De krystel777 :
De Pascal Ourghanlian :Je souhaiterais discuter avec des enseignants spécialisés sur les motivations et les compétences nécessaires à l'exercice du métier. En toute sincérité, je doute de mes capacités et motivations à devenir professeure spécialisée.
Aînée d'une fratrie dont la 5ème et dernière enfant est trisomique 21, j'envisageais des métiers relevant du secteur social (assistante sociale, puis éducatrice spécialisée). Suivant de près la scolarité de ma sœur (école maternelle, CLIS, IME), j'ai fait des études dites généralistes de façon à me présenter au CRPE pour devenir enseignante spécialisée (option D). J'ai échoué ma première participation au concours à Paris en 2005. Depuis, je me suis réorientée pour des raisons personnelles. Je suis actuellement chargée de développement pour une association développant des loisirs de plein air pour handicapés et seniors. Je reçois régulièrement des tétra, para, IMC, polyhandicapés et déficients visuels. Très à l'aise avec les personnes handicapées, quel que soit leur âge, je reconsidère souvent l'idée de devenir professeur des écoles.
Mon histoire personnelle ne fausse-t-telle pas ma démarche ? Je précise ici ma pensée, j'ai côtoyé des T21 mais les enfants fréquentant les établissements types CLIS, IME ont des handicaps divers et différents de la trisomie 21.... Je ne sais pas si je saurais aider ces autres enfants à besoins éducatifs particuliers.
Bien entendu, j'ai identifié d'autres motivations ou centres d'intérêts professionnels : aider, transmettre mais aussi des qualités comme la patience, la persévérance. Par dessus tout, je suis convaincue que chacun, handicapé ou non, peut progresser. Est-ce suffisant ?
Peut-être certain(e)s ont eu cette réflexion, ces mêmes doutes... J'espère recevoir quelques témoignages ou pistes qui m'aideraient à mûrir ce projet professionnel.
De Daniel Calin :Dans "enseignant spécialisé", il y a "enseignant"... Et dans "enseignant", on peut entendre "transmission" autant qu'"accompagnement"...
Ce que je veux dire, dont il a souvent été question ici, c'est la chose suivante : quand on se retrouve dans l'ASH, et surtout quand on y reste, il y a toujours des "causes" possibles dans son histoire personnelle (celle qui touche à ce qu'on est et aux rencontres qu'on a faites). Mais ces "causes" possibles ne suffisent pas à construire un enseignant. Elles peuvent être les garantes d'une certaine empathie ou d'une meilleure compréhension, mais elles peuvent aussi fonctionner comme un besoin de "réparer" qui n'est pas, en soi, péjoratif, mais dont il y a lieu d'être conscient et qu'il faut travailler.
Et une des manières possibles d'accomplir ce travail, c'est d'entrer en relation à l'autre par le biais de médiations ancrées (encrées ?) dans la culture. Donc d'être, d'abord, pleinement, enseignant...
Les textes prévoyaient avant que nul ne pouvait devenir enseignant spécialisé sans un minimum d'années d'expérience dans l'ordinaire. À juste titre, me semble-t-il : d'abord parce qu'être instit', c'est un travail où il est nécessaire d'acquérir des "tours de main" professionnels (voir les travaux de Perrenoud) ; ensuite, parce qu'il y a des invariants dans l'apprentissage qu'il est peut-être plus facile de mettre à jour avec un public "ordinaire" (voir les travaux de Meirieu, par exemple).
Certains collègues sont entrés dans l'ASH dès leur sortie de l'IUFM, pour n'en plus sortir, et y ont excellemment réussi. Tout est toujours possible. Mais le rapport à la différence s'appréhende mieux, me semble-t-il, en référence à l'ordinaire. Certains enfants avec retrait autistique, par exemple, peuvent avoir des compétences identiques à leurs camarades "ordinaires", voire supérieures, dans le repérage spatial. Ils deviennent alors tuteurs de ces derniers. Mais seul un repérage fin de ce qu'un gamin ordinaire perçoit de l'espace permet de se rendre compte des capacités supérieures, dans ce domaine, de l'enfant avec autisme. Etc.
En conclusion : ne vous interdisez rien. Si votre désir est celui-là, pour peu que vous puissiez mettre un peu de distance entre votre vécu et ce que vous renverront nécessairement les gamins différents, allez-y. Mais passez par la "case" ordinaire : votre pratique professionnelle en sera confortée...
Forcément d'accord avec Pascal. Ceci dit, le message de krystel777 me donne surtout l'intuition d'une "vocation" évidente, si bien que je vois mal comment elle pourrait éviter de "finir" dans l'enseignement spécialisé !
Un enseignant spécialisé est certes et doit certes être d'abord un enseignant, ce qui signifie qu'il doit carburer psychologiquement aux plaisirs de la transmission réussie. Mais, s'il n'est que cela, il faut absolument qu'il reste dans l'enseignement ordinaire ! Les enseignants spécialisés sont à juste titre perçus par les enseignants ordinaires, y compris par les meilleurs d'entre eux (voire surtout par les meilleurs d'entre eux !) comme des gens bizarres qui ont l'idée aberrante d'aller travailler avec des élèves avec lesquels l'expérience de la transmission réussie tend à se raréfier comme l'oxygène en haute montagne ! Vus avec un peu de recul, les enseignants spécialisés sont des gens étranges qui ont l'art de s'émerveiller du moindre progrès infinitésimal de chacun de leurs élèves, que quiconque d'autre qu'eux a bien du mal à percevoir, y compris, souvent, les parents des enfants concernés... Grandiose solitude assurée...
J'ai coutume de dire que les enseignants spécialisés sont les travailleurs sociaux de l'enseignement (ça vaut aussi pour leurs formateurs). Concrètement, ils s'en sentent généralement bien plus proches que de leurs "collègues" ordinaires, avec lesquels les liens sont quasi constamment difficiles, au point que même les amitiés antérieures tendent très vite à tourner à l'aigre... Ça signifie que, psychologiquement, on ne peut tenir dans l'enseignement spécialisé qu'en carburant psychologiquement bien plus à la psychologie de la réparation qu'à la psychologie de la transmission réussie. Et je suppose que krystel777 est richement dotée de ce côté-là !
Dernier point : il faut certes "contrôler" ses désirs de réparation, comme d'ailleurs il faut contrôler ses désirs de transmission (grosse insuffisance des formations initiales d'enseignants de ce côté-là - il faut dire que les formateurs n'ont eux-mêmes aucune réflexion quant aux limites de la validité de la volonté de transmettre !). Risque de toute-puissance, toujours, dans un cas comme dans l'autre, avec ce que ça implique de déni de l'autre, jusqu'à la maltraitance. Voyez les comportementalistes, comme ils veulent "candidement" le bien des autres ! Mais, fondamentalement, c'est bien le plaisir de "réparer" l'autre qui seul peut être le pain quotidien de l'enseignant spécialisé. Et il n'y a aucune honte à ça. C'est bien, à la base, la psychologie de la réparation : ça permet de se réparer soi-même en faisant du bien à autrui, ce qui n'est pas si fréquent. Quand on a des "lourdeurs" particulières dans son histoire personnelle, on a en gros deux solutions : se réparer soi en réparant les autres jusqu'à plus soif, ou se blinder et devenir un salaud.
A vrai dire, plus que sur la nécessité du contrôle de son désir de réparation, j'ai l'habitude de mettre l'accent sur son impermanence : quand on se lance dans ces logiques de la réparation, il faut savoir que, selon toute vraisemblance, un jour, on aura sa dose. Et, à ce moment-là, il faudra faire ses bagages et aller voir ailleurs, sinon, on deviendra mauvais, voire nocif, inéluctablement. Une des enseignantes spécialisées les plus "investies" que j'aie croisées au cours de ma carrière est allée, après une dizaine d'années, vers une école privilégiée de centre ville, avec un immense bonheur à nourrir intensivement des élèves avides de savoir. Comme un retour heureux du refoulé, en quelque sorte !