants effractés ou traumatisés. Ils pourront, à force de ré-expérimen­ta­tion du transitionnel, troquer de la destruction, de la répétition mortifère contre un horizon un peu épuré.

Ils joueront davantage avec la présence/absence, le connu/l’inconnu, la maîtrise/le lâcher prise, le dedans/le dehors... ; sans pour autant se crevasser, se morceler ou développer un faux-self caractériel.

Je fais l’hypothèse que l’élève ordinaire est généralement déjà constitué comme individu et qu’il peut s’approprier un savoir, car ce savoir appartient à un maître qui représente un idéal à atteindre. Alors que chez certains enfants, le moi et son idéal tellement submergés par les retournements et les incohé­rences, sont à reconstruire ou à aménager différemment. Le système pédago­gique peut en être l’auteur et ainsi atteindre son deuxième objectif de nature psychopédagogique.

 

4 - Changer les rythmes scolaires et ne pas nier la nécessité de mouvement ou de soin pour certains

Exemple : classe le matin et soin ou accompagnement différent l’après-midi.

 

5 - Sortir l’enseignant de sa solitude et de son isolement : développer des équipes pédagogiques responsables d’unités pédagogiques

Développer le travail en équipe, et en réseau (avec les SESSAD) : auxiliaires de vie qualifiés. Pourquoi ne pas intégrer des éducateurs spécialisés formés au soutien à la scolarité dans l’éducation nationale ?

 

Si ces enfants ont une « chair » qui a du mal à se découdre pour pouvoir enfiler l’habit conforme de la communauté, si leur « corps psychique » n’est pas suffisamment plastique pour épouser les contours et les formes du « corps social » ou du « corps pédagogique », alors pourquoi ne pas dessiner d’autres « habits » ou d’autres « abris » scolaires ?

L’égalité des chances, c’est d’avoir toutes les chances de vivre son inégalité.

Sylvie Canat
Septembre 2005

 
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Bibliographie

 
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Note

(1) Olindo-Weber S., Suicides au singulier, Paris, L’Harmattan, 2001, p. 119-120.
 


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