Votre témoignage est celui d'une expérience singulière de la rencontre avec ce qui chez l'autre ne correspond pas au code symbolique qui régule les liens sociaux ... provoquant chez vous ce "désarroi" ou ce que des psy pourraient nommer un sentiment d'inquiétante étrangeté.
Le fou, figure caricaturale de la souffrance psychique, est celui qui, pour vous saluer, vous tendrait son pied, est celui qui est là où vous ne l'attendiez pas.
Il y aurait tant à écrire sur la définition de la folie ... Mais finalement, vous en donnez une des expérience plus vives, celle qui relie la folie, non pas à une structure mais à une rupture du lien social... L'étranger" décrit si magnifiquement par A Camus, le Horla, celui qui est en dehors et finalement si intime à Maupassant .... Le petit Prince, enfin que vous tentez de rencontrer et qui vous ramène à son étrangeté singulière mais que vous nommez en empruntant les traits poétiques de St Exupery.
J'apprécie votre message dans sa valeur de témoignage de cette rencontre ... (aussi je ne développerai pas le versant clinique propre à cet enfant... car ce n'est pas l'objet de votre message...).
Votre message parle de vous, dans cette rencontre avec l'altérité radicale de cet enfant ... C'est un témoignage précieux car souvent le questionnement né de cette rencontre est évacué avant toute tentative d'élaboration... parfois résumé justement par ce bon sens populaire énoncé par un de vos élèves...
il est fou celui là... mais qui clôt la relation avant toute tentative de rencontre...
l'étranger dehors.
Alors êtes-vous enseignante avec cette élève ?
La position d'enseignante est une place faite par l'élève, (
cf Hegel dialectique du maître et de l'esclave)
Votre position est fragilisée parce que cet élève ne répond pas aux codes sociaux qui régulent la relation du maitre à l'élève,
il ne vous fait pas maitre ... Je vous renvoie pour le versant pédagogique au triangle didactique... Modifier l'axe qui relie l'élève au maitre parce que l'élève ne joue pas le jeu relationnel et le triangle pour le moins vacille .
Cependant, renoncer à enseigner à cet enfant serait l'enfermer dans une exclusion définitive des codes sociaux... La souffrance de ce petit prince tient dans ce qu'il n'entend pas la même chose que les autres, ne le vit pas de la même façon .... aider cet enfant, c'est tenir compte de cette distorsion du lien social et accompagner l'enfant dans le respect de sa souffrance vers des codes sociaux qu'il pourra petit à petit faire sien...
Vous savez cette étrangeté n'est pas très éloignée de celle de tant d'artistes, d'écrivains ou de monsieur tout le monde ...
Ce petit prince, (et je veux croire que vous l'avez nommé ainsi car il vous renvoie une forme de poésie...) a un chemin à parcourir, sur ce chemin vous serez une de ces expériences de rejet ou d'acceptation et d'accompagnement.
Métier d'équilibriste, métier impossible que celui d'enseigner... Je vous invite à oser la rencontre, rencontrer le ce petit prince, guidez le pas à pas, prudemment mais ne le réduisez jamais à cette étrangeté, il risquerait de la trouver confortable...
Ce petit prince est-il fou ?
Peut-être un peu mais à peine plus que tant d'autres
Lacan avait commencé son enseignement en écrivant sur les murs de l'hôpital psychiatrique : "N'est pas fou qui veut" et le termina par un "tout le monde délire" ...
Cordialement
Clairea