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Cette question m’a été posée plusieurs fois, et ceci depuis au moins une quinzaine d’années, en référence sans doute à ma longue expérience professionnelle dans le champ des établissements et services pour jeunes sourds. Elle fait pendant à une autre remarque, fréquemment entendue elle aussi : « Les sourds ! Pffff ! », assortie d’un geste significatif d’un ras-le-bol. Évidemment, ces question et remarque ne viennent pas des professionnels de terrain, chez lesquels on trouve le plus souvent des convictions et déterminations de longue durée.

Elles viennent plutôt des professionnels exerçant des fonctions d’encadrement ou transversales : directeurs, chefs de service, responsables de projets, responsables qualité... Elles viennent de ceux-là même qui tiennent le discours le plus engageant et le plus offensif sur la place des usagers, leur empowerment, sur les droits et la participation des usagers, sur l’amélioration continue de la qualité, sur l’application des bonnes pratiques... Il y a là un paradoxe, dont il faut essayer de rechercher quelque explication.

C’est peut-être que, à côté de ce discours, il y a des réalités qui ne se tordent pas aux belles intentions, qui sont inscrites dans le terreau d’organisations exemptes d’analyse critique. Car dans ceux qui sont partie prenante de l’éducation des jeunes sourds, il y a des parents, dont certains sont eux-mêmes sourds, il y a des professionnels, dont certains sont eux-mêmes sourds, et il y a même des parents entendants qui se revendiquent des choix faits par les sourds.

Et c’est à tous ceux-là que les question et remarque font référence : ceux-là sont parfois rétifs, et même très rétifs, à ce que « nous », experts de l’intervention médico-sociale, savons de ce qui est bien pour « eux ». Et quand ils s’expriment, ils contestent radicalement, ils ne sont pas malléables : d’où peut-être cette lassitude de certains professionnels qui ont à faire fonctionner les organisations.

Car les éléments contestés heurtent de plein fouet les pratiques médico-sociales. Et c’est même le caractère médico-social qui est contesté, dans le refus, par exemple, de considérer la situation des personnes sourdes comme une maladie objet de soins qu’on trouve dans l’approche bio-médicale prégnante dans les établissements médico-sociaux. Contestation aussi de la rééducation orale (impératif du fonctionnement médico-social qui se légitime dans le cadre des soins), et de considérer la langue orale comme condition de participation sociale ; contestation quant à l’insuffisance de l’enseignement en langue des signes et de l’insuffisance des professionnels sourds dans les établissements, etc.

Et c’est vrai que cela fait des années que cela dure ! La rétivité récurrente des personnes concernées à adhérer aux valeurs portées par le secteur médico-social a aussi pour effet de faire attribuer « l’erreur » à ces personnes (« passéistes, communautaristes... »), et nullement de remettre en cause les principes de fonctionnement de leur « prise en charge ». Et, plus grave, de générer une sorte de « sourdisme » (racisme envers les sourds), donnant lieu, à partir d’une expérience particulière avec quelques jeunes sourds ou avec quelques professionnels sourds, à des généralisations existentielles et ontologiques : « ils sont bornés, ils ne comprennent pas tout, ils sont extrémistes, etc. ».

 
Un texte de Jean-Yves Le Capitaine
25 novembre 2016

 
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