Psychologie, éducation & enseignement spécialisé
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Du « Quoi de neuf ? » à « L’atelier philo »,
des espaces privilégiés pour la relation de l’élève à la pensée

 

Mémoire de Paul Orset,
CAPA-SH Option D – Session juin 2007

Introduction

Mes rencontres professionnelles et extra-professionnelles (détachement dans le milieu associatif aux Francas entre autres) m’ont amené très rapidement à réfléchir à la place accordée à l’enfant au niveau de la cité, de l’école, de la classe. Dans cette nouvelle responsabilité qui m’est confiée de gérer une classe spécialisée, je pense que la question de la reconnaissance de l’élève comme individu acteur de ses apprentissages est d’autant plus d’actualité.

Cette première année en CLIS m’a fait découvrir des élèves aux âges, aux niveaux scolaires, aux troubles et aux comportements forts différents : c’est Radouane qui, au milieu d’une séance de géométrie, va soudainement tourner le dos au petit groupe avec lequel il est en train de travailler ; ou Jérémy qui n’arrive pas à s’asseoir à son bureau sans taper sa voisine ; ou Leslie dont le regard part dans le vague et qui est incapable de mobiliser son attention sur son travail de lecture. Cependant, s’il y a un point commun qui doit les réunir, c’est bien celui d’être dans la difficulté de penser. Et d’avoir vécu en conséquence un parcours scolaire jalonné d’échecs.

Ayant rencontré auparavant dans des classes de maternelles « ordinaires » des enfants qui étaient dans ces difficultés, j’ai pu mettre en place et « tester » certaines médiations, intuitives ou pensées avec l’équipe pédagogique de l’école, avec parfois des résultats surprenants. Cette année de formation m’aide à mettre des mots sur ces intuitions, sur des comportements d’enfants, à parfaire une analyse des situations au regard de l’apport des différentes théories rencontrées. Mais reste un questionnement qui me paraît central dans l’option D :

Comment réintroduire les fonctions cognitives et les médiations qui ont manqué, et jusqu’à quel point cela est-il possible ? Quel est le cadre d’intervention permettant de développer le fonctionnement cognitif d’un enfant déficient ?

Le préalable à mon travail a toujours été l’idée de R. Feuerstein(1) qui affirme que tout être humain est avant tout modifiable. Ce concept fondamental est celui qui me permet d’imaginer des hypothèses de médiation avec ces enfants pour les amener à se donner le droit de penser.

D’ailleurs, j’ai pu noter à la rentrée le décalage qu’il pouvait y avoir entre les « anciens » (7 élèves) de la CLIS et les nouveaux venus (3 élèves) quant à leur relation au groupe et au travail. M’attendant à trouver des élèves en situation de handicap, en grande difficulté sur ces 2 points, j’ai été agréablement surpris de constater tout le bénéfice qu’ils avaient pu tirer, malgré leurs troubles, du travail réalisé les années précédentes dans la CLIS. Et j’ai dû rapidement adapter mon fonctionnement de classe en le confrontant aux vécus de ces élèves et en pensant les aménagements pour y intégrer les nouveaux venus.

Je fais donc l’hypothèse selon laquelle mettre en place des lieux de parole et d’expression profonde de l’enfant peut permettre de créer des espaces de pensée collective au service de ces enfants qui sont dans l’empêchement de penser. Un enfant de CLIS peut-il profiter de ces espaces pour accéder au statut d’élève et ainsi s’inscrire ou se réinscrire dans un processus d’apprentissage scolaire ?

 

I. Quelques fondements théoriques

A. L’acte de penser

Dans le liminaire de son livre sur les contenants de pensées, Didier Anzieu(2) rappelle que les pensées ne naissent pas sans que d’autres pensées, d’autres états, d’autres processus psychiques ne les précèdent, ne les produisent : les sensations, les impulsions, les affects de l’enfant, le bain de pensées de son entourage sont des préliminaires nécessaires au franchissement du seuil de la pensée. Mais qu’est-ce que penser ?

Didier Anzieu distingue la pensée, les pensées et le penser : la pensée a d’abord une fonction d’entretien des pensées (ou idées), de conservation et de mise en rapport. Le penser est l’acte de transformation des pensées. De même que les mots ne sont pas le reflet de la pensée mais déjà une transformation de la pensée.

Le corps propre est le premier objet épistémique. La sensation, processus à l’origine plutôt réceptif devient représentation active et prépare l’élaboration du concept. Le concept permet alors d’émettre des jugements. Le produit de ce travail consiste en systèmes de concepts qui permettent d’agir sur le monde.

Il fait en cela référence au modèle piagétien, c’est-à-dire la théorie opératoire de l’intelligence qui présente les stades successifs du développement de la pensée logique chez l’enfant :

D’après Piaget(3), le premier obstacle à l’opération est donc la nécessité de reconstruire sur un plan nouveau qu’est celui de la représentation ce qui était déjà acquis sur celui de l’action. En second lieu, cette reconstruction comporte un passage d’un état initial où tout est centré sur le corps et l’action propres à un état de décentration dans lequel ceux-ci sont situés en leurs relations objectives par rapport à l’ensemble des objets et des événements repérés dans l’univers. Or cette décentration, déjà laborieuse sur le plan de l’action, est bien plus difficile encore sur celui de la représentation. Celle-ci porte sur un univers plus étendu et complexe. En troisième lieu, dès que le langage et la sémiotique permettent l’évocation et surtout la communication, l’univers n’est plus exclusivement formé d’objets comme au niveau sensori-moteur mais également de sujets, à la fois extérieurs et analogues au moi. Ces considérations montrent que les constructions et la décentration cognitives nécessaires à l’élaboration des opérations sont inséparables de constructions et d’une décentration affectives et sociales. Piaget(4) toujours, dans sa recherche de « la meilleure méthode pour faire d’un écolier un futur bon citoyen » identifie comme « obstacle essentiel [...], l’attitude la plus spontanée et la plus indéracinable de toute conscience individuelle et même collective : c’est l’égocentrisme, intellectuel et affectif [...] et c’est le sociocentrisme, intellectuel et affectif, réapparaissant à son tour en chaque unité collective. »

Mais si l’on s’en tient aux travaux de Piaget, la place laissée aux influences sociales paraît relativement limitée. Et l’enfant, et plus particulièrement l’enfant déficient que nous rencontrons dans nos classes, ne progresse pas seulement en fonction de ses propres découvertes comme pourrait le laisser penser Piaget qui ne s’intéresse que peu aux dysfonctionnements et aux échecs dans l’accès aux différentes opérations mais au développement habituel d’un enfant qui progresse normalement. La confrontation aux opinions et aux raisonnements des autres est également un moteur important pour développer la pensée. Comment les mots d’autrui peuvent-ils devenir des mots pour soi ?

B. La relation à l’autre pour penser

Car en effet, certains enfants n’acceptent pas cette transformation qu’est l’acte de penser, qui peut remettre en cause un équilibre psychique fait de défenses. Les défenses sont telles pour d’autres qu’ils ne s’autorisent parfois même pas une seule pensée. Ces enfants sont ceux qui fréquentent nos CLIS. Bion(5) parle de barrière de contact d’éléments bêta qui emmêle ce qui devrait être séparé (les représentants affectifs et les représentants-représentations de la pulsion) et qui font barrage à la constitution du penser alors que l’écran d’éléments alpha recueille et contient en les séparant les éléments psychiques (sensation, émotion, imagination, action) qui apparaissent. Il en fait des contenus psychiques, des pensées rendues pensables par un appareil à penser qui s’organise à partir de ce que Anzieu appelle un écran / contenant. La pensée est en quelque sorte une mère contenante des pensées. Pour Winnicott(6), elle reproduit à l’égard des pensées l’attitude qui a été celle de la mère et de l’environnement maternant à l’égard de l’enfant. La relation de l’enfant à sa mère trouve son effet contenant avant tout dans sa fonction réflexive. La mère met des mots et symbolise les éléments émotionnels envahissants de son enfant.

Pour arriver à penser, il faut à l’enfant avoir été « entouré » par un « entourage » qui pensait pour lui. On voit ici que la pensée est inséparable d’un objet référent et d’un sujet destinataire : penser, c’est adresser en tant qu’être pensant une pensée à quelqu’un d’autre que je reconnais comme être pensant et capable de me reconnaître moi-même comme être pensant et émetteur de pensées. Vygotski(7), contrairement à Piaget qui pense que l’enfant n’apprend que par ses propres expériences, affirme que les composantes de l’acte intelligent sont pour l’essentiel acquises, transmises à l’enfant par son entourage. En ce sens, l’intelligence est en grande partie la reproduction et l’intégration de l’intelligence des autres. Il faut rentrer dans l’univers symbolique de l’autre et le partager. C’est dire l’importance de la médiation humaine. En effet, on peut penser que la relation entre l’enseignant et son élève peut fonctionner, toutes transpositions faites, selon les mêmes termes que la relation de la mère et de l’enfant. Il s’établit une relation triangulaire enseignant - élève - objet de connaissance : l’enseignant est en interaction avec l’élève. Il s’interpose entre le monde intérieur de l’enfant et la tâche pour le faire entrer en relation avec le monde. Bruner(8) parle de médiations comme de systèmes d’étayage mettant en scène un novice (le sujet apprenant) et un expert (généralement l’adulte). La médiation consiste selon lui à rendre l’élève conscient de ses possibilités, de ses limites, et de restaurer une confiance en lui.

C. Une pensée réflexive

D’après Bernard Douet et son équipe(9), pour que la pensée se fasse, il faut un lieu d’échange entre les processus primaires et les processus secondaires. Il s’agit pour l’enseignant de trouver les moyens de faire en sorte que la pensée infra-logique (privée, de l’ordre des croyances et des affects) ne vienne pas troubler une pensée logique de la même manière que la mère symbolisait les ressentis de son enfant pour le décharger émotionnellement. De même que l’enfant devait se séparer de la mère et construire un objet transitionnel, l’élève doit passer d’une « passion transférentielle » pour le maître à un intérêt pour l’objet de connaissance.

Car les élèves de l’option D ont été confrontés à de nombreuses difficultés scolaires ou familiales. La répétition traumatique de ces échecs les a amenés à se faire une représentation mentale d’eux-mêmes négative. B. Gibello(10) explique ce mécanisme d’auto-dévalorisation par le déficit des fonctions métacognitives. Mais doit-on faire avec ces déficiences ou plutôt les corriger ? Peut-on imaginer qu’il est possible de modifier les comportements spontanés comme le présuppose le Programme d’Enrichissement Instrumental(11) ? Et permettre aux élèves une restauration narcissique et un développement des capacités cognitives.

Les théoriciens de la médiation (Vygotski, Bruner) avancent que l’activité intellectuelle ne se développe pas d’elle-même par maturation, génération spontanée ou expérience active du sujet avec son milieu, mais qu’elle se construit dans une interaction engagée par l’adulte et par la médiation privilégiée du langage. C’est dans la relation d’appropriation du savoir par l’élève que doit se penser la médiation de l’enseignant : ce dernier doit proposer des activités qui doivent introduire plus fondamentalement au sens de l’apprentissage scolaire et à un « discours » qui permet à l’élève de penser et de poser ses actes et ainsi de se représenter comme sujet. Cette pédagogie donne une place importante à la recherche de sens : où l’apprenant est plutôt un créateur de sens qu’une machine à penser, à capter ou à produire ; où la situation d’apprentissage est considérée comme une situation de co-construction de sens ; où la classe est considérée comme une communauté de recherche.

D. Des lieux de parole pour exister

Jean Oury(12), psychiatre, est à l’origine de la psychiatrie institutionnelle et de la pédagogie du même nom. Pour lui, le maître est ce qui, pour l’enfant, doit être l’occasion de l’ouverture à la loi du signifiant. Il s’est intéressé entre autres aux phénomènes de groupes, notamment celui que constitue la classe, et à la manière dont l’enfant peut investir ses multiples pulsions dans ce vaste édifice structural. Quels sont les rêves qui le poussent à apprendre à lire plutôt qu’à courir ? Qu’est-ce que ça veut bien dire que d’écrire sa pensée ? Pourquoi répondre à la question que l’on vous pose ? Pourquoi rester là ? Il ne s’agit pas pour l’adulte de se mettre « au niveau » de l’enfant ou de faire « le mariole » mais bien « d’apprendre à poser quelques petites institutions miraculeuses qui vont prendre au filet les mouches bourdonnantes de l’imagination de ce collectif. » Il est évident qu’une communauté d’appartenance ne résout pas le problème de la fonction éducative mais c’est une notion qu’il faut retenir pour tracer un cadre sur lequel viendront se tresser les multiples interrelations qui se développent dans la classe.

Tous ces mouvements, tout ce qui circule dans le groupe d’une classe, depuis les échanges matériels jusqu’aux échanges verbaux, en passant par les échanges de signes et de personnes, tous ces types de prestations ne peuvent avoir un sens que s’ils s’articulent dans ce lieu privilégié : « communauté linguistique », « trésor des signifiants » des linguistes, « lieu de parole » que Lacan(13) désigne dans son enseignement sous le nom de grand Autre. Cette notion de grand Autre, lieu de parole, nous permet de dialectiser les échanges. Etre dans le lieu de l’Autre, c’est être en position d’entendre ce que demande le sujet. C’est la condition essentielle pour pouvoir donner le signe qu’on a accueilli le souci du sujet, qu’on en « tient compte. » Et cette « réponse », toute symbolique qu’elle est, suffit à boucler l’échange et évite de laisser le sujet dans le désarroi. Cela vaut pour la relation du maître avec chacun de ses élèves.

Mais J. Oury pense qu’on peut en généraliser la fonction, et que l’on peut définir également ce lieu comme étant le seul espace topologique où puisse venir s’articuler la demande du groupe et éviter à l’enseignant de tomber dans le piège des relations duelles, relations duelles qui rejouent, sans maîtrise, la dépendance prégénitale de l’enfant à sa mère.

Comment ouvrir ce couple sur un triangle salutaire ? J. Oury voit dans les lieux d’échanges multiples, là où l’on pèse les mots à l’or du signifiant, des espaces où s’élabore la Loi, la loi du groupe et de la reconnaissance d’autrui, la loi du signifiant qui a quelque chose à voir avec celle que l’élève épelle dans son livre de grammaire.

Dans la pédagogie institutionnelle, Fernand Oury et Aïda Vasquez(14) ont imaginé des réunions instituées permettant aux enfants, non seulement d’accéder à la parole, mais également d’avoir la parole, c’est-à-dire de faire la loi avec le maître. « C’est parce que nous jugeons nécessaire que la classe soit habitée que, non seulement nous “autorisons” le langage, mais que nous y instituons des “lieux” où chacun a des chances de faire entendre son avis et parfois sa vérité. » Il s’agit de lieux où enfants et maître ont la possibilité de dire ce qu’ils ont à dire. Or, sauf cas spéciaux relevant de la pathologie, on ne dit pas n’importe quoi, n’importe comment, n’importe où. Selon le mode d’écoute qui caractérise chacun des lieux de parole, des choses viendront au jour. Tous ces moments ont leur importance et le bavardage « pour ne rien dire » est souvent la condition pour arriver à la parole efficace. Il faut reconnaître l’élève en tant qu’être de langage et donc en tant qu’être pensant.

La cour de récréation (où l’on peut crier), les couloirs (où naissent les rumeurs), les petits groupes (où la communication est facilitée) sont des moments de langage. Mais l’institution de lieux de paroles dans la classe a pouvoir de permettre aux paroles d’émerger et de se transformer.

Le premier temps de parole est l’entretien (appelé aussi « la causette » ou « le quoi de neuf ? ») Il est conçu comme un moment de transition entre la vie sociale et la vie scolaire et permet l’entrée de la vie, tant affective qu’informative, dans le cadre scolaire. Il permet à l’élève de se désencombrer des choses positives ou négatives qu’il porte en lui. C’est un moment important pour que se crée une conscience de groupe d’individus. Il a une fonction principale : dire, se dire. Ce monologue va peu à peu devenir dialogue dans lequel l’enfant va donner, échanger, dire « à quelqu’un » et pouvoir ainsi trouver une place dans le groupe. L’entretien est aussi ouverture vers un travail : à partir des intérêts des enfants peuvent s’organiser des travaux, des recherches aboutissant à diverses réalisations.

La production de textes libres peut être rapprochée de l’entretien. En utilisant le langage écrit comme support, elle a les mêmes objectifs que celui-ci, l’échange avec les autres passant par la lecture ou/et la publication dans un journal de classe.

Autre temps de parole, le conseil (appelé aussi « Comment ça va ? » ) est une réunion de décision où le groupe (enfants+adultes) gère la vie de la classe : des propositions ou des conflits y sont discutés. En prenant du recul par rapport au vécu de la classe, on hausse les conflits particuliers au niveau du « on ». Toutes les discussions se terminent par une prise de décision. On y élabore des règles pour la classe, on choisit des activités en lien avec le projet de classe. Ici, il ne s’agit plus d’expression. La parole devient pouvoir même si l’enseignant reste garant de la sécurité affective, matérielle et physique de tous ainsi que de la pédagogie.

E. La communauté de recherche, un espace de pensée collective

Matthew Lipman(15) défend un enseignement de la pensée holistique, c’est-à-dire qui ramène la connaissance du particulier, de l’individuel à celle de l’ensemble. Quand on réfléchit tout seul plutôt que dans un débat, les déductions dérivent de prémisses connues et la conclusion est en conséquence sans surprise. Mais lorsque personne ne connaît toutes les prémisses, comme c’est souvent le cas dans un dialogue, le processus de raisonnement est bien plus vivant et la conclusion peut être infiniment plus surprenante. C’est pourquoi il n’a pas imaginé une transmission d’un savoir sophistiqué mais plutôt une acquisition d’attitudes, d’un état d’esprit où l’on vise la réflexion personnelle qui s’effectue au sein de l’axe essentiel de sa méthode, un lieu de coopération et de dialogue : la communauté de recherche.

John Dewey(16), auquel Matthew Lipman fait souvent référence, soutient l’idée d’un apprentissage par l’expérience qui s’appuie sur l’interaction entre les conditions créées (ce que fait le maître et la manière dont il le fait) qu’il appelle objectives et les conditions subjectives (la prise en compte du sujet pour ce qu’il est). Pour une expérience valable, le maître détermine l’environnement pour influencer directement l’expérience de ses élèves. Pour cela, il doit tenir compte des aptitudes et des buts des enseignés.

Le public que nous rencontrons en CLIS semble demander une autre pédagogie que la pédagogie traditionnelle qui demande à l’élève de s’adapter aux conditions d’apprentissage. Dewey évoque une pédagogie où chacun s’adapte : l’enseignant et l’enseigné. Et qui a pour but le développement d’une pensée réfléchie. Pour atteindre ce but, il préconise « une méthode qui créera les conditions favorables à l’éclosion de la curiosité et à son développement et qui établira des liens entre les diverses expériences, ce qui entraînera un flot de suggestions, soulèvera des problèmes et constituera les objectifs qui favoriseront un déferlement d’idées. »

Matthew Lipman reprend cette idée de pensée réfléchie et il appelle « pensée critique » le type d’attitude réflexive à mettre en place. Il définit cette attitude, proche de la pensée scientifique, en indiquant qu’elle doit s’appuyer sur des critères rigoureux et des raisons valides. Elle doit par ailleurs être sensible au contexte, et être capable d’autocorrection. Ainsi pour C. S. Peirce(17), ce qui caractérise le plus la recherche, c’est qu’elle vise à découvrir ses propres faiblesses et à corriger ses propres erreurs. La recherche consiste dès lors à s’autocorriger. Un des avantages principaux que représente la transformation de la classe en communauté de recherche, c’est, outre l’amélioration certaine de l’ambiance, que les membres sont attentifs aux méthodes et procédés les uns des autres et se mettent à se corriger mutuellement. Et ainsi, dans la mesure où chaque membre est plus ou moins capable d’intérioriser globalement la méthodologie de la communauté, il parvient à s’autocorriger dans sa propre réflexion.

Utiliser la pensée critique, c’est aussi faire preuve d’ouverture d’esprit, d’objectivité et accepter de se confronter aux idées des autres. Penser, c’est aussi « se penser », c’est-à-dire avoir conscience de sa propre pensée, se considérer comme un être pensant. Cette attitude renforce le sentiment d’être (« je pense donc je suis ») Si cette attitude peut paraître égocentrique, voire nombriliste, elle permet en fait une réelle distanciation. Et alors « se penser », s’observer dans l’action, permet de mieux se connaître (« connais-toi toi-même ») et de venir à bout de difficultés (métacognition)

Les échanges avec les autres, avec les autres qui pensent autrement que moi, constituent le facteur principal du développement des capacités de raisonner. » Pour cela, la communauté de recherche doit être un groupe de discussions engagé dans une pensée pluridimensionnelle. Ce qui veut dire que ses discussions ne sont pas simples conversations ou causeries à bâtons rompus : il s’agit de dialogues qui obéissent à la logique.

F. La philosophie en CLIS

Je me rappelle qu’au tout début de ma carrière, dans mon premier poste (classe de M.S. de maternelle), j’avais été surpris et dérouté par le sujet d’une dispute entre deux élèves de quatre ans : l’existence de Dieu ! Quel enseignant n’a jamais été confronté à ces questions existentielles des enfants sur le sens de la vie, du savoir, de notre rapport au monde et aux autres ?

L’enfant qui questionne s’adresse-t-il à l’enseignant avec l’attente d’une réponse normative ou s’interroge-t-il à voix haute ? C’est la question que se pose A. Lalanne(18) et si elle note que le contenu de ces questions dépasse le cadre scolaire, elle remarque aussi qu’ignorer ces questions (question vient du latin : recherche) signifierait à l’enfant que sa quête de sens n’intéresse pas l’école. Et celle-ci peut-elle se passer de cette curiosité, de cette dynamique si nécessaire aux apprentissages ? Et qui manque tant aux élèves de nos CLIS...

La première des raisons de faire de la philosophie en CLIS est qu’elle s’appuie sur la curiosité primaire dont parle S. Boimare(19) pour construire du sens. Encore faut-il considérer la philosophie plus comme un acte que comme une discipline. On n’apprend pas la philosophie mais on peut apprendre à philosopher à partir de questions existentielles que l’on se pose.

Là est la seconde raison du « philosopher » en CLIS : le questionnement. L’élève est trop souvent amené à donner des réponses à des questions qu’il ne s’est même pas posées. Le premier acte de la philosophie est le questionnement sur les représentations, les origines, leur valeur. Philosopher, c’est d’abord réfléchir, c’est-à-dire faire un retour sur ses représentations. Le questionnement de Socrate aux jeunes gens d’Athènes est celui-ci : « Prends conscience de ce que tu penses, tente de dire d’où tu le sais et jusqu’où tu le sais ». En ce sens philosopher, c’est penser sa pensée, savoir son savoir, réfléchir son savoir. Le questionnement de la philosophie n’appelle pas une réponse juste. Il faut déshabituer les enfants aux réflexes de la bonne réponse pour libérer la pensée. La philosophie peut y contribuer. Lorsqu’on a réussi à engager un processus de réflexion qui ne soit plus obnubilé par le « correct / pas correct », les enfants progressent.

Mais le « philosopher », c’est aussi dépasser la simple expression du sujet affectif, psychologique pour éveiller chez les élèves la raison, les inviter à former des jugements rationnels. La nuance est de taille et nombre d’élèves confondent le fait d’avoir des opinions et penser par soi-même, c’est-à-dire accepter de questionner ces opinions et de les discuter. C’est parce que la philosophie est une entreprise rationnelle qu’elle déborde le sujet particulier. Penser, c’est s’ouvrir à l’universalité, c’est se placer sur un terrain où les autres sont déjà là.

L’atelier de philosophie est donc une réflexion devant les autres, avec les autres et aussi bien pour les autres, dont les autres sont aussi les garants.

Le travail philosophique s’organise autour de trois processus qui, articulés ensemble, constituent le « philosopher » :

Ce travail se fait donc à partir d’un travail sur la langue. La première exigence est d’abord une attention aux termes employés qui passe par une précision dans leur définition. On sait toute l’importance de ce travail en CLIS lorsque l’on mesure le niveau de vocabulaire des élèves. Lorsque les élèves repèrent différents sens du mot « penser » à partir de leur expérience et arrivent à la conclusion que lorsqu’ils pensent, ils peuvent soit réfléchir, soit se souvenir, soit s’imaginer / rêver, ils travaillent dans et sur la langue. Il est indéniable que c’est pour eux l’occasion de mieux la maîtriser.

Enfin l’atelier philosophique ne doit pas se limiter au débat démocratique. La philosophie ne considère pas le seul citoyen mais l’homme tout entier. L’atelier philo n’est pas un conseil d’enfants, il doit être hors temps et espace de la classe, pour pouvoir atteindre l’universalité.

À partir de là, plusieurs courants ont développé les ateliers philosophiques à l’école. Je n’en citerai que deux qui m’ont paru intéressants pour ma problématique : la recherche de J. Lévine(20) et son équipe à Lyon et Paris et celle de M. Lipman(21) au Québec.

L’approche de J. Lévine donne la priorité à l’expérience que l’enfant fait de sa propre pensée. L’atelier de philosophie montre qu’avant de se poser des questions dans tel domaine scolaire, l’enfant a besoin de découvrir sa capacité à s’interroger sur la vie au-delà du scolaire, de se donner le droit à « l’intelligence des situations ». C’est parce qu’on a pensé qu’on peut débattre. Dans son optique, le débat ne doit pas être présenté trop tôt, au risque d’empêcher la découverte très précieuse, par l’enfant, qu’il est lui-même source de pensée. Dans cette démarche et compte tenu que l’enfant a besoin de prendre le temps de se découvrir capable de formuler des pensées sur les grands problèmes, et qu’il a besoin de s’entendre lui-même les énoncer, il est convenu que l’enseignant n’obstrue pas la parole des enfants et qu’il garde le silence, même s’il est momentanément frustré !

L’approche de la philosophie pour enfants de M. Lipman instaure au contraire ses moments de philosophie dans le cadre d’un enseignement, avec des manuels pour les enseignants, et dans une perspective d’apprentissage de l’argumentation et de la logique.

Lipman considère que les enfants ont des aptitudes cognitives pour des compétences réflexives comme ils en ont pour le langage. Il identifie les habiletés de la traduction comme une compétence majeure, la traduction ne se limitant pas à la transmission d’un sens d’une langue à l’autre mais entre différents modes d’expression. Ces habiletés permettent des mouvements entre langages différents, ce qui n’est pas moins important que de découvrir ou construire du sens à l’intérieur d’une même langue. Ainsi les règles de normalisation logique constituent-elles un paradigme de traduction aussi bien qu’un modèle qui encourage les élèves à transposer leurs habiletés de pensée d’une discipline à l’autre. Et dans la mesure où on arrivera à rendre plus critiques la lecture, l’écriture, la parole et l’écoute des élèves, ils profiteront de cette compétence et pourront l’appliquer aux matières à étudier.

Apprendre une technique, c’est apprendre comment d’autres pensent et ont pensé. Si en acquérant une technique, on apprend d’une manière ou d’une autre à la transcender, on se trouve amené à penser par soi-même.

G. Penser pour apprendre

La médiation cognitive vise donc à inciter l’élève, par une mise à distance indispensable, à dépasser les effets de contrat (répondre à ce que je crois que l’enseignant attend de moi plutôt qu’à ce que je crois moi-même). La tâche scolaire contient une logique et un sens implicite qui participent de l’intentionnalité de l’enseignant mais comment transmettre cette intentionnalité à l’enfant, sachant que l’intentionnalité de l’enseignant n’est pas l’intentionnalité naturelle de l’enfant ? Une situation n’a pas de sens en elle-même : c’est l’élève qui la rend signifiante. Il y projette ses représentations, ses pré-acquis issus de son expérience. L’on est souvent tenté de les considérer tantôt favorisant, tantôt parasitant... et de les orienter a priori. Cela paraît doublement dangereux, tant pour les élèves qui n’osent plus oser que pour ceux qui se réfugient dans la devinette ou installent des stéréotypes inducteurs ! A l’enseignant de faire émerger, de prendre en compte et de s’appuyer sur ces représentations pour conduire l’enfant, non pas à s’en défaire, mais à les mettre entre parenthèses pour investir la situation d’apprentissage et accéder à l’intention implicite dont l’enseignant a chargé la situation.

Pour E. Claparède(22), l’élève doit faire usage de son savoir et le maître doit susciter l’intérêt, le besoin de savoir ou d’agir. « Ce qu’il s’agit d’éveiller, c’est cet intérêt profond qui remue l’individu et l’excite à l’action, à l’effort. » E. Claparède constate que la vie de l’enfant ne comporte pas de nécessités de toutes sortes, comme l’adulte, mais qu’heureusement il a des instincts de développement (curiosité, jeu, etc.)

À ce sujet, Serge Boimare(23) parle de revenir aux sources de la curiosité, c’est-à-dire aux curiosités primaires par l’intermédiaire non pas du fait divers mais de la culture : notre littérature, notre histoire, puis de nourrir les élèves en les faisant formuler ce qui inquiète (comment je peux intégrer le groupe avec mes pulsions ?) en passant d’un langage d’évocation à un langage argumentaire et enfin, à partir de cette médiation, de créer de l’énigme : faire germer la question avant d’aborder les réponses.

L’expérience d’apprentissage résultant d’une intériorisation progressive, d’une prise de conscience des effets de leurs actes, on perçoit bien l’intérêt que peuvent procurer aux élèves, en amont de la tâche proprement dite, les intentions de mise à distance, de retenue de l’action, de contrôle de l’impulsivité. Car nous connaissons en CLIS ces élèves qui s’engagent « têtes baissées » dans la tâche, obnubilés et aveuglés par le produit à réaliser ou d’autres qui n’entrent même pas dans la réalisation de la tâche par passivité intellectuelle ou difficulté de mise en lien.

Bernard Douet(24), qui s’inspire du Programme d’Enrichissement Instrumental, a conçu et mis au point une méthode de remédiation : le développement des contenants de pensée, qui associe la double approche cognitive et psychodynamique, méthode qui peut être adaptée dans le cadre de l’école. Il veut « restaurer la jouissance à penser » chez l’enfant qui dysfonctionne. Pour lui, le développement normal de la pensée est un cheminement qui va de l’interne vers l’externe, du privé au public, des perceptions intimes au général, à ce qui est partagé par tous.

Mais lorsque cette dimension s’avère insuffisante, demeure inaccessible, bloquée, si l’affect envahit la scène, il faut mettre à la disposition de l’enfant un moyen de contrôle et de réassurance qui évite la mise en œuvre des mécanismes d’inhibition de la pensée. La contenance de l’adulte, si elle s’appuie sur le raisonnement logique comme contenant, peut jouer ce rôle. Il ne s’agit plus d’ignorer les fantasmes qu’évoque la situation-problème, ce qu’elle évoque implicitement, les peurs et les désirs qu’elle suscite, les échos entre la situation et les propres expériences du sujet. Il convient au contraire d’en parler pour dépasser cette sidération que l’enfant éprouve face à l’apprentissage, nouveauté perçue comme étrangère, donc inquiétante voire dangereuse.

En même temps, on abordera les structures qui permettent de résoudre le problème de façon logique : rapports de cause à conséquence, classements, organisation des données, opérations logiques permettant de résoudre le problème. C’est cet aller-retour interne / externe et externe / interne qui peut permettre à l’enfant de structurer sa pensée. Ce travail que propose B. Douet peut être adapté à l’atelier de philosophie par exemple.

Cela n’est possible que dans un cadre contenant qui s’appuie sur la règle des trois unités, inspirée du travail de Didier Anzieu(25) :

Contenir, c’est aussi mettre en place des structures qui relient les choses entre elles. Il s’agit de lutter contre la pensée discontinue, la déliaison qui touche les enfants avec lesquels nous travaillons. En effet ces enfants ont été soumis à des ruptures excessives, à une psyché insuffisamment inscrite dans la liaison, dans le sens ; ou bien les premières mises en lien qu’ils ont pu faire les ont conduits à percevoir une dangerosité considérable du côté du sens, ce qui a entraîné une défense, un évitement systématique des mises en rapport et de liaison.

Il faut donc les aider à relier constamment les choses entre elles par :

 

II. Ma pratique

A. Présentation de la classe

Dans l’école

La CLIS a été ouverte dans cette école de 12 classes il y a 3 ans. L’école élémentaire Cotton fait partie d’un groupe scolaire qui comprend également 2 écoles maternelles dont une où j’ai exercé pendant 10 ans avant de découvrir cette année l’enseignement spécialisé. L’école fait partie du R.E.P. de Bonneuil.

Le travail d’équipe dans l’école se faisant principalement par niveaux et par affinité de personnes, la CLIS garde un statut un peu à part, reléguée en bout de couloir. Toutefois, des intégrations collectives ou individuelles ont pu se mettre en place.

Composition et fonctionnement général

De 12 élèves à la rentrée, l’effectif est passé à 10 aujourd’hui (2 départs en IME en octobre et décembre). La classe est composée de :

dont 7 sont des « anciens » (au moins un an dans la CLIS) et 3 arrivés à la rentrée de cette année.

Un élève est intégré depuis novembre à plein temps en CE2 en vue d’un retour dans le circuit « ordinaire » dans un ou deux ans.

En plus des intégrations individuelles, de nombreux enfants s’absentent pour suivre des soins à l’extérieur durant le temps scolaire. Le groupe classe n’est donc au complet que 3 demi-journées / semaine.

Les pathologies, les comportements ainsi que les niveaux scolaires (de la P.S. de maternelle à fin CE2) sont extrêmement variés.

Le groupe classe est très agréable. Il existait semble-t-il dès avant la rentrée un groupe soudé, de l’entraide entre élèves, même si cette bonne ambiance est mise à mal par Jérémy, qui est un enfant qui a de forts troubles du comportement.

B. Le projet

Emergence et hypothèses de travail

Ayant observé en maternelle, sans toujours pouvoir l’analyser finement, l’apport des temps de parole pour les élèves, notamment pour ceux les plus en difficulté dans les apprentissages, j’ai décidé d’instituer ces temps dans la CLIS dès la rentrée. La participation et un certain niveau de langage (parler à bon escient, utilisation de phrases complexes) étaient au-dessus de mes espérances.

Mais les vraies difficultés n’étaient pas là : malgré cette relative aisance dans le langage, le refus de l’erreur ou même de la réussite pour certains, l’incapacité à faire des liens entre les différents savoirs, différentes situations d’apprentissage, l’envahissement des affects dans le travail les empêchaient d’entrer véritablement dans les apprentissages. Mais comment dépasser le bavardage, la « causerie » pour aller vers l’acte de penser ?

Je décidais donc de m’appuyer sur la participation, l’intérêt de ces élèves pour ces temps et :

pour en faire de véritables moments où l’élève prend du plaisir à penser.

Pour y parvenir, il ne suffisait pas que ces temps existent, il me fallait les penser de façon à ce que chaque élève puisse y construire ou reconstruire sa pensée.

Dans le même temps, j’engageais également une forte modification de la menée des ateliers de philosophie tels que j’ai pu les pratiquer en maternelle.

Description des élèves observés

Wylliams est un enfant né en mai 99, de niveau P.S. en mathématique, début M.S. en langage. Arrivé en septembre dans la CLIS, c’est un enfant qui par son comportement, sa petite taille, fait plus penser à un élève de moyenne section de maternelle qu’à un garçon de 8 ans. Les parents le maintiennent dans ce rôle de « petit ». Il est très difficile d’évaluer Wylliams car il est très fluctuant et ne montre pas souvent ses possibilités. Au début de l’année, nous nous sommes demandés s’il utilisait le « je » lorsqu’il s’exprimait. Parlant en mot phrase, il a montré par la suite qu’il était capable d’utiliser parfois des phrases complexes. Dans la classe, il n’arrive pas à se poser sans l’aide d’un adulte et recherche souvent le maternage des grandes qu’il dérange dans leur travail. Il peut être très agité durant ses séances d’orthophonie ou au CMP où il est souvent sorti du groupe thérapeutique.

Philaë est une enfant née en juin 95, de niveau fin CE1 / début CE2. C’est sa troisième année dans la CLIS. C’est une élève qui entre dans l’adolescence et qui vit actuellement une période d’angoisses pouvant être liées à divers événements : les évolutions de son corps ; son orientation de l’année prochaine ; les sérieux problèmes de santé de son père ; et enfin la prochaine arrivée d’un petit frère alors que Philaë était fille unique. Elle a ses périodes d’opposition aux adultes en classe mais sait aussi être moteur dans la vie du groupe. Elle sait être en relation d’aide aux autres élèves, parfois trop. Très participante sur tous les travaux de groupes, elle est en difficulté sur le travail individuel où elle n’accepte ni l’échec, ni l’aide de l’adulte.

Jérémy est un enfant né en octobre 99, de niveau G.S.. Arrivé en septembre dans la CLIS, il est en permanence en train de parler fort. Il ne peut pas souvent montrer ce dont il est capable à cause de son comportement agressif envers ses camarades, agressions physiques ou verbales. Par son attitude, il sollicite l’intervention permanente de l’adulte. Il a pu se montrer dangereux à plusieurs occasions (agression de l’A.V.S. avec une fourchette à la cantine, jet d’une paire de ciseaux en classe) et s’automutile parfois à la maison. Lorsqu’il est très motivé par une activité, il peut montrer des compétences réelles dans le travail.

Radouane est un enfant né en août 95, de niveau fin CP. Il était très inhibé lorsqu’il est arrivé dans la CLIS l’année dernière. Pour le psychologue qui le suit, Radouane est un enfant qui se fait oublier, même par la famille. A l’école, Radouane démissionne régulièrement de son statut d’élève comme ses parents ont pu démissionner pour lui. Il existe un écart important entre sa participation à la vie du groupe-classe où ses progrès sont constants et sa relation individuelle au travail. En effet, Radouane, à tout moment d’une séance d’apprentissage, peut « baisser le rideau ». Cela se concrétise par :

Malgré cela, il peut montrer des capacités d’apprentissage, surtout mécaniques, en géométrie particulièrement. Mais le travail sur le sens, quelle que soit la discipline, est toujours très difficile, voire parfois impossible.

Objectif principal

L’objectif principal est de rendre mes élèves capables de penser, de s’autoriser la pensée, de prendre l’habitude de réfléchir, d’analyser, de tirer parti des stimuli qui les environnent, d’accepter d’être modifiables en vue de permettre à chaque élève d’accéder aux procédures cognitives fondamentales, de les aider à mettre en relation, à rechercher des significations, à se représenter les moyens disponibles pour résoudre un problème, les buts à atteindre.

C. Dispositif mis en place

Pour réintroduire ces fonctions cognitives et les médiations qui ont manqué aux enfants pour les mettre en place, j’ai choisi d’instituer trois temps de parole dans la classe : le « Quoi de neuf ? », les « textes libres » et le « Comment ça va ? » qui ont chacun leur spécificité et se complètent.

En parallèle, j’ai mené des « ateliers de philosophie » qui ont un statut à part dans ce dispositif puisqu’ils ne sont pas reliés directement au travail disciplinaire de la classe.

Je propose donc de présenter ces différents temps et l’évolution des élèves observés dans ces temps.

Les lieux de parole mis en place et leur évolution

Le « quoi de neuf ? »

C’est un moment de transition entre la maison et l’école mais aussi un moment de langage dans toute sa dimension sociale : en prenant la parole, en étant écouté et en écoutant les autres, l’élève existe dans le groupe. Dans mes premiers « Quoi de neuf ? », j’avais peur de brimer la parole des élèves par des règles trop strictes mais je me suis vite aperçu qu’un cadre précis, respecté, pouvait être rassurant, notamment pour les élèves les plus en difficulté, et au contraire libérer la parole.

CADRE MIS EN PLACE OBJECTIFS ET COMPÉTENCES VISÉS
PARTICIPANTS  
Le groupe-classe au complet.

Pas d’observateur ou avec accord des participants.


Établir un cadre rassurant.
ESPACE  
Un coin regroupement

En cercle pour que tous les participants se voient.
Être capable d’identifier l’activité.

Se sentir appartenir à un groupe / Reconnaître l’autre pour se reconnaître soi-même.
TEMPS  
Régularité : 2 fois / semaine - Les lundis et jeudis (après un jour sans école) - inscrit à l’emploi du temps de la classe.

Durée : 15 mn maximum.

Temps de parole limité.
Être capable de se concentrer sur un travail disciplinaire sans être envahi par ses affects car l’élève sait qu’il y a un temps pour se « décharger » de cela.


Apprendre à être concis dans ses interventions.
RITUEL  
Des phrases rituelles d’entrée et sortie du « Quoi de neuf ? », d’annonce des différentes phases. Se situer dans le temps de l’activité.
RÈGLES  
L’inscription.


Le bâton de parole

Un temps de questions / réponses à celui qui vient de parler.

Une phrase rituelle pour marquer la fin d’une intervention (« As-tu terminé ? »).

On ne se moque pas.

On laisse parler les autres.


La confidentialité est respectée sauf demande d’autorisation au groupe.

« Gêneur 1 fois, Gêneur 2 fois, Gêneur 3 fois tu t’en vas ! » (exclusion d’un élève du cercle de parole mais pas de la classe : il ne garde qu’un droit passif d’écoute).

Priorité au « Quoi de neuf ? » suivant pour les élèves qui, inscrits, n’ont pu s’exprimer ;

Renvoi des sujets « passionnels » sur d’autres temps de travail.
Apprendre à réfléchir avant de parler. Contrôler ses pulsions, ses affects.

Attendre pour parler / Apprendre à écouter.

Parler à bon escient (rester dans le sujet).


Savoir commencer et finir ses interventions.


Reconnaître l’autre et sa parole.

Instaurer un climat de confiance qui libère l’expression de chacun.




Contrôler ses pulsions.




S’appuyer sur les motivations des élèves pour les apprentissages.

J’ai déjà évoqué la forte participation des élèves dès les premiers « Quoi de neuf ? ». Je vais maintenant préciser la nature de cette implication de chaque enfant observé. Pour Wylliams et Jérémy, elle est de l’ordre d’une reconnaissance de leur existence dans le groupe :

Le premier, après un temps d’observation d’une semaine où il marque sa présence uniquement par une gêne du groupe en « titillant » ses voisins (il est le premier à expérimenter la règle du « gêneur 3 fois, tu t’en vas ! »), passe par une phase où il s’exprime par un seul mot-phrase, toujours le même (« game-boy »). Il semble alors utiliser le « Quoi de neuf ? » pour dire au groupe : « Je suis là ! ».

Le second, dont le comportement envahissant l’empêche souvent de travailler en groupe, va pourtant investir le « Quoi de neuf ? » et son cadre strict. Très rapidement, il y prend ses habitudes : il installe le banc pour former le cercle, il s’assied toujours à la même place dans le cercle. Après avoir « testé » la règle du « gêneur 3 fois, tu t’en vas ! », il montre qu’il est capable de maîtriser ses pulsions lors d’une activité motivante pour lui, en s’arrêtant plusieurs fois à « gêneur, 2 fois » pour ne pas se faire exclure. Jérémy, contrairement à Wylliams, s’appuie sur sa bonne maîtrise langagière pour trouver sa place dans le groupe. Cela lui permet d’être reconnu plutôt comme une autre personne que comme un élève perturbateur.

Les interventions de Radouane et Philaë, même si elles se situent encore sur la reconnaissance de la personne, sont d’un autre niveau. Ayant tous les deux un passé et une place reconnus dans le groupe-classe de la CLIS, leurs interventions sont plus de l’ordre du lien entre l’école et la famille et plus précisément d’une « décharge affective » avant le travail en classe. Tous les deux cherchent aussi une reconnaissance en dehors de l’école et les sujets qu’ils proposent au « Quoi de neuf ? » tournent autour d’objets apportés de la maison ou d’activités des mercredis, week-end et vacances.

Le « Quoi de neuf ? », lieu de parole, est donc une activité langagière. Elle permet aux élèves, grâce aux échanges et à la variété des questions et remarques, de montrer leur compétences dans ce domaine, d’y faire des progrès et à l’enseignant d’affiner ses évaluations. C’est souvent au « Quoi de neuf ? » que j’ai découvert certaines compétences de mes élèves.

Ainsi Radouane est un élève dont j’ai déjà évalué en début d’année le faible volume et le ton monocorde de sa voix qu’il n’arrive pas à modifier. Au fur et à mesure des « Quoi de neuf ? », il va parler plus fort, signe d’une prise de confiance en lui.

Capable d’utiliser des phrases complexes, il a encore du mal dans l’emploi des indicateurs de temps. Par exemple, je note qu’au « Quoi de neuf ? » du mardi 7 novembre, il utilise la formule « Mardi avant, nous étions au marché. » pour « Dimanche dernier, nous avons été au marché. ». A celui du 22 janvier, Philaë fait remarquer à Radouane qui dit « Dimanche prochain, j’étais allé au parc » que ce n’est pas possible de dire « prochain ». Veut-il signifier qu’il va bientôt aller au marché ou qu’il y est déjà allé ? On voit dans cet exemple le lien entre langage et pensée. Renforcer son langage est pour Radouane un moyen d’exprimer sa pensée de même qu’en structurant sa pensée, il pourra développer son langage. Et par-là même prendre confiance en lui. Suite à la remarque de Philaë, Radouane se corrige alors de lui-même et reformule : « Dimanche, avant hier, j’étais allé au parc ». Je ne suis pas intervenu sur ce point durant ce « Quoi de neuf ? » mais après coup, il m’a semblé que j’aurais pu noter sur le moment au tableau qu’il fallait engager un travail sur les connecteurs de temps et les temps en conjugaison en classe, travail qui aurait pu alors s’appuyer sur cette expression libre.

Au regard de la forte participation des élèves et de la rapide adaptation des trois « nouveaux » (Jérémy, Leslie, Wylliams) au fonctionnement du « Quoi de neuf ? », j’ai rapidement apporté des évolutions à ce temps de parole, la première étant l’inscription par un mot désignant le sujet de leur intervention. Cette règle est mise en place en vue d’une décentration de l’élève par rapport à ses pulsions. Il apprend ainsi à réfléchir avant de parler. C’est aussi un travail de vocabulaire puisqu’il faut choisir un mot qui résume sa pensée. Cela permet de dépasser le stade du « bavardage » dans lequel pourrait être cantonné le « Quoi de neuf ? » pour aller vers une parole pensée, réfléchie. C’est aussi l’occasion pour les élèves inscrits qui n’ont pas la parole durant la séance d’exprimer une partie de leur pensée au groupe et par-là même de s’en décharger en partie et d’exister pour le groupe.

Philaë, qui manifestait des gestes et paroles d’impatience lorsqu’elle ne pouvait s’exprimer à un « Quoi de neuf ? » s’est progressivement calmée et a utilisé sa priorité pour réinscrire le même sujet au « Quoi de neuf ? » suivant (capacité à différer sa parole dans le temps !)

Autre évolution, le « Quoi de neuf ? » à thème : au retour des vacances, à un retour de stage, après une sortie, j’ai pu imposer un thème au « Quoi de neuf ? » pour développer la capacité des élèves à parler à bon escient, en évoquant des ressentis personnels sur des sujets collectifs. L’exercice a été plus difficile pour les plus jeunes, notamment pour Wylliams qui ne pouvait se contenter d’être dans le répétitif mais qui devait raccrocher ses interventions au thème imposé.

Enfin, à partir de janvier, j’ai proposé la présidence du « Quoi de neuf ? » aux élèves, en commençant par les plus grands. L’exercice de ce pouvoir est difficile car il demande des capacités de lecture des prénoms, d’écoute en même temps que de recul par rapport à ce qui est dit (savoir où se termine l’intervention d’un autre élève, s’il reste dans le sujet annoncé), de langage (savoir reformuler les phrases rituelles et les utiliser à bon escient), compétences comportementales enfin (savoir s’imposer dans le groupe, prendre le pouvoir).

À ma grande surprise, Radouane, dans cet exercice du pouvoir, a eu une belle assurance, se permettant même de se donner la parole à lui-même tant le besoin de se décharger de son vécu avant de travailler semble primordial pour lui.

Seule Philaë a été capable de faire respecter les règles de conduite durant sa présidence, partageant à ce moment-là le pouvoir du maître. Pour les autres élèves, j’exerce un rôle de soutien dans cette menée de séance.

Les « textes libres »

Il existe un aller-retour entre le langage et la pensée : la pensée précède le mot et le mot imprime sa marque sur la pensée. Comment travailler avec mes élèves sur l’émergence de l’acte de penser sans s’appuyer sur le support de l’écrit ? Et sans prendre en compte les deux aspects du langage : la représentation et la situation de communication ? Mon travail en alternance cette année ne me permettant pas de mettre en place une correspondance avec une autre classe, j’ai donc proposé aux élèves de produire des textes libres dont certains sont choisis afin d’être « publiés » dans un journal destiné aux familles. Pour ces élèves en difficulté dès qu’il y a passage à l’écrit, l’objectif est qu’ils s’approprient l’écrit comme outil de pensée et qu’ils découvrent que, derrière l’écrit, il y a quelqu’un qui parle et pas seulement quelque chose qui se dit.

J’ai donc mis à disposition de chaque élève un cahier de « textes libres ». Pour les non-lecteurs, les textes peuvent être dictés à l’adulte ou sont issus des commentaires de l’enfant sur un dessin qu’il a fait. Il s’agit pour tous d’une écriture libre dans le temps, par rapport au lieu dans lequel il est écrit et par rapport à son contenu (même si tout n’est pas diffusable), par rapport à l’orthographe (qui sera corrigée en classe ultérieurement).

Les textes peuvent être lus au groupe-classe, les dessins commentés le mardi matin et lors d’un « Comment ça va ? », un choix de textes sera fait pour le journal.

Tout comme pour le « Quoi de neuf ? », l’investissement dans l’activité a été immédiat, chacun utilisant son niveau de compétences. Wylliams est passé par le dessin, Jérémy par la dictée à l’adulte (réinvestissement d’un conte que nous avions travaillé en classe), Radouane et Philaë, l’écriture. Le premier mardi, Radouane avait trois textes à nous lire : un d’évocation de ses vacances, un autre récit imaginé et enfin une liste de cadeaux de Noël. Le travail d’observation réfléchie de la langue (notion de mot, de phrase, temps utilisés, type d’écrits) et de correction de l’orthographe que j’ai pu faire avec eux pour que le texte choisi puisse être publié dans le journal a été facilité par leur grande motivation. Même Wylliams, si distant par rapport aux apprentissages d’ordinaire, a tenu compte des remarques des autres sur son dessin de bonhomme et a souhaité le modifier avant publication.

La démarche du texte libre est celle de l’écrivain : celui qui a quelque chose à dire, à qui l’on reconnaît la capacité de dire « je ».

Le « Comment ça va ? »

Il se passe autour de la grande table de la classe (2 tables réunies). Avant toute réunion décisionnaire, ce conseil d’enfants permet à la parole de devenir engagement suivi d’actes. Les sujets proposés au « Comment ça va ? » viennent d’événements de la classe et de propositions des élèves ou des adultes. Pour éviter toute démagogie, un travail sur les statuts de chacun, et notamment sur la responsabilité du maître, garant de la sécurité des élèves et de la pédagogie, a été fait en début d’année. En effet, deux débats en classe ont eu lieu autour des questions « Pourquoi venez-vous à l’école ? » et « Pourquoi le maître et l’A.V.S. viennent-ils à l’école ? » et ont ainsi permis de définir le statut de l’élève, de l’enseignant, de l’A.V.S..

Le « Comment ça va ? » permet de prendre du recul par rapport au vécu de la classe. En effet, on essaye d’y régler, « à froid », des conflits en évitant qu’il devienne un tribunal. C’est plutôt le lieu où l’on élabore des règles valables pour tous.

Tout comme le « Quoi de neuf ? », le « Comment ça va ? » est un moment très cadré avec trois phases très distinctes qui doivent permettre à l’élève de structurer sa pensée. Voici ces trois phases résumées dans le tableau suivant :

3 PHASES OBJECTIFS ET COMPÉTENCES VISÉS
1ère phase : évocation des faits  
Seuls les élèves qui proposent quelque chose concernant la vie de la classe ou qui ont été témoins de l’événement qui provoque la discussion ont la parole. Etre capable de rapporter un événement en se faisant clairement comprendre.

Parler à bon escient

Aller à l’essentiel.
2nde phase : la discussion  
Chacun peut apporter son opinion sur le sujet. Exposer son point de vue et ses réactions dans un débat en restant dans les propos de l’échange.
3ème phase : prise de décision  
Les décisions prises sont ensuite appliquées en classe. Le maître, vu les responsabilités qu’il a, peut exercer son droit de veto mais il pourra aussi laisser s’appliquer une règle qu’il sait difficile à respecter.

Une trace écrite est laissée en classe (règle de vie, tableau des services rendus à la classe affichés)
Faire prendre conscience aux élèves de la conséquence de leurs actes, de leurs décisions. (engagement de la parole)



Avoir une utilisation fonctionnelle de l’écrit.

J’ai retenu comme exemple le « Comment ça va ? » du mardi 23 janvier 2007(26) parce qu’il me paraît significatif de l’implication des élèves dans ce temps de parole, et du chemin parcouru dans l’acte de penser. Il est aussi révélateur de mes propres progrès dans sa menée car je suis à cette période en pleine réflexion sur ces temps de parole et leurs objectifs :

Il est à noter qu’à ce conseil, à partir d’une proposition de Philaë autour de la consommation des bonbons en classe, vont ressurgir les conflits de la classe non encore formulés. Et donc qu’il va être mis des mots, des pensées sur des ressentis de chacun. Où chacun va découvrir l’autre et en miroir se représenter soi-même. Plus ou moins consciemment, les élèves ont compris que ce temps pouvait permettre la gestion de ces conflits.

Ce « Comment ça va ? » a lieu dans une période où Jérémy est très perturbateur dans la classe et est en train d’être exclu du groupe par les élèves (ne se rangent plus avec lui, ne veulent pas faire partie des petits groupes de travail où il se trouve, etc.) mais aussi par moi-même (je dois l’isoler régulièrement pour protéger les autres élèves de ses agressions verbales et physiques) et enfin et surtout par lui-même (« Je ne travaille pas aujourd’hui ! », « Je vais jouer au coin maison. », « Je vais lire un livre en bibliothèque. »)

C’est pourtant Jérémy qui va orienter la discussion sur sa place dans le groupe en évoquant les « enfants gentils », terme repris plus négativement par les autres élèves (« enfants méchants »).

Mon intervention va alors consister dans un premier temps à faire définir le mot « méchant », à faire comparer des définitions, des points de vue. Ce travail sur des capacités cognitives me paraît important. Tout comme il me paraît important dans un deuxième temps de ramener les élèves à la proposition de départ de Philaë pour qu’elle soit suivie d’une prise de décision et que le conseil ne soit pas seulement un moment de bavardage mais bien un temps de paroles suivies d’actes.

Mais ce « Comment ça va ? » me paraît révélateur d’une ambiguïté dans mon travail. Par souci d’éviter un conseil d’enfants qui deviendrait un tribunal (ou qui me déstabiliserait moi-même dans mon pouvoir de meneur ?), je généralise vite les situations pour arriver à des règles pour tous. Mais Jérémy n’a-t-il pas besoin d’entendre de la bouche des autres élèves plutôt que de celle des adultes qu’il les gêne ? D’entendre la parole des autres ne peut-il pas l’aider à les reconnaître et par-là même à se construire lui-même ? Et n’est-ce pas intéressant pour les autres de définir ce qui peut les gêner dans l’attitude de Jérémy ?

Ce conseil, en plus d’une décision sur les bonbons (somme toute peu importante pour la vie du groupe classe au regard de l’ambiance qui règne lorsque Jérémy va mal), ne nécessitait-il pas d’aller vers une décision par rapport aux enfants gêneurs ?

En clair, le « Comment ça va ? », pour devenir un contenant de pensées, ne doit-il pas permettre aux élèves d’exprimer leurs ressentis, de dépasser leur empêchement de penser par un travail sur l’argumentation, la mise en lien, etc. ?

La question des gênes provoquées par Jérémy est revenue dans un conseil du mois de mars. Cette fois-ci, j’ai invité les enfants à se prononcer sur « Quelles sont les attitudes qui me gênent ? », où j’ai été surpris par la participation et la personnalisation des réponses. Leslie a su exprimer que c’était le fait qu’il touche à ses nattes, Radouane le fait qu’il tape, Joël étant plus gêné par les gros mots. Mais où aussi Jérémy a pu exprimer qu’il pouvait être gêné par les autres, certains comme Radouane ayant tendance à l’exciter volontairement en se moquant. Cette variété de gênes sur lesquelles les élèves ont pu mettre des mots montre, au-delà de la gestion du conflit, les progrès des élèves dans l’acte de penser

Les ateliers de philosophie

Au départ, l’objectif de J. Lévine(27) : « Le moment de philosophie vise d’abord à ce que l’enfant s’entende émettre une pensée sur des sujets importants concernant l’Humain ; entende aussi les idées des autres, et ce dans le cadre d’une classe-communauté qui s’instaure en communauté de penseurs. » a guidé mon action pédagogique.

Ainsi, j’ai mis en place mes premiers ateliers hebdomadaires dans la classe qui ont eu lieu au coin regroupement. A partir de la lecture d’un album, j’amène les enfants à proposer des questions sur les thèmes abordés par l’album. S’ensuit une discussion sur la ou les questions proposées, discussion pendant laquelle je n’interviens pas, si ce n’est pour rappeler la question de départ.

Même si, dès le départ, l’intérêt des enfants pour cette activité semble réelle, je fais un bilan assez négatif de ces premières séances pour plusieurs raisons :

• Par souci, d’arriver à un questionnement d’ordre général, universel, j’ai dans ma menée guidé les enfants vers les questions que j’avais repérées comme possibles avant la séance, dont la formulation ne permettait pas une référence au vécu de chacun. Ainsi, sur le thème du « mensonge » et à partir de la question des enfants « Est-ce bien de mentir aux enfants ? », les sous-questions que j’ai formulées « Qu’est-ce qui est vrai ? faux ? », « Qu’est-ce qui est bien ou mal ? » ont plus plongé les élèves dans la perplexité que proposé une aide les amenant à structurer leur pensée.

• Je suis passé à côté de remarques d’élèves qui n’étaient pas en capacité de formuler leur ressenti sous forme de questionnement.

En conclusion, je demandais aux élèves de posséder dès le départ les compétences que l’atelier de philosophie se donne pour objectif de développer : formuler un questionnement / apprendre à penser soi-même / s’autoriser une pensée.

Je décidais donc, au regard de ces observations et de mes lectures théoriques du moment sur la communauté de recherche, de modifier le cadre de mes ateliers. Voici le nouveau dispositif proposé au regard des objectifs visés :

LE CADRE OBJECTIFS
Le lieu : les ateliers se déroulent maintenant dans la salle vide en face de notre classe.

L’espace : en cercle afin que tout le monde puisse se voir.

Des règles précises : identiques à celle des autres temps de parole.

Le temps :
• 10 mn de lecture
• 15 mn de questionnement
• 5 mn de vote
• une coupure (récréation)
• 20 mn de discussion maximum
Instaurer un moment de recherche hors classe qui débouche sur un processus de compréhension et non sur une connaissance clôturée, un enseignement.

Rassurer pour permettre le fait de penser.
LA DÉMARCHE OBJECTIFS
1ère phase : lecture partagée  
Une lecture partagée d’un album, où le partage du contenu est un préliminaire à celui des idées.

Le texte d’un album est distribué à tous les participants et lu par les lecteurs à tour de rôle, chacun s’arrêtant où il le souhaite, le maître terminant la lecture. Les non-lecteurs ont aussi le texte sous les yeux.
Reproduire oralement un texte écrit.

Faire prendre conscience que l’écrit est porteur de sens et appelle un questionnement.

Se servir du texte comme intermédiaire entre culture et individu.

Se rassurer en découvrant que l’autre se pose les mêmes questions.

Instaurer une communauté de recherche, lieu d’élaboration d’une éthique du dialogue et de la pensée.
2nde phase : la « cueillette » des questions  
Une « cueillette » des idées fondamentales dans la mesure où elle amène le groupe jusqu’à un questionnement général voire universel.

Chaque question est correctement reformulée, si possible par le groupe et notée au tableau précédée du prénom de celui qui l’a proposée.
Développer la curiosité.

Éveiller le désir de connaissances.

Inciter à s’interroger.

Inciter à dégager des thèmes de réflexions.

Proposer une situation motivant la mise en œuvre d’une communauté de recherche.

Découvrir la richesse et la signification d’un texte.
3ème phase : le vote  
Une des questions est élue dans un vote à deux tours. Savoir faire un choix.

Faire adopter démocratiquement la proposition d’un individu par le groupe.

Dégager une problématique concernant la majorité des membres du groupe.
4ème phase : la discussion  
Une discussion philosophique où tous les participants ont le droit de faire connaître leur avis et où tous les avis doivent être fondés sur des arguments valables. Élaborer une solidarité du groupe à travers une recherche dialogique.

Confronter les opinions.

Faire progresser les habiletés cognitives : faire une phrase, généraliser, trouver des exemples.

Enfin, pour mettre en pratique les théories de Winnicott sur l’entourage nécessaire à l’enfant pour arriver à penser, de Vygotski sur la médiation humaine, de J. Oury sur l’importance du groupe, il me fallait réfléchir à la dynamique du groupe de recherche que je voulais mettre en place pour ces ateliers. Je proposai donc à une collègue de CM2 de l’école qui menait par ailleurs des ateliers de philosophie dans sa classe, une intégration d’une partie de ses élèves dans mes ateliers. Ma seule crainte était le risque « d’écrasement » des élèves de la CLIS par les CM2. Et alors, non seulement le groupe a fonctionné dans un respect mutuel, mais mon travail de préparation et d’analyse en a été enrichi, puisque nous avons décidé de travailler avec ma collègue sur les mêmes textes et d’échanger nos expériences après chaque séance.

Ce qui m’a alors surpris dans ces nouvelles situations au point de donner un sentiment « d’étrangeté », c’est la qualité de concentration des enfants, que ce soit dans la lecture partagée puis dans la réflexion. Ainsi Jérémy, si turbulent en classe et non-lecteur, est non seulement attentif à la lecture des autres élèves mais participatif au point de proposer des questionnements au groupe de recherche (« d’où viennent les squelettes dans les musées ? », question sur les origines).

Comme le dit J. Lévine dans une de ses interventions(28), le désir de l’enseignant de donner une place de co-réfléchissant provoque un basculement de « l’enfant qui perturbe » au sujet « capable » et un basculement de l’enseignant qui apporte des connaissances et dirige des démarches à celui qui observe, découvre les immenses possibilités des enfants, se laisse surprendre, a confiance dans leurs possibilités de promouvoir une réflexion sur la vie.

Mais Wylliams n’en est pas là. Il a encore besoin de déposer ce qui l’empêche de grandir, de se « désencombrer » avant de pouvoir se livrer à l’exercice de la pensée. Il n’est pas capable de sortir de l’histoire lue.

Pour ces enfants-là, Lévine pense que l’enseignant doit pouvoir les entendre sans porter de jugement de valeur parce que pour eux, partager cela, ne plus être envahis seuls par la souffrance est ce qui peut les remettre dans une perspective de croissance.

Ainsi, Radouane, dans l’atelier sur le thème « A quoi peut-on penser ? », est déjà capable d’émettre une idée, même s’il elle est très terre à terre : « penser à faire les courses » puis capable de reformuler à sa façon des idées émises par d’autres. Il est donc capable d’entendre la pensée des autres et c’est en se confrontant à la pensée d’autrui qu’un enfant peut lui-même construire sa pensée. Radouane a encore du mal à rebondir sur ce que les autres apportent à la réflexion puisque la semaine suivante, sur le thème de « la jalousie », ses 3 premières interventions ne seront que la répétition de la même idée (« on peut être jaloux des jouets des copains ») mais sa 4ème intervention tiendra compte des réflexions des CM2 sur la jalousie par rapport aux personnes pour émettre l’idée que l’on peut être jaloux d’un bébé.

Autre facteur d’étrangeté : les enfants qui ne parlent pas sont très attentifs, à l’écoute. Philaë fait partie de ceux-là : elle semble impressionnée par la présence des CM2 et n’ose pas encore exprimer ses propres pensées. Je l’observe pendant les ateliers : n’y a-t-il pas en elle un travail souterrain de la pensée, un cheminement en écho à ce qui se dit malgré son silence ? La suite des ateliers confirmera mon hypothèse.

Toujours d’après J. Lévine, l’enseignant peut aussi aider les enfants à prendre de la distance en concluant, par exemple, à l’issue de l’atelier, en reformulant avec les participants ce qui a été dit durant l’atelier, en catégorisant.

C’est cette dernière phase que j’ai introduite dans les ateliers du mois de mars : durant l’atelier de philosophie du 12 mars 2007(29), 3 questions avaient été débattues ce jour-là autour du thème de la jalousie : « De qui et de quoi peut-on être jaloux ? », « Tout le monde peut-il être jaloux ? », « Comment est-on lorsque l’on est jaloux ? » A la fin de la discussion qui a été riche, j’ai demandé aux élèves de revenir sur ce qui avait été dit et de catégoriser leurs réponses par rapport aux questions de départ de manière à établir un compte rendu de la séance.

Dans cette phase, Philaë qui avait été muette durant toute la séance a donc été active, reformulant des pensées émises par d’autres élèves et sachant les catégoriser. J’avais proposé la semaine précédente une autre catégorisation sur les différentes façons de penser en demandant aux élèves, après discussion autour de la question « A quoi peut-on penser ? », de repérer les différents sens du mot penser : lorsque l’on pense à être footballeur plus tard, on imagine. Lorsque l’on pense à quelqu’un, on se souvient. Lorsque l’on pense à la pollution ou aux pauvres, on est dans la réalité. Lorsque l’on pense à un tigre volant (!), on est dans l’imaginaire.

Je crois que cette phase est une phase de transition entre les ateliers de philosophie et les apprentissages disciplinaires. Elle est importante car elle permet de garder une trace écrite de l’acte de penser qu’est l’atelier de philosophie.

 

Conclusion

Au regard de ces premières expériences d’exercices de la parole et de la pensée fonctionnelle ou philosophique en CLIS, je me rends bien compte que sans une certaine maîtrise de l’abstraction, de la représentation et de la symbolisation que mes élèves ne possèdent pas, il paraît difficile d’atteindre les degrés de conceptualisation, de problématisation et d’argumentation indispensables à l’exercice de la philosophie. Dois-je considérer par conséquent que ces enfants sont incapables d’une activité de pensée réflexive ? Je ne le crois pas et les progrès enregistrés sur ces quelques séances (amélioration des compétences orales, acquisition de vocabulaire, socialisation, structuration de la pensée), leurs attitudes dans ces activités et leur changement de comportement face au travail scolaire que j’ai pu noter en parallèle en classe me poussent à continuer plus loin l’expérience. Mais que faut-il garder de ces pratiques et comment les faire évoluer tout en restant dans une Zone Proximale de Développement de chaque enfant ?

En premier lieu, c’est la nature même de ces pratiques (les temps de parole ou les ateliers de philosophie) centrées sur l’élève, respectueuses des opinions et des cheminements intellectuels individuels qui je crois contribue à la valorisation de la pensée. Pour ces élèves en difficultés de penser, cette re-narcissisation pourrait encourager l’enfant à augmenter sa prise de risque intellectuel et à produire des raisonnements. Et cela m’amène à me questionner sur l’intérêt d’un décloisonnement avec des élèves de CM2 sur le temps des ateliers de philosophie : d’un côté, la pensée de l’autre (l’adulte, le CM2) est nécessaire pour que l’enfant de CLIS construise sa propre pensée mais il a aussi besoin de « s’entendre penser », pour arriver à penser soi-même. La classe de CM2 partant 15 jours en séjour de découverte au mois de mai, il sera intéressant de voir comment mes élèves vont s’impliquer dans les ateliers de philosophie durant cette période.

Ensuite c’est la complémentarité de ces différents temps qui permet à chaque enfant de progresser à son rythme : C’est parce qu’il s’est senti exister par une prise de parole au « Quoi de neuf ? » que Wylliams va s’autoriser une pensée au cours d’un atelier de philosophie et se sentir faire partie du groupe de recherche et ensuite en classe participer activement à un travail de lecture en petit groupe...

Ce qui m’amène à me questionner sur le lien entre mon dispositif et les apprentissages scolaires : Comment faire en sorte que le développement intellectuel de mes élèves se poursuive dans les apprentissages scolaires ?

Lorsque j’ai mis en place les lieux de parole et l’atelier de philosophie dans la CLIS, l’objectif était bien évidemment que les élèves en tirent des bénéfices sur le plan scolaire, qu’ils réinvestissent ce travail aussi bien dans des situations de classe qu’au niveau d’une attitude plus générale par rapport au savoir.

Je compte donc aussi développer les pratiques réflexives dans les différentes disciplines scolaires au sein même de la classe en m’inspirant notamment de la démarche de médiation cognitive en relation avec les apprentissages scolaires de M. Prouchet et J.-L. Héraud(30). Cette démarche propose des séquences de médiation en 5 phases (toutes ces phases n’étant pas forcément réalisées à chaque séance) :

Enfin, pour la pratique des ateliers de philosophie, qui peut représenter une médiation d’un nouveau genre pour les enfants en situation de handicap accueillis dans la CLIS, je pense développer le travail engagé sur les processus cognitifs en systématisant les comptes rendus de fin de séances et en articulant l’oral et l’écrit dans ma pratique : les échanges de telles pratiques facilitent l’acte d’écriture, celui-ci étant à la fois communication et expression, mais aussi éducation de la pensée, l’écriture représentant ainsi un retour réflexif sur la parole. Il est important que chaque élève prenne conscience de la relation entre ces deux activités. Je suis donc en train de réfléchir à la mise en place d’affiches réalisées par les élèves reprenant le compte rendu soit du questionnement de la séance, soit de la discussion et des pensées individuelles (un mot, une phrase) sur le thème. Pour les non-lecteurs, cela pourra passer par une dictée à l’adulte. Cela permettrait de garder une trace du travail de catégorisation, de conceptualisation, etc., réalisé par les enfants et une trace de l’évolution de la pensée de chacun...

Paul Orset
2007

 
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Bibliographie

Didier ANZIEU et al., Les contenants de pensée, Col. Inconscient et culture, Dunod, Paris, 1993.
Serge BOIMARE, L’enfant et la peur d’apprendre, Dunod, Paris, 1999.
Jerome S. BRUNER, Savoir faire, savoir dire, Col. Psychologie de l’enfant, PUF, Paris, 1983.
Bernard DOUET, Evaluer et prendre en charges les troubles de la pensée chez l’enfant ; Méthode de développement des contenants de pensée, Dunod, Paris, 2003.
Bernard GIBELLO, L’enfant à l’intelligence troublée, Bayard, Paris, 1984.
Jean-Loup HERAUD, Marc PROUCHET et Collectif, Penser pour apprendre ; Regard critique sur l’éducation cognitive à l’école, Col. Pédagogie, Hatier, Paris, 1999.
Anne LALANNE, Faire de la philosophie à l’école élémentaire, Col. Pratiques et enjeux pédagogiques, ESF, 2002.
Jacques LEVINE et Jeanne MOLL, Je est un autre ; Pour un dialogue pédagogie-psychanalyse, Col. Pédagogie essais, ESF, 2001.
Matthew LIPMAN, À l’école de la pensée ; Enseigner une pensée holistique, Col. Pédagogie en développement, De Boeck, 2006.
Jean OURY, in Pédagogie : éducation ou mise en condition, Col. Partisans, Maspero, Paris, 1971.
Jean PIAGET, Bärbel INHELDER, La psychologie de l’enfant, Col. « Que sais-je », PUF, Paris, 1966.
Aïda VASQUEZ et Fernand OURY, De la classe coopérative à la pédagogie institutionnelle, Maspero, 1971.
Donald W. WINNICOTT, Jeu et réalité (L’espace potentiel), Col. Connaissance de l’inconscient, N° 26, Gallimard, Paris, 1975.

 
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Annexe 1 :
« Comment ça va ? » du mardi 23 janvier 2007

Philaë s’est inscrite le vendredi précédent pour faire une proposition au sujet des « bonbons ».

Les faits

Philaë : « On pourrait manger en classe les bonbons qu’il reste. »

Le maître : « Ah bon ! il y a des bonbons dans la classe ? » (j’étais en stage au moment du départ de Sabrina en IME)

Tifanie : « Oui, M. Lemasson (mon remplaçant) avait apporté des bonbons pour fêter le départ de Sabrina dans une autre école et on n’a pas tout mangé. »

La discussion

Le maître : « Alors que pensez-vous de la proposition de Philaë ? »

Tifanie : « On n’est pas là pour manger des bonbons. On est là pour travailler. »

Jeremy : « Quand c’est les anniversaires, on a le droit d’amener des bonbons. »

Le maître : « Pourquoi ? »

Jeremy : « Parce que c’est bien d’en donner aux enfants parce qu’ils sont gentils. »

Radouane : « Non, parce que s’il y a des méchants, on ne doit pas en donner aux méchants élèves. »

Tifanie : « On peut pas en donner parce qu’ils vont rester méchants. »

Le maître : « Pouvez-vous définir ce qu’est un “méchant élève” ? Qu’est ce que c’est qu’un “méchant élève” ? »

Tifanie : « Un méchant élève, c’est un élève qui tape les autres. »

Joël : « C’est un élève qui dit des gros mots et qui tire les oreilles. »

Le maître : « Est-ce que c’est la même chose ? Est ce que la définition d’un “méchant élève” de Tifanie est la même que la définition de Joël ? »

Fanta : « C’est pas la même chose : taper, c’est donner des coups. Tirer les oreilles, on ne donne pas des coups. »

Le maître : « Et dire des gros mots ? »

Joël : « Dire des gros mots, c’est méchant ! »

Radouane : « On n’a pas le droit de dire des gros mots. »

Le maître : « Pourquoi n’a-t-on pas le droit dire des gros mots, de taper, de tirer les oreilles ? »

Fanta : « Parce que ça fait mal. »

Le maître : « Alors comment peut-on définir toutes ces actions ? »

Philaë : « C’est méchant. »

Le maître : « Toutes ces actions sont violentes. La violence c’est lorsque l’on fait mal à quelqu’un. On pourra avoir un questionnement sur la violence dans un atelier de philosophie. »

Le maître : « Bon, revenons à la proposition de Philaë de manger des bonbons en classe »

Philaë : « On pourrait en manger des fois. »

Fanta : « Il ne faut pas en manger tous les jours parce qu’après, on a mal aux dents. Ça donne des caries. »

Le maître : « Qu’est-ce que c’est, les caries ? »

Joël : « Les caries, ce sont des trous dans les dents. Il faut aller chez le dentiste. »

Philaë : « Ce sont les bactéries qui font des trous dans les dents. »

Joël : « Il faut se brosser les dents après. »

La décision

Le maître : « Alors ? Que décide-t-on ? »

Jérémy : « On mange des bonbons quand il y a des anniversaires. »

Fanta : « Et lorsqu’on va en vacances. »

Le maître : « Êtes-vous d’accord avec les propositions de Jérémy et Fanta ? »

Accord à l’unanimité

Le maître : « Alors qu’écrit-on ? »

Le groupe-classe dicte à l’adulte la règle qui sera affichée au mur :

« On mange des bonbons dans la classe à l’occasion (formule proposée par le maître) des anniversaires ou avant des vacances parce qu’on est dans la classe avant tout pour travailler et parce qu’il faut en manger raisonnablement (vocabulaire proposé par Tifanie) afin de protéger nos dents. »

 
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Annexe 2 :
Compte-rendu de l’atelier de philosophie du 12 mars 2007

Lecture partagée

Du texte de l’album : « FOX » de M. Wild aux éditions Pastel.

Questionnement

Remarques sur le texte Sujets abordés Questions formulées
Le chien est aveugle.

La pie est blessée.

« Ils ont des défauts. »

« Oui mais ils ne l’ont pas fait exprès. »
LE HANDICAP « Tout le monde peut-il être handicapé ? »
Le renard est jaloux de la pie et du chien parce qu’ils sont amis. LA JALOUSIE « De qui, de quoi peut-on être jaloux ? »

« Tout le monde peut-il être jaloux ? »

« Comment est-on lorsque l’on est jaloux ? »
Le renard est seul. LA SOLITUDE « La solitude, qu’est ce que c’est ? »
Le renard est triste. LA TRISTESSE « Quand peut-on être triste ? La tristesse, ça vient comment ?

Le vote

1er tour : Handicap : 2 voix – Jalousie : 10 voix, Solitude : 1 voix, Tristesse : 3 voix

2nd tour : Jalousie : 12 voix – Tristesse 3 voix

Compte-rendu de la discussion

De qui peut-on être jaloux ?

  • D’une célébrité
  • D’un(e) copain / copine
  • Du chouchou
  • D’une petite sœur / bébé
  • D’un grand frère

De quoi peut-on être jaloux ?

  • Des jouets
  • Des vêtements
  • D’une voiture « tunée »

 

Tout le monde peut-il être jaloux ?

Comment est-on lorsque l’on est jaloux ?

On peut :

 
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Notes

(1) R. Feuerstein, Y. Jensen, L’enrichissement instrumental : bases théoriques, objectifs et instruments, Psychologie scolaire, N° 67, 1989.
(2) Didier Anzieu et al., Les contenants de pensée, Col. Inconscient et culture, Dunod, Paris, 1993.
(3) Jean Piaget, Bärbel Inhelder, La psychologie de l’enfant, Col. « Que sais-je », PUF, Paris, 1966.
(4) Jean Piaget, Où va l’éducation ? (Réédition), Col. Folio, Paris, 1988.
(5) W. R. Bion, Attaque contre les liens, Nouvelle revue de psychanalyse, N° 25.
(6) Donald W. Winnicott, Jeu et réalité (L’espace potentiel), Col. Connaissance de l’inconscient, N° 26, Gallimard, Paris, 1975.
(7) L. S. Vygotski, in Jerome S. Bruner, Savoir faire, savoir dire, Col. Psychologie de l’enfant, PUF, Paris, 1983.
(8) Jerome S. Bruner, Savoir faire, savoir dire, Col. Psychologie de l’enfant, PUF, Paris, 1983.
(9) Bernard Douet, Évaluer et prendre en charges les troubles de la pensée chez l’enfant ; Méthode de développement des contenants de pensée, Dunod, Paris, 2003.
(10) Bernard Gibello, L’enfant à l’intelligence troublée, Bayard, Paris, 1984.
(11) R. Feuerstein, Y. Jensen, L’enrichissement instrumental : bases théoriques, objectifs et instruments, in Psychologie scolaire, N° 67, 1989.
(12) Jean Oury, in Pédagogie : éducation ou mise en condition, Col. Partisans, Maspero, Paris, 1971.
(13) Jacques Lacan, Le moi dans la théorie de Freud et dans la technique de la psychanalyse, 1954-55, Le Seuil, Paris, 1978.
(14) Aïda Vasquez et Fernand Oury, De la classe coopérative à la pédagogie institutionnelle, Maspero, 1971.
(15) Matthew Lipman, À l’école de la pensée ; Enseigner une pensée holistique, Col. Pédagogie en déve­loppement, De Boeck, 2006.
(16) John Dewey, Expérience et éducation, A. Colin, Paris, 1938.
(17) Charles Sanders Peirce, in Matthew Lipman, À l’école de la pensée ; Enseigner une pensée holistique, Col. Pédagogie en développement, De Boeck, 2006.
(18) Anne Lalanne, Faire de la philosophie à l’école élémentaire, Col. Pratiques et enjeux pédagogiques, ESF, 2002.
(19) Serge Boimare, L’enfant et la peur d’apprendre, Dunod, Paris, 1999.
(20) Jacques Lévine et Jeanne Moll, Je est un autre ; Pour un dialogue pédagogie-psychanalyse, Col. Pédagogie essais, ESF, 2001.
(21) Matthew Lipman, À l’école de la pensée ; Enseigner une pensée holistique, Col. Pédagogie en développement, De Boeck, 2006.
(22) Édouard Claparède, Psychologie de l’enfant et pédagogie expérimentale, Delachaux et Niestlé, 1952.
(23) Serge Boimare, L’enfant et la peur d’apprendre, Dunod, Paris, 1999.
(24) Bernard Douet, Évaluer et prendre en charges les troubles de la pensée chez l’enfant ; Méthode de développement des contenants de pensée, Dunod, Paris, 2003.
(25) Didier Anzieu et al., Les contenants de pensée, Col. Inconscient et culture, Dunod, Paris, 1993.
(26) Cf. annexe 1.
(27) Jacques Lévine, in Le moment de philosophie, Bulletin du chantier maternelle de l’ICEM.
(28) Son intervention auprès du groupe travaillant sur les ateliers de philosophie à l’école primaire, à l’I.U.F.M. de Bonneuil, le 10 mai 2000.
(29) Cf. annexe 2.
(30) Jean-Loup Héraud, Marc Pruchet et Collectif, Penser pour apprendre ; Regard critique sur l’éducation cognitive à l’école, Col. Pédagogie, Hatier, Paris, 1999.

 
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