Le retour des miliciens
9 novembre 2007Le magazine Challenges est un de ces multiples follicules entièrement voués à la propagande « libérale » – entendez « à la défense et illustration de la dictature financière mondialisée ». Son éditorial, en date du 4 octobre 2007, était intitulé Adieu 1945, raccrochons notre pays au monde ! Vu de l’extérieur de ce petit monde des chiens de garde salariés, on pense d’abord, au mieux à un mot d’esprit un peu tarabiscoté, au pire à une plaisanterie de très mauvais goût.
Pour tout homme sensé, 1945, c’est la défaite du nazisme. Se « raccrocher » à quelque chose qui suppose d’éliminer les traces de 1945, ça signifie donc renouer avec cette chose immonde dont 1945 symbolise la défaite. Non, non, rectification. Le titre ne dit pas « se raccrocher au nazisme”, mais « se raccrocher au monde”. Ah bon ? Et alors ? Qu’est-ce que 1945 vient faire dans notre rapport au monde ? En quoi 1945 empêche-t-il quelque chose dans notre rapport au monde ? Rien à faire : à moins de supposer qu’il s’agisse de « se raccrocher » à un monde redevenu nazi, on ne voit pas quel sens ce titre pourrait avoir…
Allons donc voir de plus près ce que ce titre annonce. Alors, là, les yeux vous en tombent ! Un morceau d’anthologie ! Il faudrait tout citer – mais c’est interdit. Aussi vais-je me contenter du premier paragraphe :
Les annonces successives des différentes réformes par le gouvernement peuvent donner une impression de patchwork, tant elles paraissent variées, d’importance inégale, et de portées diverses : statut de la fonction publique, régimes spéciaux de retraite, refonte de la Sécurité sociale, paritarisme… A y regarder de plus près, on constate qu’il y a une profonde unité à ce programme ambitieux. La liste des réformes ? C’est simple, prenez tout ce qui a été mis en place entre 1944 et 1952, sans exception. Elle est là. Il s’agit aujourd’hui de sortir de 1945, et de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance !
Clair, non ? Pas d’erreur, hein : sous la plume du folliculeux de service, c’est bien un éloge ! La suite n’est pas mal non plus, d’ailleurs, allez vérifier par vous-même. Le seul événement international que l’auteur retienne de 1945 est que « les chars russes étaient à deux étapes du Tour de France ». Voilà donc un texte qui a le mérite de mettre en pleine lumière le principe du programme politique de Sarkozy. Ce « petit homme » a fait sa campagne sur le thème de la liquidation de 1968, mais son objectif réel, plus difficilement monnayable, est de liquider 1945, « de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance ». Il aurait été plus honnête d’afficher cette couleur-là durant la campagne ! Mais il est vrai que Chirac et Villepin, héritiers, malgré tout, du gaullisme, étaient encore au pouvoir…
Je me suis demandé, en lisant ce texte, pourquoi l’auteur arrêtait la période qu’il voue aux gémonies en 1952. 1952, ça ne dit pas grand chose à grand monde, non ? Alors, je suis allé y voir d’un peu plus près. En 1952, en France, le seul fait politique notoire, c’est le gouvernement d’Antoine Pinay, de mars à décembre, c’est-à-dire le premier gouvernement exclusivement de droite de la IVe République (Pinay se retire en août, mais « son » gouvernement ne tombe qu’en décembre). Antoine Pinay, ça ne dit pas grand chose aux petits jeunes normalement constitués, c’est pourtant un personnage qui vaut son pesant d’or. L’or, justement. Le fait d’arme le plus marquant de cet individu est d’avoir alors lancé un emprunt national gagé sur l’or, exempté des droits de succession, assorti qui plus est d’une amnistie fiscale. Cet emprunt fera durant des décennies le malheur des caisses de l’État, mais le bonheur des classes fortunées, qui se débrouilleront grâce à lui pour échapper aux droits de succession. Accessoirement, il permettra aussi à tous les « profiteurs de guerre » de rapatrier tranquillement les fruits de leur collaboration avec les nazis. C’est probablement pourquoi Pinay a été le modèle de nos « meilleurs économistes », Giscard, Barre, et même, à peine plus discrètement, Fabius ou Strauss-Kahn. Pinay, c’est Au bonheur des riches. Que Challenges en fasse le symbole de la fin des horreurs qui suivent 1945 est du coup moins surprenant, non ?
Mais 1952 et Pinay, c’est pire encore. Pinay a été, d’emblée et avec constance, un soutien actif du gouvernement de Pétain. Il a été membre du Conseil national de Vichy dès 1941, décoré de la francisque (comme Mitterrand !), etc. Ce collaborateur officiel est d’ailleurs déclaré inéligible en 1945. Sanction bien vite levée : il faut bien reconstruire… la droite ! Très logiquement, un autre titre de gloire du gouvernement Pinay sera le vote d’une loi d’amnistie pour les faits de collaboration. Passée assez inaperçue, évidemment : les collabos avaient déjà repris les manettes !
Quand je vous disais qu’il urgeait de réinventer la Résistance ! Voir Appel des Résistants aux jeunes générations.
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Ah, j’oubliais, l’auteur de ce mémorable torchon est un incertain Denis Kessler. Ça ne vous dit pas grand chose non plus ? Après avoir été maoïste dans sa jeunesse (vous savez, ces jeunes bourges à l’ego aussi surdimensionné que souffreteux qui rêvaient de devenir Mao), il a été numéro 2 du MEDEF de 1994 à 1998, aux côtés du baron Ernest-Antoine Seillières. Précision, pour bien clarifier l’ordre de notre petit monde : entre temps, il a aussi été un proche collaborateur de Dominique Strauss-Kahn, récemment propulsé à la présidence du FMI, le bras armé de la dictature financière mondialisée, par les grâces de Nico le petit. Tout se tient, dans ce monde-là.
Vous n’avez pas un petit arrière-goût de Ah, ça ira, ça ira, ça ira… dans la bouche, vous ?
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