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Objection de conscience au fichier ‘Base élèves’

 

 
Texte de Jean Pauly
Maître d’école


Un livre de Jean Pauly  Voir sur ce site la présentation et des extraits du livre de Jean Pauly, L’année des quarante jeudis.
Un livre de Jean Pauly  Voir le site du Collectif national de résistance à Base élèves.

 

Directeur d’une petite école du Lot, j’ai refusé, comme quelques collègues, de renseigner le fichier Base Elèves qui centralise nationalement les informations sur les enfants des écoles primaires. Pour cela, nous devrions subir une retenue sur le salaire (!), sanction qui pourrait être renouvelée, voire aggravée, dans les mois qui viennent.

Je n’avais pas jusqu’à présent expliqué ma position, pensant qu’elle était largement partagée par la profession et que la forte émotion exprimée par l’opinion publique à l’encontre de ce projet le condamnerait de facto. Or celui-ci se met en place : si une première fournée de départements (dont le Lot) est rentrée dans les clous en juillet 2008, le fichier devra être opération­nel nationalement à la fin de l’année scolaire qui vient.

L’opposition au fichier Base élèves s’est exprimée principalement contre les items à renseigner par les directeurs d’école. Pour cela, elle a oublié le principal : c’est l’existence même d’un fichier central de l’enfance qui est scandaleuse. Base élèves n’est pas un simple outil de gestion statistique à partir du moment où chaque élève est identifié par un numéro. L’adminis­tration de l’Éducation Nationale a petit à petit laissé tomber ses exigences de renseignements concernant la nationalité ou le parcours scolaire de chacun : recul tactique qui permet de préserver l’essentiel. À partir du moment où les élèves sont rentrés dans le fichier, tout est possible, y compris le pire... et il y a lieu de s’inquiéter de cela dans un monde où la vie privée des personnes est de plus en plus difficile à protéger.

J’ai eu l’occasion de dire à mon Inspecteur que j’étais réfractaire à la mise en place du fichier Base élèves par objection de conscience. Je ne peux renier des principes fondamentaux à mes yeux : le respect de l’enfance et le respect des familles.

La multiplication des instruments de contrôle social est déjà très inquiétante... mais élargir ceux-ci à l’enfance est proprement intolérable. Les enfants ne sont pas des citoyens et n’ont pas le statut juridique pour rendre des comptes à la collectivité. Préserver un monde de l’enfance à l’écart de la société des adultes me paraît fonda­mental. Oublier cela, c’est nous ramener à des précédents historiques qui font froid dans le dos.

La tradition laïque de l’École devrait préserver la séparation entre la vie publique des citoyens et la vie privée des personnes, et par là même l’équilibre entre l’État et les familles dans le domaine de l’éducation. Les enfants sont inscrits d’autorité dans le fichier Base élèves, sans l’autorisation des parents, ce qui me semble un abus de pouvoir...

Beaucoup de directeurs et directrices, de bonne foi, ont renseigné (ou vont renseigner) Base élèves... J’imagine qu’ils ont confiance dans le discours officiel qui présente ce fichier comme un simple outil de gestion. J’y vois aussi le résultat d’un conditionnement à l’œuvre depuis de nombreuses années : une avalanche d’évaluations statistiques accable les écoles et la technocratie éducative fonce tête baissée dans les outils informatiques sans aucune retenue, ni boussole critique. Cette fuite en avant explique en partie, je pense, l’entêtement de l’institution scolaire sur la question.

Voici venir le règne de « l’ingénierie éducative », des experts de la « pédagogie scientifique », des technolâtres et des apprentis sorciers... on en oublierait presque que l’acte éducatif est d’abord un acte d’humanité.

Jean Pauly
10 juillet 2008

 
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