Les désinvestissements scolaires
28 novembre 2013Je viens de retrouver quelques notes que j’avais prises le 19 juin 2013, à Nîmes, lors de la XVIIIe journée Inter-CMPP du Gard, en écoutant mon prédécesseur à la tribune, le Docteur Paul Marciano. J’avais trouvé très intéressante cette espèce de typologie du désinvestissement scolaire qu’il avait proposée, en l’illustrant de fines vignettes cliniques. Je n’ai plus un souvenir assez précis de ces vignettes pour les rapporter ici, mais je m’empresse de mettre en ligne, avant de finir de les égarer, les souvenirs qui me restent du cadrage théorique de cette intervention.
Nombre d’enfants qui consultent en CMPP présentent ce qu’on peut nommer un échec de la pulsion épistémophilique, par blocages, effondrements ou refus : chez eux, la « curiosité naturelle » qui porte (ou est censée porter) la plupart des enfants vers les apprentissages scolaires (et extra-scolaires !) est entravée ou absente, sans qu’ils présentent par ailleurs des troubles psychiques discernables.
Ce symptôme plus ou moins commun peut renvoyer à des problématiques très variées. On peut différencier plusieurs cas de figure :
- Le refus de connaître induit par un refus de connaître son univers interne. Cette fuite de la représentation de soi peut prendre sa source dans des problématiques très variables, parfois aux franges de la pathologie, mais aussi dans des situations relativement banales. Par exemple, un interdit familial sur toute expression de jalousie vis-à-vis des puînés ou une trop forte répression familiale sur les manifestations des pulsions sexuelles.
- L’aliénation au savoir familial, avec interdit d’apprendre ailleurs. C’était très banalement le cas dans les familles tziganes et ça le reste parmi celles qui se sont le moins intégrées. J’ai évoqué ailleurs ma difficile et vaine confrontation, jeune professeur de philosophie, à un garçon issu d’une famille de témoins de Jéhovah. La montée des divers intégrismes religieux multiplie actuellement les cas de ce type, particulièrement désespérants pour les enseignants, même de très bonne volonté.
- L’inhibition cognitive, induite par des énigmes inquiétantes dans l’histoire personnelle. Ce sont les cas très classiques de non-dits familiaux sur la filiation, la mort d’un proche, ou tout autre « secret de famille ».
- Un mouvement dépressif enkysté, entretenu par la dévalorisation induite par un échec scolaire en quelque sorte volontaire, masochiste. Le moment dépressif initial peut être lié à des situations très diverses : deuil, maladie, séparation, etc.
- Une hyper-érotisation des relations mère-fils, qui fait barrage à tout autre investissement. Par exemple dans des conflits récurrents autour des devoirs scolaires. Fréquent dans les familles dites mono-parentales, mais qui peut aussi bien apparaître dans des cadres familiaux plus classiques en apparence. Je garde le souvenir d’une situation de ce genre, mais entre une jeune maîtresse et un de ses élèves, qui était trop bien parvenu à capter l’intérêt et le temps de cette jeune femme sympathique en faisant bien semblant d’apprendre lorsqu’elle se consacrait à lui à ses côtés, mais en ne mémorisant strictement rien de ce qu’elle lui « donnait » dans cette proximité.
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Le docteur Marciano avait évoqué également, aux antipodes apparents de tout ce qui précède, ce qu’on pourrait nommer la suradaptation scolaire (la dénomination est de moi, pas de lui) : certains enfants, que l’on doit rarement rencontrer dans les CMPP, présentent un fort investissement scolaire, mais ne manifestent aucune curiosité en dehors de l’école. Certains élèves particulièrement « besogneux » me semblent relever de cette catégorie. S’ils ne posent évidemment aucun problème de scolarisation durant les premières années de la scolarité, il est possible que certains échouent plus tard, lorsque la « bonne volonté scolaire » ne suffit plus, lors du passage au lycée par exemple, et plus encore probablement lors de l’entrée dans l’enseignement supérieur.
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