Question à Daniel Calin

Avec des enfants présentant des troubles graves de la personnalité.
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akila m
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Question à Daniel Calin

Message par akila m »

Bonjour Mr Calin,
Vous dites dans un message que vous avez une idée précise de la manière dont je travaille. Alors là ? Si vous pouviez développer un peu, je serais ravie : car quand j'ai à en parler (par exemple je vais rencontrer des maîtresses E qui voudraient travailler en hôpital de jour) je ne sais par quel bout commencer et du coup je ne dis rien.
cordialement M ESCUDIE
Daniel Calin
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Re: Question à Daniel Calin

Message par Daniel Calin »

Oups, j'aurais mieux fait de la boucler, moi ! Ce n'est pas parce que j'ai "une idée assez précise" de la façon dont vous travaillez que je peux la formuler simplement...

Je ne vais donc pas prendre le risque de dire des choses trop précises... Mes impressions, plutôt (c'est d'ailleurs cela que je voulais dire)... Vos messages montrent avant tout une grande qualité d'écoute, plus exactement une capacité à "recevoir" ce que signifient ces enfants (plus archaïque que "l'écoute" : pour écouter, il faut que l'autre "dise", de façon déjà mise en forme, "symbolisée", ce qui souvent n'est pas le cas de vos élèves). J'ai envie d'écrire : de prendre le risque de "recevoir" vraiment, d'être "touchée", d'intérioriser ces significations, pas tellement pour en explorer le sens (ce serait une position de thérapeute), mais pour élaborer en écho des propositions pédagogiques. Plus techniquement, je vous imagine assez "fonctionner" à la mode Boimare (mais avec un autre public) : aider vos élèves à mettre en forme culturelle les affects "bruts" qui les traversent... Ou plutôt, au moins dans un premier temps pour beaucoup, à "mettre en forme" tout court, pas encore culturelle, donc pas encore partageable, ces affects bruts, afin de les aider à commencer à les penser, à les "symboliser" comme on dit, donc à en être moins "traversés", à moins les "subir", à commencer à les mettre à distance...

J'avais pensé à vous en lisant l'article consacré à Isabelle par Monsieur Barthélémy. Il me semble y avoir repensé en écrivant, sans trop réfléchir, la phrase que ce message tente de clarifier...
Cordialement,
Daniel Calin
akila m
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Re: Question à Daniel Calin

Message par akila m »

Bonsoir,
J'ai choisi ce sujet "question à Daniel Calin" et aussi Pascal Ourghanlian administrateurs de ce forum pour poser cette question car je me garderais bien de le lancer dans la rubrique annonces.
Connaissez-vous le site Dissonances freudiennes ? Particulièrement, les textes de Frédéric Escolano (Sans appel) et Pierre Ginésy (Où et quand commence la “zone grise” ?). En tout cas, je les trouve très intéressants car ils apportent une note autre à tous les mouvements de résistance que nous connaissons. Les textes sont denses, au départ presque inaccessibles (pour moi en tout cas) et pourtant....

Cordialement M escudie
Pascal Ourghanlian
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Re: Question à Daniel Calin

Message par Pascal Ourghanlian »

Merci Michèle pour ces textes que je trouve personnellement fort intéressants - mais à déguster à petites doses.

L'analyse de Primo Levi de la "zone grise" a fait bondir quand elle est parue, Levi étant accusé de mettre bourreaux et victimes sur le même plan - ce qu'il ne fait évidemment pas. Il rappelle seulement que, comme dans le célèbre symbole yin/yang, il y a du blanc dans le noir et du noir dans le blanc et que le grisé est sans doute plus consubstantiel à l'humain que le binaire...
Cordialement,
Pascal Ourghanlian
Daniel Calin
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Re: Question à Daniel Calin

Message par Daniel Calin »

Non, je ne connaissais pas du tout ce site, ni aucun des auteurs qui y publient. Merci pour cette découverte.

Ces textes sont pétris d'intelligence, remarquablement peaufinés, superlativement critiques, a priori tout pour me plaire...

Et pourtant, quelque chose me met mal à l'aise, presque d'emblée. J'ai du mal à penser cela, il me faudra y revenir, lire plus avant... Quelques remarques seulement pour l'instant.

=> Frédéric Escolano est, lourdement, heideggerien. Il n'est certes pas le seul parmi "nos" intellectuels, "philosophes" en particulier, mais ça, je ne peux pas, je ne comprends pas, je ne supporte pas. Heidegger a voté pour le parti nazi en 1932, il a adhéré au parti nazi en 1933, il a eu "foi en Hitler". Certes, très vite par la suite, ses rapports avec les nazis sont devenus compliqués, mais ils n'ont cependant jamais été rompus. Il suffit de regarder une seule fois un film d'époque donnant à voir Hitler pour ne pouvoir définitivement plus comprendre qu'un intellectuel digne de ce nom et doté de toute sa raison puisse ne pas avoir été révulsé par un tel personnage. Tout comme il suffit aujourd'hui de "regarder" une seule fois Sarkozy pour le saisir comme immondice humain.

=> Le même Frédéric Escolano écrit dans Sans appel : "Si l’on tient qu’en dépit de leur brutalité manifeste ou insidieuse, les “gouvernances” d’entreprise ne sauraient être assimilées aux abominations en vigueur dans les camps nazis, il reste à s’interroger sur les raisons ayant conduit à un tel effondrement des capacités de résistance des sujets dans les économies libérales...". C'est là très exactement le genre de fausse évidence qui me met en alerte. Les "gouvernances d'entreprise" ne sont certes pas "abominables" pour des intellectuels distingués, mais, d'une part, ce sont bien elles qui ont subventionné le parti nazi et permis son accès au pouvoir, et, d'autre part, elles sont bien "abominables" pour les hordes miséreuses qu'elles exploitent avant de les jeter après usage pour mieux exploiter de plus misérables encore. Une inhumanité "polie" n'en est pas moins inhumaine, et fait constamment le lit des inhumanités les moins "polies". De nos jours encore, il est clair à mes yeux que la meilleures propédeutique au sarkozysme (en attendant pire) a été le jospinisme...

=> Sur le fond de cette citation, s'il y a de quoi, effectivement, s'interroger à bon droit sur cet "effondrement des capacités de résistance des sujets dans les économies libérales", une telle interrogation n'est acceptable que si l'on a d'abord établi une différence radicale de plan entre les crapules "gouvernantes" et les miséreux qui leur sont soumis. Or cette phrase, à sa façon alambiquée, fait exactement le contraire : elle exonère les "gouvernances" de l'infamie au moment même où elle charge d'indignité les foules soumises...

=> Plus généralement, je perçois l'intellectualisme extrême de ces textes comme quelque chose de distordu par rapport à la volonté critique radicale qu'ils proclament. A qui s'adressent-ils ? Et qui servent-ils ? Plus brutalement, je doute qu'ils servent autre chose que l'Ego de leurs auteurs - et, pour un intellectuel, là est la pierre de touche, servir certes son Ego, mais aussi "autre chose" que son Ego.
Cordialement,
Daniel Calin
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Re: Question à Daniel Calin

Message par akila m »

Oui, vous avez certainement raison : le cloisonnement de ce cercle d'intellectuels qui en se présentant de la sorte excluent les pauvres enseignants, éducateurs et autres manquant de références culturelles, et en s'excluant eux-mêmes de tous les mouvements de résistances actuels ne sert à rien.
Mais je n'y trouve pas de mépris pour ceux qui s'aventurent à les lire. Même s'ils ne servent à rien, ces textes existent. Pour avoir travaillé avec une des personnes écrivant sur ce site, je pense que son égo n'était pas sa préoccupation première et qu'elle a lourdement payé pour sa détermination à refuser "de ne pas régler ses agirs sur ses principes intimement éprouvés" comme vous pourriez le faire vous aussi.

Je me retrouve dans le texte "sans appel" car les lettres et pétitions qui foisonnent et que nous avons aussi initiés dans notre établissement n'ont servi qu'à nous soulager un court temps et ont envenimé les rapports dans l'équipe : au final, chacun est encore plus seul et peut ressentir de l'humiliation (de ne pas avoir tout compris puisqu'il y beaucoup de confusion, de brouillard et que le bien des enfants est toujours mis en avant, de ne pas avoir signé par peur, ou de l'avoir fait parce que les directions lui renvoient son insignifiance et une porte grande ouverte pour partir sans obligation bien sûr)

Au final ce sont les enfants, soignants et enseignants restant qui souffrent (je n'oublie pas la peine de ceux qui sont partis mais je trouve là une manière de fuir qui permet à nos dirigeants d'épurer toute une équipe en disant qu'ils n'ont forcé personne) car ils doivent trouver la force de se soutenir (les enfants perdent du jour au lendemain leur psychothérapeute ou éduc et nous nos collègues et je ne sais où donner de la tête face à leur désespoir et incompréhension) dans un contexte institutionnel où chacun a accumulé des masques pour se cacher pendant les "réunions de services" qui se multiplient pour chercher des contrôles et organisations. Sans commandes, nous ne savons plus parler de notre travail.

pour moi, de part de ce texte de F Escolano, la résistance est également plus intime : ne serait-ce que de m'apercevoir que je me suis mise à penser comme allant de soi des idées qu'on a voulu m'inculper.
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