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Regards sur l’Europe
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Un texte de Pascal Ourghanlian
 

Chaque année, lorsqu’arrive le temps des orientations, ou de manière sporadique, à l’occasion de débats auto-centrés dont la France semble avoir le secret, revient sur le devant de la scène médiatique la question « enseignement privé vs enseignement public » qui relève autant du sport national que de l’histoire des mentalités, sur fond de crise économique et de marchandisation des propositions scolaires.

Un regard européen permet-il d’éclairer ce débat ? De réinterroger sa pertinence ?

 

Bien qu’elle puisse donner l’impression d’être un débat essentiellement franco-français, cette question traverse l’ensemble des pays européens, selon deux lignes de force, souvent plus liées à des alternances dans le temps qu’à des tropismes géographiques ou à des enjeux qui seraient essentiellement politiques.

Ainsi, actuellement, en France aussi bien qu’en Grande-Bretagne, « le choix de l’établissement par les familles s’effectue de moins en moins en référence à des valeurs religieuses ou laïques et de plus en plus en fonction de l’efficacité supposée des établissements. La rivalité entre école privée et école publique se transforme en concurrence entre établissements qui affichent de manière croissante leur singularité afin de maintenir leur place dans l’offre scolaire. À l’inverse, les conflits de valeurs sont réactivés en Espagne à propos de l’application d’une réforme scolaire, ou apparaissent en Suède, à la suite de la libéralisation des lois scolaires qui autorisent désormais la fondation d’écoles privées sur la base de projets communautaires à forte composante religieuse »(1).

Les termes, cependant, pour similaires qu’ils paraissent ne recouvrent pas exactement les mêmes réalités d’un pays à l’autre. De plus, si la notion d’enseignement public semble relativement stabilisée et appréhendée de la même manière au nord comme au sud du continent (malgré la différence structurelle essentielle entre les états fédéraux et les états centralisés), à l’ouest comme à l’est (exception faite, éventuellement, des pays nouvellement intégrés à l’Union européenne, et issus de l’ancienne Union soviétique et de son aire d’influence), celle d’enseignement privé est moins évidente à cerner. Il faut distinguer, en effet, le privé strict, financé par des institutions, des associations ou des personnes sous le seul régime du droit privé, et le privé « sous contrat » recevant un financement public et se soumettant à une forme de contrôle de la part de l’état.

L’observation des systèmes éducatifs européens permet de mettre en évidence trois types d’articulation entre le privé et le public :


Dans l’ensemble de l’Europe, privé subventionné et public scolarisent ensemble 90 % des élèves du primaire et du collège. Et l’enseignement public est majoritaire, excepté en Belgique flamande et aux Pays-Bas.

Concernant l’utilisation de l’offre scolaire, et les parcours qui en découlent, Alain Léger rappelle, qu’en France, « l’explication centrale des comportements de mobilité entre public et privé (40% des familles) est la recherche de meilleures conditions de réussite scolaire »(2). Ce qui est à l’œuvre ici – pouvoir choisir ou, plus exactement, se donner l’illusion de choisir, entre des offres qui se présentent comme concurrentielles, mais qui sont proches par le respect d’un cadre national –, c’est une volonté des familles de garder la main sur l’éducation de leur progéniture ou, à l’inverse, de signer l’impossibilité pour elles de se repérer dans des parcours trop éloignés de pratiques scolaires familiales (voir les analyses de Bernard Lahire). Rien n’indique, au-delà de colorations nationales spécifiques de surface, que ce cheminement soit très différent d’un pays d’Europe à l’autre.

Il en va bien sûr tout autrement lorsqu’on s’intéresse non plus aux trajectoires personnelles et/ou familiales, mais aux éléments de structure, surtout au-delà de l’enseignement obligatoire (privé et public dans le primaire et au collège étant, plus ou moins, « alignés »)(3) :


Au-delà de ce rapide survol descriptif, la question privé-public dépasse le cadre de la seule école, et colore un grand nombre des débats et des enjeux actuels, de la définition européenne d’un socle commun de connaissances à celle d’une constitution trans- ou supra-nationale, de la mise en œuvre controversée de la LOLF(4) à la mise en place d’une école à deux voire à trois vitesses. L’enjeu est bien clairement politique, dans le sens élémentaire et fondamental, du « quelle vie ensemble, demain ? ». Devenir professeur des écoles, c’est aussi accepter que les grandes questions de société parcourent, comme en écho, le questionnement professionnel, sans parti pris, mais avec conviction(5).

Pascal Ourghanlian
Septembre 2006


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Notes

(1) C. Mullet et R. Rouault (2001), L’enseignement privé en Europe II, Caen, Les documents de la MRSH.

(2) A. Léger, « Les détours par l’enseignement privé » in J.-P. Terrail coord. (1997), La scolarisation de la France. Critique de l’état des lieux, Paris, La Dispute, pp. 69-85.

(3) Pour une étude pays par pays, voir L’enseignement privé dans l’Union européenne. Organisation, administration et rôle des pouvoirs publics, publié par Eurydice [Réseau d’information sur l’éducation en Europe, Eurydice, créé en 1980 par la Commission européenne et les États membres, a pour mission de faciliter la coopération grâce à une meilleure compréhension des systèmes et des politiques], dans le cadre du programme Socrates.

(4) La LOLF, loi organique relative aux lois de finances du 01/08/01, restructure les finances publiques autour de contrats d’objectifs par grands domaines. Dans le domaine de l’éducation, la circulaire de rentrée 2004 précise : Les objectifs de l’éducation doivent être « finalisés dans des programmes déclinés en actions accompagnés d’indicateurs de performances ». Le rôle de l’administration n’est plus de fixer les orientations générales, mais de « développer les outils de diagnostic et d’aide au pilotage, en généralisant la démarche de contractualisation déjà engagée avec la majorité [des académies] ».

(5) Albert Camus, dans une des nouvelles de L’Exil et le Royaume (1957), « Jonas, ou l’artiste au travail », indique, sous le couvert d’une métaphore artistique, comme en réponse à Jean-Paul Sartre, que l’engagement d’un vaut pour tous. La nouvelle se clôt sur l’aphorisme : « (...) Jonas avait seulement écrit, en très petits caractères, un mot qu’on pouvait déchiffrer, mais dont on ne savait s’il fallait y lire solitaire ou solidaire » (Théâtre, récits, nouvelles, La Pléiade, 1962, p. 1654 – nouvelle éd. en cours de publication).


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