Psychologie, éducation & enseignement spécialisé
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Une pédagogie de la médiation :
La pédagogie institutionnelle adaptée aux effets du trouble du comportement

 

 
Un texte de Sylvie Canat
MCF Université Paul Valéry (Montpellier)
En Sciences de l’éducation et en psychanalyse


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Un livre de Sylvie Canat  Voir aussi le livre de Sylvie Canat, Vers une pédagogie institutionnelle adaptée (Les besoins particuliers des élèves en situation de difficultés scolaires), Champ social, Nîmes, 2007, Préfaces de Serge Boimare et Jacques Pain. Contact avec l’éditeur : Tél 0466291004 ou E-mail. Vente en ligne : Alapage, Amazon, Chapitre ou FNAC. Ou chez votre libraire habituel !

 

D’un point de l’histoire du mouvement de la Pédagogie Institutionnelle Adaptée

La « pédagogie institutionnelle adaptée » vient s’inscrire dans la lignée de la pédagogie institutionnelle qui elle-même s’est inscrite dans un champ qui articule vie sensorielle, vie perceptive et représentative de la personne, transfert et contre-transfert : « Nous reconnaissons avoir emprunté beaucoup à la théorie de la psychothérapie institutionnelle pour tenter d’éclairer les phénomènes que nous observions dans les classes coopératives. C’est ce qui nous a incités à utiliser le terme de Pédagogie Institutionnelle, terme dont nous avons proposé en octobre 1965 une définition provisoire. La meilleure serait pour nous : ce que nous tentons d’élaborer pratiquement et théorique­ment. La pédagogie institutionnelle est un ensemble de techniques, d’organisations, de méthodes de travail, d’institutions internes nées de la praxis de classes actives. Elle place enfants et adultes dans des situations nouvelles et variées qui requièrent de chacun engagement personnel, initiative, action, continuité. »(1).

La Pédagogie Institutionnelle Adaptée partage avec la psychothérapie institutionnelle cette idée à savoir qu’une organisation d’ensemble puisse tenir compte de la singularité de chacun.

La personne étant la résultante d’une mise en tension entre soma – vie sensorielle – vie psychique et fantasmatique – et vie sociale et environnement.

 

De la singularité des troubles du comportement

Les échecs scolaires des élèves « agités » par des troubles du comportement révèlent des échecs à plusieurs niveaux :

Leurs échecs scolaires couplés à nos échecs pédagogiques mettent en avant une construction psychologique très instable, très chaotique, très conflictuelle, très pulsionnelle qui se déconstruit très facilement au contact de l’autre, de ses attentes, de sa présence et de son regard. Leur système de défense psychique est défaillant car il est focalisé sur ce que l’on appelle dans le champ psychanalytique « l’originaire ». Ces enfants montrent une psychopathologie qui affecte principalement – les liens (le rapport à l’autre différent de soi) – les passages (passage d’une activité à une autre) – les changements (regard, attitudes ou ambiance différents) – la socialisation (le rapport à la communauté, à l’institution et à la loi).

L’enfant profondément et régulièrement troublé dans sa vie psychique se libère a minima et ce d’une façon éphémère des effets de ce trouble en le déversant sur l’environnement physique ou humain : passage à l’acte, hyper réactivité, sidération de la pensée, rupture des liens, conflits, replis de type autistique, somatisations diverses, tentatives ou menaces de suicide, fugues, répétition d’échecs, crises...

Ce sont des modalités archaïques de défense qui ne sont toutefois pas psychotiques. Il se défend avec les moyens du bord contre la présence menaçante de l’autre et du cadre mais ceux-ci ont au moins le privilège d’exister. Il n’a pas refusé massivement et radicalement la réalité, c’est la conjugaison avec celle-ci qui fait souffrance.

Trouver la limite étant la problématique majeure des élèves ayant des troubles du comportement, c’est-à-dire pouvoir :

L’élève troublé et troublant met en avant des modalités de défense d’une profonde inquiétude humaine qui se traduit par :

L’école et son rapport aux apprentissages est porté par ces modalités défensives. Inutile d’insister sur la précarité de la situation sociale et scolaire dans lesquelles ces enfants déversent leurs agitations permanentes.

Comment enseigner sans prendre en compte ces signes particuliers et singuliers de présence au langage, à l’autre, au temps, à la loi et à la différence ?

Comment prendre soin de leur rapport à l’école alors que leur comportement met en avant et en acte une insécurité interne et une peur d’apprendre en permanence. C’est ainsi que j’ai été amenée à penser autrement, et à proposer une pédagogie adaptée dans un livre que j’ai nommé Pédagogie Institutionnelle Adaptée publiée en 2007 aux éditions du Champ social ici présentes.

 

De la pratique de l’éthique par des pratiques de la différence, de la nuance et de l’adaptation à la singularité

La Pédagogie Institutionnelle Adaptée est une pédagogie qui tente d’analyser les obstacles pédagogiques liés au choc de la rencontre entre :

La PIA vise une mise en lien de ces différents niveaux par une politique de l’extério­rité, de la contenance et de la séparation. Elle défend la mise en forme d’un « dehors » la classe/le pédagogique pouvant contenir le déborde­ment du « dedans » (vie intérieure troublée de l’élève).

Elle fait le pari que, du lieu du trouble de l’élève caractérisé par l’hyper­perméabi­lité de l’enfant au « dehors » et par l’énergie débordante liée à une agitation de la vie interne, s’échangeront des éléments de la vie psychique et de la vie scolaire « des apprentissages, du cadre, de la culture, de la sécurité interne » contre « de la précarité relationnelle, de la difficulté scolaire, de la peur du langage et de l’autre... ».

C’est une pédagogie du troc, c’est une pédagogie créative et inventive qui refuse de laisser tomber des êtres inadaptés ou en situation de handicap... et qui accepte de perdre en conformité nationale pour s’adapter à des gestalts surprenantes, saisissantes et déroutantes. Une pédagogie du troc est une pédagogie de l’échange réglée par le langage mais aussi par des éléments du pré-langage : le sensoriel, l’affect, l’hyper­activité, l’émotion... Elle tente d’élever et d’éduquer ces éléments bien souvent mis en acte ou agis à travers un comportement-limite.

Elle ne pratique pas le refoulement secondaire et l’exclusion pour gérer la crise. Elle vise une transformation des éléments très archaïques de la vie sociale et psychique de l’enfant par une prise en compte de ceux-ci sur la table scolaire. Elle pratique l’accueil de l’originaire. Une des particularités de ces enfants, c’est de pouvoir écrire sur la page de droite une grammaire universelle de la langue française et sur la page de gauche une grammaire subjective d’une langue singulière écrivant des textes chaotiques mais loin d’être dépourvus de poésie. C’est une poésie agitée de l’originaire que nous avons perdue, que nous avons refoulée. L’enseignant pratiquant cette PIA doit se faire spécialiste de la littérature comparée.

Quelle sonorité, quel rythme, quelle répétition, quel silence viennent témoigner de leur poésie agitée et quelle littérature pourra rejoindre ces textes singuliers afin de les arrimer à un texte partageable et moins agitant.

La PIA tente de transformer des rapports insécures, mortifères, chargés de troubles pour effectuer un troc de symptôme contre du savoir. Tout chaos subjectif n’ayant pas dévasté le lien à l’école ou à l’enseignant est une victoire au service de la vie subjective autre et de l’altérité. Toute victoire du trouble augmente l’insécurité dans l’espace, le cadre et le rapport à l’autre.

Si le dehors ne peut contenir ce que le dedans expulse (le trouble, les retourne­ments d’affect, l’anarchie des sentiments, les souffrances lanci­nantes du corps attaqué par cette déchirure subjective...), l’enfant troublé est pris entre deux feux : celui de l’impossibilité à gérer le débordement au-dedans ; et celui de l’impossibilité à gérer le conflit et le trouble au dehors par un entre soi adapté, pensé et décalé.

Il ne s’agit pas évidemment de pratiquer des psychothérapies au sein de l’école. Mais il s’agit de prendre soin et peut-être de soigner le rapport au langage, à l’autorité, à la culture ; ce rapport qui fonde notre humanité basée sur la maîtrise de la pulsion et le refoulement (ou contenant interne). Etre humain c’est être dans le rapport à l’autre si complexe pour ces enfants envahis par le trouble. La complexité de leur vie psychique et en lien ne devrait pas pour autant rendre impossible cette prise en charge éducative et pédagogique. Les courants alternatifs dans lesquels ils sont, dans lesquels ils existent font signe à l’éducateur, au pédagogue de la présence d’une énergie importante mais d’un contrôle de celle-ci inexistant ou non opérationnel.

Leur vie intérieure n’est pas blanche, bien au contraire, c’est une vie intérieure très colorée. Mais nous passons du vert au bleu au rouge sans raison apparente, manifeste et sans projet esthétique, simplement un kaléi­doscope de couleurs de vie intérieure dessinant des figures relationnelles qui sans cesse nous prive d’une compréhension éclairante sur la situation scolaire.

La situation scolaire est une espèce de scène sociale indifférenciée où les enfants metteurs en scène jouent leur vie intérieure bouleversée et leur lien bouleversant au pédagogue et à l’institution.

Comment faire, que faire, que construire sur de la déconstruction, que défendre en tant qu’enseignant, qu’interdire ? Toutes certitudes, convictions deviennent inefficaces au contact du trouble.

Nos espaces institutionnels sont carencés en matière d’élaboration des pratiques et des mises en lien et des articulations des « entre-sois ». Nos espaces de formation sont devenus des portes folios de compétences à acquérir, c'est-à-dire des acquis du coté du l’avoir et du moi imaginaire plus que du coté de l’être et de l’ajustement de celui-ci au contact du trouble.

Enseigner à des enfants troublés dans leur rapport au monde nécessite d’interroger les pratiques à l’œuvre, les supports pédagogiques, le cadre et les valeurs institutionnelles, et la dimension relationnelle chargée et souvent dynamitée par des éléments d’éparpillement très archaïques et inconscients.

Une Pédagogie Institutionnelle Adaptée développe ces deux axes : conscient/ inconscient ; manifeste/ latent.

Elle ne peut se satisfaire de la reproduction des méthodes des écoles ordinaires, elle ne peut se satisfaire des progressions et des programmes de l’éducation nationale, elle ne peut plus répéter des pratiques qui ont été stériles et productrices d’exclusion. Ces méthodes, ces outils, ces acquis sont pensés en fonction des logiques normales du développement cognitif normal.

Lorsqu’un enfant présente des troubles de l’apprendre, ce n’est pas une incapacité cognitive, c’est une incapacité à articuler ses fonctions cognitives du fait d’un trouble structurel engendrant de l’instabilité au sein des fonctions.

Si Gaïa ne peut pas mémoriser (cf. le cas Gaïa décrit dans mon livre Vers une pédagogie institutionnelle adaptée), ce n’est pas un défaut de mémoire, c’est le trouble qui envahit la mémoire et qui mobilise celle-ci.

La pédagogie institutionnelle adaptée vise simplement une école moins inadaptée et moins organisée par des logiques névrotiques défensives et troublantes pour des jeunes hypersensibles aux limites et limitations. C’est une culture de l’entre-soi, une éthique du rapport au l’autre et de la situation scolaire, un respect de la vie, de l’être, de la pensée et du rapport au l’autre.

Penser autrement l’école, c’est ouvrir celle-ci à d’autres pratiques de la transmission, c’est refuser aussi parfois les outils inadaptés à la structure cognitive de l’élève, c’est aussi créer d’autres supports pédagogiques. Par exemple, travailler sur les mythes fondateurs originaires mettant en récit le propre de la pulsion.

C’est croire au vivre ensemble, au faire ensemble et à la vertu de la culture. Fabriquer des espaces transitionnels ou espaces de médiation où le face à face perd de sa toxicité et gagne en altérité pour pouvoir leur faire réexpérimenter la contrainte, les interdits, les refus, les limitations à la pulsion de mort.

C’est désirer transmettre autre chose que sa propre aliénation au système scolaire. C’est mettre entre parenthèse la psychopathologie des institutions et des professionnels de l’institution par une interrogation permanente du tissu qui se tisse et se détisse par la pratique de groupes de parole interdisciplinaires travaillant sur le projet global et le projet spécifique pédagogique, éducatif...

La Pédagogie Institutionnelle Adaptée n’est pas une pédagogie du huis clos, l’enseignant ne peut porter à lui seul un tel projet. C’est le propre de toute l’institution de travailler sur l’entre-deux, l’entre-soi, l’entre-éducatif/ pédagogique et thérapeutique. Car pour pouvoir prendre soin des liens troublés et agités de ces enfants, il faut pouvoir leur montrer très concrète­ment que les liens entre adultes, professionnels et responsables, sont vicariants. On ne peut se satisfaire d’un outil interprétatif, ces enfants-là nous demandent des preuves du bien fondé de nos interprétations et discours. Toute dissonance entre dire et pratiques discrédite le professionnel ou l’institution.

C’est pourquoi je défends une éthique en pratiques, en situation, en modèle pour ces jeunes envahis par le trouble.

La Pédagogie Institutionnelle Adaptée est une Pédagogie du miroir inversé... qui permet de troquer une image troublée contre un reflet structuré et structurant pour celui qui s’y mire.

La PIA est un miroir infidèle d’un récit inconscient qui se répète :

Le miroir répond :

Je citerai Sandra que j’ai eue en classe en Institut de Rééducation :

à qui je répondais :

et elle terminait ma phrase :

Sylvie Canat
Décembre 2007

 
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Note

(1) Oury F., Vasquez A., Vers une pédagogie Institutionnelle, Vigneux, Éd. Matrice, 1990, p. 245.

 
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