Psychologie, éducation & enseignement spécialisé
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CAPA-SH, formation, commission d’agrément, etc.

 

 
Texte de Philippe Cormier,
encore chargé de mission responsable du centre de formation AIS
de l’IUFM des Pays de la Loire (Nantes)


Autres textes de Philippe Cormier  Voir aussi les autres textes de Philippe Cormier publiés sur ce site, ainsi que le livre de Philippe Cormier, Dominique Duguay, Emmanuelle Lesage, Gaëlle Pouille-Toutous, Christian Tillier, Élèves en difficulté (Le livre-je des aides spécialisées à l’école), L’Harmattan, Paris, 2011, préfacé par Yves de la Monneraye.

 

Cette lettre s’adresse aux fonctionnaires qui portent une responsabilité dans la rédaction de certains aspects des textes officiels régissant le CAPA-SH et surtout la formation correspondante. Elle s’adresse également aux membres de la commission chargée d’agréer les plans de formation. Comme je ne m’adresse à personne nominativement, j’adresse d’avance mes excuses à ceux qui d’aventure pourraient se sentir mis en cause injustement par mes propos. Je tiens à ce que le contenu de cette lettre soit connu du plus grand nombre, dans le petit monde de l’AIS et un peu au-delà (mais mon carnet d’adresse n’est pas exhaustif).

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Le fait que la commission d’agrément des plans de formation demande à plusieurs d’entre nous de revoir leur copie n’est ici que la goutte qui fait déborder le vase : les motifs de cette lettre sont aussi anciens que les textes qui en sont l’objet. Je n’aurais sans doute rien écrit, sans illusion par ailleurs sur le fonctionnement de la bureaucratie de l’administration française, si désormais je ne faisais le constat qu’ELLE NOUS EMPÊCHE DE TRAVAILLER. Que la limite du supportable a été franchie, et que cela demande tôt ou tard à être dit tout haut par quelqu’un. Je sais que je ne suis pas seul et que je ne  cède pas à une réaction caractérielle. Je sais ce que disent et écrivent mes collègues, mais je connais aussi la force d’intimidation de l’autorité administrative qui nous rend collectivement silencieux et muets. Je ne prétends ici représenter personne d’autre que moi-même, mais néanmoins je connais ceux qui partagent tout ou partie de mes positions. Que personne donc ne se sente engagé par mes propos, sauf ceux qui le souhaitent et souhaitent le faire savoir. Une liste de diffusion est pour cela un bel outil, j’ajouterai même un bel outil de RESISTANCE.

Loin de moi l’idée de récuser tout contrôle de mon activité professionnelle sur la base d’un cahier des charges, mais je tiens à dire qu’un cahier des charges légitime ne saurait porter que sur les moyens (ne pas sortir d’une enveloppe financière et horaire) et sur les objectifs (en l’occurence, former des enseignants spécialisés aussi compétents que possible).

Je commencerai par la critique de la forme et des modalités de l’examen.

Il convient de redire ce qui l’a déjà été : une épreuve unique, pratico-théorique, qui dure difficilement moins de 4 heures (si l’on inclut la délibération de la commission d’examen et une courte pose entre les 2 parties de l’examen), non seulement permet difficilement de faire passer 2 candidats dans la même journée, surtout s’ils sont éloignés géographiquement, mais surtout constitue une “épreuve” au sens le plus éprouvant pour le candidat, du fait de l’enchaînement de la pratique et de l’heure d’entretien avec illico la soutenance de mémoire (et dans quel état le candidat va-t-il soutenir un mémoire si les deux heures qui ont précédé ont été un peu difficiles, surtout si vite à la suite de deux pauvres trimestres de formation ? Et je ne dis rien d’un mémoire rédigé en 6 mois - à moins de l’avoir rédigé à l’avance, sans référence à la pratique professionnelle !). Chacun sait que la soutenance d’un mémoire n’a été rajoutée que par raccroc et in extremis, alors qu’elle ne signifiait rien moins que la prise en compte de la formation dans la certification. Cette soutenance aurait dû évidemment faire l’objet  d’une session spécifique, devant des examinateurs différents – mais pas question d’augmenter le coût de l’examen ! Il y a ici une confusion des genres et une indistinction des registres, entre la pratique d’un côté et la réflexion distanciée de l’autre, assortis d’un minimum de séparation des regards et des pouvoirs : l’amalgame du contrôle intellectuel et du contrôle institutionnel ne devrait se rencontrer à ma connaissance que dans les régimes totalitaires ou tout au moins despotiques. Un tel régime confusionnel est régressif et profondément anticonstitutionnel (source de tyrannie). (Re)lire Montesquieu ferait du bien à plus d’un... Mais on a voulu faire vite ! Se débarrasser au moindre coût de la question !

Passons à la formation. Qu’elle repose sur un programme de connaissance à acquérir, soit. C’est même légitime, à condition que ce programme ne soit pas (trop) orienté idéologiquement et trop réducteur en terme d’approche des questions. Or qu’est-ce qu’un programme qui ne différencie pas fondamentalement 3 options très différentes (E, F, G) ? On acceptera cependant (j’accepte pour ma part !) le programme actuel, malgré son caractère à la fois indifférencié et lourdement scolaire et encyclopédique, faisant peu de place à la relation d’aide à des personnes en difficulté, à des sujets en souffrance, en perte d’identité plus souvent que porteurs de troubles mécaniques et fonctionnels – mais il est tellement plus facile d’être dans la mécanique et la causalité réductrice, la “remédiation” que dans l’écoute et l’attention à un être humain ! Et un bon handicap est tellement plus simple à “gérer” qu’une difficulté polymorphe voire insaisissable, pleine de la subjectivité d’un sujet ! Et il y a un lobby du handicap et de tout ce qui est dys quelque chose, et même de ce qui a été baptisé par un humoriste politiquement correct “hyperactivité” ; mais où est le lobby des pauvres et des exclus et des laissés-pour-compte de l’école, d’une école rigide et inégalitaire, qui ne sait guère (et souvent ne veut pas savoir) se mettre au service de ceux qui auraient le plus besoin d’elle ?

J’ai conscience de la part “d’injustice” que comporte mon propos, car on trouvera tel ou tel passage du programme pour me démentir ; je tiens cependant ici à dénoncer l’esprit du temps qui prévaut néanmoins dans les “contenus”.

On acceptera également le principe d’un “référentiel de compétences”, car il est légitime que “l’employeur” dise ce qu’il attend de ses employés en terme de compétence(s) professionnelle(s). Mais ici le bât blesse quelque peu ; car autant le Référentiel de 1997, malgré ses imperfections, correspondait à un effort de clarification métier par métier, autant celui de 2004 est faible de ce point de vue, voire recherche l’indifférenciation (autrement dit la polyvalence). En effet, l’enseignement adapté à des adolescents en difficulté (option F, travail en SEGPA & EREA) par exemple est un bien autre métier que l’enseignement à des enfants déficients ou souffrant de troubles mentaux : l’éventail des compétences attendues d’un maître de l’option D, de la CLIS à l’hôpital de jour, est à cet égard impressionnant, et la polyvalence a ses limites. Et que dire de la spécificité du travail d’aide rééducative, que tant de monde voudrait voir disparaître, alors que précisément il s’agit de l’aide qui s’adresse au sujet, à l’enfant en souffrance dans sa peau d’élève ! La “ré-éducation” est actuellement dans l’école le seul lieu où ces enfants peuvent être écoutés, et peut-être un peu entendus (sans être jugés), à propos de ce qui les rend malheureux à l’école : dans ce cadre, leur parole ou leur expression est d’abord protégée.

Aussi était-il à tout le moins nécessaire de disposer de programmes et de référentiels de compétences beaucoup plus spécifique pour chaque spécialité.

On acceptera même, horresco referens !, que le ministère de “l’éducation nationale” déclare honnêtement qu’il n’a pas trop de sous, en particulier pour le “spécialisé” (on espère qu’il en a encore assez pour l’École polytechnique), et qu’il faut réduire la formation à 400 h. L’expérience montre que nous commençons à proposer des formations qui ne permettent plus correctement d’atteindre les objectifs les plus élémentaires. En abandonnant nos stagiaires dans la “nature” au bout de 2 trimestres de formation en alternance et en exercice, nous frôlons l’indécence. Si encore une véritable offre de formation continuée était assurée pour tous, leur permettant de pouvoir analyser et perfectionner leur pratique dans la durée (et pour cela une vingtaine d’heures réparties dans l’année, par ex. sous forme d’ateliers mensuels, seraient essentielles et à la portée d’un pays riche), mais chacun sait que l’offre de formation dans ce domaine s’est effondrée en une dizaine d’année, et ce ne sont pas les stages d’initiative nationale qui changeront cette situation ! Des stages qui, indépendamment de leur intérêt intrinsèque, signifient une reprise en main centralisée des contenus ! Les troubles du langage, ça existe ! (2 % de la population ?) mais ils sont vraiment devenus l’arbre qui cache la forêt, ou si l’on préfère, la feuille de vigne qui cache la nudité de l’école honteuse de son incapacité à instruire correctement 20 % de son public (20 % pour rester modeste...).

Mais ce qui a franchi la limite du supportable et a signifié la volonté de reprise en main bureaucratique de la formation par une poignée de fonctionnaires parisiens est repérable sur deux points équivalant à deux contraintes.

Le premier point est l’invention des rigidités horaires afférentes aux contenus : tant d’heures pour une UF1, une UF2, etc., et non moins arbitrairement le découpage en modules de 25 h (pourquoi pas 24 ?  parce que 24 n’est pas un sous-multiple de 400 ?). Cela a pour effet de contraindre à rigidifier le découpage des contenus, alors qu’un enseignement et une formation dignes de ce nom ne sauraient procéder d’une manière aussi “primaire”. Il importe certes que les contenus du programme soient rencontrés, abordés, approfondis dans la mesure du temps imparti, mais dans une formation, ils ne cessent de l’être comme des enjeux importants, mais dans des contextes transversaux, multidimensionnels, dans l’analyse des situations dans leur complexité ; dès lors un programme doit rester une référence, mais ne pas tomber au niveau d’une suite de contenus, module après module : idée purement quantitative du savoir, du rapport au savoir et de la construction d’un savoir et de son usage et investissement, qui est d’une confondante pauvreté (mais tellement plus facile à administrer du fond d’un bureau, et à contrôler à l’aide d’une grille !) Grille ! Contrôle ! Évaluation ! Non seulement la France en est malade, mais cette maladie exprime le trouble profond de l’institution qui marche sur la tête au point que c’est le contrôle et l’évaluation qui finalisent les processus actifs (production, création, transmission, apprentissage, etc.).

J’ai pour ma part, en tant que responsable du centre de formation AIS de l’IUFM de la région des Pays de la Loire, envoyé au ministère (les initiés disent la centrale, mais pour moi ça fait prison !) des documents qui étaient nos documents de travail réels, fruits d’un travail sérieux et approfondi, réalisé avec nos partenaires de toute l’académie (les IEN-AIS en sont témoins) ; ces documents étaient nos documents utiles ! Mais voilà ! Ils n’entraient pas dans les petites cases de la grille, autrement dit dans les mailles du grillage (des pages et des pages de grillage, des kilomètres mentaux de clôture !) Et si la commission de validation s’était donné la peine de revoir sa “méthode” ? D’une part un dispositif de 400 h de formation est à examiner pour lui-même et d’autre part l’organisation pédagogique de la formation elle-même est propre à chaque option : c’est, pour nous, 4 plans de formation qui sont en fin d’élaboration et qui prennent avant tout en compte les spécificités propres à 4 “métiers” différents. “Éviter les dérives”, comme je l’ai entendu dire en haut lieu, ne passera pas par un serrage de vis autoritaire qui en aucune façon ne rendra les équipes de formateurs plus compétentes. Si l’on veut des formateurs spécialisés compétents, il ne faut pas multiplier les obstacles à leur recrutement sur profils, il leur faut de la stabilité, des services équilibrés, etc. Et visiblement, ce qui manque le plus aux bureaucrates qui nous contrôlent, c’est la confiance ! J’ajouterai que le calendrier de validation du ministère ne tient aucun compte du calendrier d’élaboration des plans locaux, de sorte que pour jouer le jeu, que faudrait-il envoyer à Paris dès le mois de mars ? Une fiction décalquée du B.O. ?

Le deuxième point est la contrainte liée à l’organisation de l’alternance. Nous avons même entendu de nos oreilles une bureaucrate de la “centrale” s’écrier, excédée : “je ne veux plus entendre parler d’alternance !” Une formation sur le temps d’exercice sans alternance ! Comme dirait Platon, quelle merveilleuse transcendance (uperbolè, hyperbole) ! Cri-symptôme. On veut de l’exercice et des contenus, on ne veut pas de votre "analyse de pratique" qui sent les groupes de parole (Balint, Lévine) donc la psychanalyse (une superstition dont les neurosciences et les sciences cognitives ne font plus qu’une bouchée aujourd’hui...) et surtout qui sont du bavardage, puisque de notre bureau parisien, on ne peut pas savoir ce qui s’y dit (alors qu’avec un bon con tenu...). Donc tout de même il faut bien une forme ou une autre “d’alternance” ! Qu’à cela ne tienne, il y a les formes d’alternances, et en réalité une, qui a été INTERDITE. Celle qui proposait l’exercice à mi-temps et la formation à mi-temps (dans le cadre de travail le plus “naturel” : la semaine). Pourquoi ? Pour empêcher que le processus de formation n’accompagne l’exercice sans reposer avant tout sur des cours massifs, déclinant le programme. Or nous avions une idée justement contraire : partir de la réalité (de la pratique dans les conditions réelles d’exercice), commencer par écouter les stagiaires en parler, les aider à analyser, de telle sorte que les enjeux et les besoins de savoirs théoriques émergent à partir de la pratique, de la réalité, des situations vécues. Alors, oui, des modules de connaissances théoriques trouvent leur place et leur sens et leur pertinence, et on peut mesurer la portée et les enjeux d’une question autrement qu’in abstracto. Mais non ! On veut des gens qui apprennent et appliquent. Qui plient !

Ce qui est redoutable avec “l’analyse de pratique”, c’est le positionnement et la construction professionnelle d’un sujet en première personne, et le développement de la conscience critique d’un sujet éthique, libre et responsable de ses choix et décisions. L’administration ne le reconnaîtra pas volontiers, mais de cela elle ne veut pas. Elle veut du conform(ism)e. Le rêve de l’administration qui nous régente (je rêve à sa place, bien sûr !), c’est de se débarrasser de la formation, qu’elle dure le moins longtemps possible, qu’elle ne s’étale pas ! Si elle pouvait être comprimée en 1 trimestre de “théorie”, pour qu’enfin les stagiaires apprennent enfin quelque chose de réellement sérieux sur le terrain, sous le contrôle de la hiérarchie, oui, quel rêve !

C’est pourquoi les contraintes de découpage horaire et les contraintes eu égard à l’alternance sont des contraintes littéralement tyranniques et abusives, au mépris de l’autonomie et de la liberté pédagogique des IUFM.

J’invite donc mes collègues à se joindre à la résistance contre l’oppression (je reconnais agir confortablement, car je sais qu’aucun fonctionnaire de je ne sais quel KGB ou GESTAPO ne viendra me tirer de mon lit au petit jour ni ne m’enverra en camp !), et cela dans l’intérêt d’un service public à la dérive en raison même de sa propre rigidité. La volonté affichée partout de “resserrer les boulons” du navire signifie que ledit navire est parcouru de tels tremblements que cela fait peur (surtout aux autorités qui ont horreur de l’agitation d’en-bas...) – alors qu’il est temps d’examiner sérieusement dans quel état de déliquescence nous sommes parvenus (nous, c’est-à-dire notre institution), au lieu de brandir des grilles d’évaluation, des contraintes et des interdits supplémentaires, qui achèvent de décourager les bonnes volontés.

Philippe Cormier
Mai 2005

 
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