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Autres publications  Texte publié également sur le forum du site de Philippe Meirieu, le 12 décembre 2007, ainsi que sur le site Les agoras d’ailleurs.

 

 
Un texte de Laurent Carle
Psychologue scolaire




De l’est ou de l’ouest, c’est un vent glacial qui souffle sur l’école depuis vingt ans, hiver polaire pluridécennal. Les couleurs de l’arc-en-ciel politique des réfrigérateurs qui congèlent l’opinion dans la glacière des idées reçues se fondent en un blanc roi permanent. Les partisans de l’école au mérite, de l’enseignement frontal, du magistrocentrisme, du chacun pour soi, du redoublement, de la règle par-cœur et a priori, de la pénalisation de l’erreur, de la notation (plafonnée à 17 pour un devoir de français), de l’enseignement du b a-ba ne votent pas tous à droite. Voter à gauche ne suffit pas pour être un enseignant progressiste et l’orientation politique n’explique peut-être pas l’attachement profond aux “vertus” de l’école traditionnelle, ni l’hostilité déclarée à toute rénovation. C’est pourquoi, les pavés jetés par Bénédicte Gardies(1) sur la mare gelée ne pourront pas en briser l’épaisse couche de glace. Elle ne fera pas de vagues. Les “républicains” d’aujourd’hui sont les représentants des Ordres privilégiés du système monarchique de l’ancien temps. Tandis qu’elle lance son pavé, les Gardiens du Temple en occupent le haut. Regroupés au sein d’associations activistes, ils font pression sur le ministre pour rétablir l’ordre ancien... qui n’a jamais disparu. Le soleil n’est pas près de se lever sur le gel de la rénovation pédagogique.

Didactiques antiques et “prises en charge” médicales nouvelles se rejoignent sur un même projet : maintenir l’école de la tradition. La période actuelle connaît une pléthore de louanges, répercutées par la presse, sur les vertus éducatives des méthodes du passé toujours présentes et de nouvelles “pathologies scolaires” à médicaliser, nouveauté que les gardiens acceptent avec empressement parce qu’elle ne change rien. Il faut donc du courage pour s’exposer à la colère des conservateurs en faisant l’éloge du vrai changement. Cependant, lire jusqu’au bout son apologie du changement et de la créativité leur demanderait le même courage. Elle ne risque donc pas grand dommage. Accepter de lire son billet brûlot serait déjà un changement, déjà une réforme de l’esprit du lecteur.

De fait, la problématique du changement est un obstacle majeur à la démocratisation du système, à l’amélioration de son efficacité, à son adaptation au temps de la précarité pour les humbles et à l’évolution des mentalités. Elle maintient l’école et ses acteurs dans un fonctionnement figé, rigide même. Pour cause, au moment du recrutement on ne fait passer aucun questionnaire de personnalité pour équilibrer le corps de la profession entre innovants et frileux. Et malheureusement, beaucoup de candidats choisissent le métier pour l’immuabilité dont il est réputé, comme une assurance contre les surprises et les aléas. Le changement est vécu comme un danger aussi grand que la maladie, l’accident et la mort. On prétend « ne pouvoir rien faire par manque de moyens et par censure de la hiérarchie ». Mais, quand on obtient des moyens supplémentaires, c’est pour faire plus de la même chose et quand la hiérarchie incite, « c’est une immixtion abusive dans la liberté pédagogique des enseignants ». Le sentiment d’insécurité et la peur entretenus artificiellement par les faux prophètes de l’enseignement “dépolitisé” font de toute intention de changement un “complot contre l’école”. Il leur faut donc logiquement supposer que les collègues qui prônent ce changement sont, sinon les « agents secrets infiltrés des politiciens qui veulent détruire l’école », du moins leurs instruments manipulés.

Or, gérer l’école dans l’intérêt du plus grand nombre, sinon de tous, ne se limite pas à la bonne gouvernance du bon père de famille qui administre des savoirs à doses appropriées et signale les “malades” de l’enseignement traditionnel pour une “prise en charge” médicale “moderne”. Sa gestion intelligente n’est pas plus la mise en œuvre d’une dernière réforme d’ensemble décidée au sommet et enfin approuvée, éventualité imaginaire, par l’unanimité des personnels qui enseignent et autres. L’accomplissement abouti des missions nationales d’éducation commence par une réforme de la manière de penser l’école dans sa tête et dans sa classe. Car en éducation les actes et les attitudes pèsent plus que les mots. Ce que l’on est et ce qu’on fait passent mieux que ce que l’on profère. Dans une institution plutôt conservatrice, l’enseignement collectif et l’éducation de groupe demandent autant de courage que de prudence, autant d’audace que de sagesse. Leur mélange ne délivre pas une douce tiédeur mais une grande capacité d’adaptation à l’imprévu.

La mise en œuvre du changement à l’école, si changement on veut, ne peut être que la concrétisation d’un consensus national. Volonté collective, volonté politique et volonté intérieure à chaque acteur de l’école. Une réelle intention politique de changement doit se manifester avant tout diagnostic médical, avant la sonnerie qui marque l’heure de retour dans les classes, avant l’ouverture des portes, avant la rentrée scolaire. Elle passe par l’introduction de quelques critères psychoaffectifs et psycho-sociaux dans le recrutement des enseignants : tolérance aux différences, résistance à la frustration, indépendance de pensée (non-conformisme) par rapport aux préjugés, par rapport au groupe, par rapport à l’autorité, goût des livres et plaisir de lire (au moins pour les profs d’école et les profs de français), confiance en soi, foi en l’humain, stabilité émotionnelle, ouverture au changement, ouverture aux autres, intelligence sociale, esprit d’équipe plus que de compétition, esprit d’initiative plutôt que de conservation. Ces critères devraient être au moins présents potentiellement chez chaque candidat, car il n’est pas possible de changer un système sans changer soi-même. Sans un peu de créativité, comment s’extraire du confort de la tradition et de la routine ? Celui qui ne peut penser qu’à renfort d’idées reçues peut-il préparer des enfants à vivre dans l’avenir ? Penser comme la moyenne, comme la majorité, n’est pas penser mais croire. La république ne devrait confier ses enfants qu’à des professionnels capables de critiquer, capables de remettre en cause un système de pensée, capables de penser autrement. Il serait irréaliste de vouloir ne recruter que des personnalités d’exception mais en ces temps difficiles mieux vaut être ample et souple qu’étriqué et rigide. Ce serait plus facile pour penser en êtres libres plutôt qu’en adultes formatés dès la petite enfance à obéir... par l’école. Confier des enfants à un éducateur, n’est-ce pas aussi sérieux que confier des passagers à un pilote ?

Sinon, c’est le statu quo des représentations et des mentalités qui s’impose comme règle générale de conduite et de pensée. Beaucoup d’écoliers rêvent d’occuper la place de premier et d’y rester. Quelques-uns réalisent ce rêve à l’âge adulte en devenant le meilleur élève de la classe à vie. Proposer du changement aux gens installés qui sont venus chercher la quiétude dans la stabilité est un pari insensé. Pourquoi changer quand, tout jeune, on s’est orienté vers la pérennité comme garantie de sécurité psychique ?

Laurent Carle
Décembre 2007

 
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Notes

(1) Bénédicte Gardies, Ni oui, ni non... ni blanc, ni noir (Quelques pavés dans la mare ou les coups de gueule d’une instit de maternelle résistante et résiliente, comme il en existe des milliers...). Format PDF. Site de Philippe Meirieu.

 
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