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Chronique 12
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Un texte de M. Barthélémy
 

C’est la guerre de 14-18, ou plus exactement ses conséquences, qui a ouvert la porte à la prise en compte « moderne » du handicap. Les gueules cassées, les culs de jatte, les manchots, les gazés qui sont rentrés de la première boucherie mondiale, ont jeté les bases lointaines de la loi de 2005 « pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées » en leur autorisant la mendicité sur la voie publique, en leur réservant les guérites bois et verre de la loterie nationale, en leur ouvrant gratuitement les sanatoriums. On a les solidarités qu’on peut...

D’autres mesures avaient été prises auparavant, en 1898 exactement, lors des premières lois de compensation des accidents du travail. Les fonderies usinaient à marche forcée, les hauts-fourneaux dégueulaient leur fonte en fusion, les armureries œuvraient à effacer la honte de 1870. Les accidents étaient nombreux. La révolte grondait que le seul paternalisme capitaliste ne suffisait plus à apaiser. Il fallut ouvrir des caisses de solidarité.

Ainsi, au tournant du siècle, des ouvriers en sueur gagnaient leurs quelques sous en manufacturant les armes qui allaient causer la mort de leurs camarades paysans requis sur les champs de bataille du Nord et de l’Est. Les prolétaires urbains de tout le pays usaient leur vie pour permettre que les prolétaires ruraux de tout le pays fussent envoyés à une mort certaine. Marx et Engels n’étaient point lus en nos lointaines provinces, non plus qu’en nos villes tentaculaires.

Les rescapés furent donc nos premiers handicapés modernes, loin des malédictions et des expositions antiques, loin de la commisération chrétienne ou du grand enfermement classique. Ils fondèrent sur leurs blessures les prémisses de la solidarité nationale, ébauchant le rêve insensé de la fraternité internationale, jurant, mais un peu tard, qu’on ne les y prendrait plus, que ce serait la « der des ders ».

Mes grands-pères en revinrent, l’un par des chemins détournés, l’autre couvert de médailles dont il n’était pas peu fier. Indemnes tous les deux. Mais pareillement marqués par le bras manquant d’un copain, par la folie d’un autre voyant exploser des obus partout ou par la respiration sifflante des poumons éponges d’un troisième.

Aujourd’hui nos infirmes le sont d’autres manières, des progrès de la médecine et de ses conséquences parfois mal contrôlées, aux accidents divers dus à une modernité qui s’emballe ou aux troubles psychiques engendrés par une société qui ne sait plus attendre ses plus faibles.

Mais cette journée anniversaire nous rappelle que notre commune appartenance à une Nation s’est construite sur le sacrifice ultime d’hommes innombrables, et la vie irrémédiablement foutue d’autres encore plus innombrables, lointains anciens de nos handicapés d’aujourd’hui. Et j’évoque cette parenté, par-delà les années, pour signifier qu’une loi qui prône la citoyenneté et la participation de tous à la vie de la Nation ne saurait être mauvaise, fût-elle à améliorer...

M. Barthélémy
11 novembre 2008

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