Façonne-moi une rééducation...

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Patrice Nagel
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Façonne-moi une rééducation...

Message par Patrice Nagel »

Façonne-moi une rééducation…


« Au cirque, une mère imprudente laisse son enfant se prêter à l’expérience d’un magicien chinois. On le met dans un coffre. On ouvre le coffre : il est vide. On referme le coffre. On l’ouvre : l’enfant apparaît et regagne sa place. Or ce n’est plus le même enfant. Personne ne s’en doute. »
JEAN COCTEAU. Le Grand Ecart. 1923.

Le métier de maître « G », la rééducation, et l’Aide Spécialisée à Dominante Rééducative, est une création de l’école(1). Et l’école qui l’a créé pourrait tout aussi bien la supprimer(2). La rééducation, selon Félix GENTILI, est une pratique géniale, faite de bricolages théoriques et pratiques qui prend ses racines dans tout et rien de précis à la fois. Elle n’a donc pas de fondement théorique propre et utilise des concepts qui touchent aussi bien à la psychologie, la sociologie, la pédagogie, la psychanalyse, que des pratiques physiques d’éveil, psychomotrices, artistiques, poétiques, voire psychothérapeutiques(3). C’est, toujours selon Félix GENTILI, une pratique de l’entre deux(4).

Elle consiste surtout à faire passer un enfant d’un état à un autre, à le faire « basculer » dans un autre monde intérieur, l’amener à passer d’une activité mentale de « type enfantine » (ou la sienne « originale ») à une autre qui consiste à utiliser des « tournures d’esprit » nécessaires pour apprendre en classe. Le maître « G » serait une sorte de « passeur » d’enfant entre ce qu’il est et ce qu’il pourrait être sans trop le savoir à l’avance. Il l’attire et l’aide à opérer dans un mode de fonctionnement de la pensée qui consiste à quitter ses schémas et ses systèmes personnels, souvent « prélogiques », qu’il a tendance à appliquer à n’importe quelle situation, pour accéder à ceux que « l’exigence scolaire » fait appel. Or pour la satisfaire, un élève est placé dans une forme de contrainte imposée par les activités proposées où il est « tenu » d’organiser sa pensée selon des suites logiques, des stratégies mentales qui ne relèvent pas de ses stratégies personnelles. Il lui faut donc « apprendre » à le faire.

Chercher à saisir comment pense un enfant, de quelle manière il peut considérer son « activité de pensée », puis l’amener à penser d’une façon nouvelle pour devenir l’élève qu’il pourra peut être tenter d’être, fait partie du délicat métier de rééducateur. C’est l’amener, en tant que sujet, a comprendre ce qui semble valable pour lui afin de retrouver le plaisir d’apprendre en classe. Il n’y a pas de « bonnes » réponses préexistantes au sujet ni à l’enseignant spécialisé pour cette évolution ou l’imaginaire et le symbolique se croisent sans cesse.

L’exigence scolaire.
Selon les textes officiels, le rééducateur, parmi toutes les missions qui lui sont confiées, est tenu de faire évoluer le rapport à l’exigence scolaire des enfants en difficulté scolaire grave, de restaurer l’investissement scolaire ou d’aider à son instauration par des actions pouvant favoriser un engagement actif de l’enfant dans les différentes situations, la construction ou la restauration des ses compétences d’élève. Parce que certains ne se sentiraient pas autorisés à y satisfaire, d’autres vont avoir besoin d’aide pour établir des liens entre « leur monde personnel » et les « codes » culturels que requiert l’école, par des médiations spécifiques(5).

Monde personnel qui parfois le gêne, l’empêche de mettre en place « des tournures d’esprit » utiles pour entrer dans les apprentissages proposés en classe. Comment est-il constitué ? Comment fonctionne-t-il ? Et en quoi cela regarde-t-il un enseignant spécialisé ?

Des enfants pas encore élèves.
Chaque enfant possède, tout plein de schèmes de pensée, intimes, nés des expériences personnelles et des actions physiques du corps. Nous n’y avons pas accès, mais nous ne pouvons tenter de les comprendre qu’à partir de ce qu’il veut bien nous montrer (langage infra verbal, postures et mimiques apprises par imitation à partir d’un codage social). Il procède selon des logiques « montées de toutes pièces » à partir de sa seule subjectivité, affectivité unique et propre au sujet. Il ne pense pas « en général » mais « en particulier », dans sa singularité et selon ses manière d’être au corps comme au monde.

Les processus cognitifs, permettent ainsi à l’enfant d’être sans cesse en « activité de pensée » pour « donner du sens », son sens à lui, à n’importe quoi : situation, événement, objet, signe, grâce à son imaginaire(6). Le processus de symbolisation lui, prend d’abord racine dans l’affectivité intime, pour ensuite se confronter à la réalité « vraie ». Il construit ainsi ses « croyances », sa façon personnelle de combiner, d’envisager, de conclure, de distribuer toutes les choses de sa vie. Ce va et vient intériorisé, fictif est permanent et permet donc à l’enfant de se donner l’impression de penser comme les adultes(7) mais pas d’apprendre selon des modalités imposées de l’extérieur.

Des stratégies personnelles toutes originales.
Le merveilleux, le rêve, permettent la création de liens intériorisés, pour exercer sa pensée sur le terrain de la fiction. Mais ce fonctionnement lui permet aussi d’entrevoir qu’il a le pouvoir de mêler le « pas pour de vrai » aux éléments pris dans le réel, le « pour de vrai ».

C’est vraisemblablement ainsi que naissent les formes de pensées magiques peu adaptées à toutes les exigences scolaires. Certains enfants résistent ou refusent ou se trouvent « empêchés » de sortir du « produit » de cette pensée toute personnelle et subjective.

Apprendre c’est quoi du point de vue de l’enfant.
L’école va accompagner l’investissement de la pensée de l’enfant pour devenir élève et le cadrer. Il va en classe devoir sans cesse créer et défaire des liens « à lui » ce qui suppose une déstabilisation permanente, c’est à dire tout remettre en question au plan mental. Il faut que cela puisse être acceptable. Si la forme de sa pensée immature est critiquée par un adulte, le droit à l’erreur interdit, et qu’il faut immédiatement « faire » selon des règles (incomprises), l’enfant renonce à toute cette activité de pensée. Si ce temps-là n’est pas respecté, il y a détournement de l’activité de pensée pour tout apprentissage inconnu (objet de connaissances scolaire, procédures, etc..). Il peut y avoir en réponse, attaque du « cadre » ou création de conduites particulières qui dérangent leur entourage. L’aide du rééducateur c’est lui permettre d’accéder à son mode de pensée par ce qu’il va lui dire afin de ne plus confondre la réalité externe de l’interne.

Les contraintes imposées par l’école.
Apprendre, c’est faire le constat, seul dans sa tête, qu’il faut se séparer des ses propres inventions internes, qu’elles soient de l’ordre des croyances ou des stratégies personnelles généralisables. Quitter ces fameuses « tournures d’esprit » qui permettent de « combiner » les choses mentalement représentées entre elles. Apprendre c’est découvrir que ce qui change est soit de l’événement externe, social et humain (venant de quelqu’un d’autre, ou d’une contrainte de la situation scolaire, ou des activités différentes qui s’enchaînent dans la vie de tous les jours), soit de son pouvoir interne d’agir et de modifier le cours du déroulement ordinaire de son activité de pensée. Dès lors la séparation entre, d’une part les liens « fictifs » issus des associations d’idées personnelles et subjectives et, d’autre part ceux que nécessitent les apprentissages scolaires, ne se fait pas sans problème. Or l’essentiel est bien, que les enfants aient « le sentiment d’être grand et compétent » dès lors qu’ils s’essayent à penser d’une façon nouvelle. D’où la rééducation pour permettre à l’enfant de « s’essayer à penser » par lui-même, en toute sécurité.

Les aléas de la vie.
Pour penser autrement, il ne faut pas avoir l’esprit « centré » sur un fait inexpliqué, douloureux, un événement incompréhensible, une angoisse, une peur. Certains enfants ont été amenés à ne plus se supporter, ou ne plus supporter les autres. Ils construisent des attitudes qui leur permettent d’exister (agitations, toute puissance, inhibition, régression, opposition, violence).

De nombreux « mondes personnels » d’enfants existent même passagèrement pour « se donner de bonnes raisons » de ne pas grandir, rester bébé (dans un confort tout relatif vers 6/7 ans), être dans la toute puissance , être en fusion affective sans s’autoriser à « exercer autrement sa pensée ». Ces « mondes » ne permettent pas à l’élève d’ajuster ses conduites corporelles (agitation, instabilité, inhibition), intellectuelles (recherche, répétition, expérimentation, vérification, retour en arrière, découverte, tout le champ opératif de la pensée) ou émotionnelles (quête de l’amour du maître, jalousie des camarades, conflit d’affection entre Professeur et parents) pour apprendre avec d’autres.

En classe, il faut donc être disposé à être prêt, et s’estimer être capable de trouver seul ses solutions. Il y a parfois des impossibilités : posture affective vis à vis du maître, peur des autres, habitude à monopoliser l’adulte ; problèmes personnels liés à son évolution ou son histoire.

Le cadre rééducatif.
Les principes de la rééducation relèvent de l’évolution de la psychomotricité et s’inspirent de la phénoménologie. Ils sont liés à des notions empruntées à WALLON, plus qu’à FREUD. Corps vécu, perçu, conçu et non pas seulement imaginé ou représenté de façon symbolique.

Elle permet dans l’école la prise en compte de ce « monde personnel » de l’enfant pour l’amener à le « retravailler » et faciliter son entrée dans un rôle d’élève. Puis de repérer dans des cadres distincts, identifiés, (classe, maison, salle de rééducation, activités autres,), la place et le rôle de chaque adulte. Chaque cadre apportera des « contraintes » nouvelles faisant appel à des organisations différentes de sa pensée. La rééducation est dans un « entre deux » du devenir de la relation enfant/professeur des écoles-rééducateur. C’est une aide « à devenir grand ».

Mettre en place un cadre stable, fiable, où tout cela est possible : la rééducation.
Elle est très structurée selon un protocole strict. A partir de la demande d’aide, les étapes successives sont repérées et offrent des cadres stables indispensables aux partenaires permettant à chacun de retrouver ses repères sans confusion des rôles. L’entretien de clarification avec l’enseignant demandeur d’aide professionnelle, l’accord de l’enfant, celui de ses parents, puis les synthèses différentielles du RASED pour proposer l’aide la plus appropriée. Sous des formes adaptées, seul ou à plusieurs. Ce qui peut apparaît long et lourd, est en fait « l’installation » de chacun dans son cadre. On respectera le refus d’un enfant de ne pas venir en rééducation. Si un adulte le lui imposait, il en ferait un objet de travail, pas un futur sujet.

Les principes avancés sont ceux de la découverte du plaisir à opérer, de la satisfaction de ses découvertes là à lui seul confirmée par l’adulte, de l’activité de jeu pour accéder à la prise de conscience de l’existence de son processus personnel de symbolisation. L’enjeu théorique de la rééducation est ce que le sujet a à nous dire qui peut le gêner pour avoir l’esprit serein pour apprendre des choses nouvelles.

L’enfant sera amené éventuellement à exprimer, d’une manière ou d’une autre, ce qui le préoccupe personnellement : « ce qui lui pose problème » dans sa vie d’enfant et qui l’empêche d’avoir une pensée d’élève, souple, mobile, plastique. Cela peut se produire au cours de n’importe quelle activité. La parole du rééducateur posée, entendue, rassurante pour dire ce qui est humain ou pas, acceptable ou pas, bref naturel ou pas, aidera l’élève à faire « la part des choses ». Le rééducateur n’a pas comme objectif de travailler justement sur ce qui pose problème à l’enfant, mais de partir de ce qu’il donne à voir, de ce qu’il est, pour entreprendre avec lui d’autres découvertes. C’est la stratégie de détour. Elle utilise les concepts comme le vécu corporel, le dialogue tonico-émotionel, l’expression de soi, le jeu.

Les techniques sont celles du dialogue corporel, des jeux symboliques, et de toutes médiations propices à des changements. Les relances, les positions de parole sur les événements, le vécu de l’instant, le sens, le devenir, les techniques « en écho », les changements de rôles, constituent des savoirs professionnels.

Aucune médiation n’est particulièrement apte dans l’absolu à produire un effet à priori. Il n’y en a pas de « bonnes » préexistantes au sujet et à ses problèmes. Créer avec l’enfant de l’attente, de la surprise, des renversements de situations, s’exprimer et l’amener à dire ce qui se passe dans sa propre intériorité pour raisonner, sont des savoirs qui demandent une grande perspicacité.

Toutes les formes sont possibles : travail de prévention avec des groupes de maturation ; prévention secondaire avec des Groupes d’Aide Spécifique au Développement (rééducation à plusieurs, avec des enfants « empêchés » mais pas suffisamment envahis par leurs problèmes) alors que pour certains enfants la rééducation individuelle semblera la plus pertinente.

La découverte de ce plaisir à penser, se fait par des échanges sur les procédures et leurs résultats. Il faut un adulte fiable, stable, constant, cadrant qui offre à l’enfant toutes les garanties de confiance. Dès lors, « l’apprivoisement » est possible pour accéder à ces échanges adulte/enfant qui porteront sur les manières de « ranger » les choses (à soi et venant de l’extérieur), et d’envisager des différences de perceptions du monde, toutes changeantes, mais avec des constantes « cadrées » fiables (rites ; habitudes ; règles de vie) selon les lieux et les activités. Ne pas tout confondre : l’école et la maison, la récréation et la classe, moi et les autres, l’enseignante et maman.

Un métier nouveau
Entrer en relation d’aide avec ses partenaires enseignants non spécialisés, parents, représentants de l’institution, suppose un changement d’identité basé sur une posture nouvelle (relation d’aide basée sur une neutralité bienveillante), une démarche inhabituelle (quitter les habituels objectifs pédagogiques pour envisager des objectifs de développement)), une attitude changée (consistant en une éducation nouvelle de sa perception et du sens donné aux conduites signifiantes pour saisir les Besoins Educatifs Particuliers).

Conclusions
La thèse de Félix Gentili apporte des éléments intéressants. Par opposition à la classe, le lieu rééducatif est investi par l’enfant symboliquement, où il peut en toute confidentialité jouer et être autrement qu’en classe ou qu’à la maison : c’est une des conditions pour s ‘exercer à « exercer » sa pensée. Il n’y a pas de référence à la norme en rééducation : les productions des enfants ne sont pas évaluées mais c’est la recherche de la production, du sens et le sens (propre et symbolique) qui est mise au grand jour. Les rééducateurs sont des passeurs dans un « entre deux ». Entre le « je n’ose pas encore » et « j’ose faire en moi », il faut l’aide d’un adulte formé à ces moments clés imprévisibles dans le déroulement du temps qui passe, pour amener certains enfants à grandir. Oser défaire et refaire en pensée.


« Le symbole est leur dernier recours. Il leur donne de la marge. Il leur permet encore d’expliquer l’incompréhensible et de revêtir d’un sens caché ce qui tire sa beauté à n’en pas avoir. »
JEAN COCTEAU. La difficulté d’être. 1947.

Patrice Nagel 22 Décembre 2005
(Ce texte est aussi en présentation dans la rubrique "Publications").

Notes
(1) Félix Gentili, Thèse intitulée : « La rééducation contre l’école, tout contre ». Cette thèse a fait l'objet d'une édition : Félix GENTILI - La rééducation contre l'école, tout contre - Col. Connaissances de l'éducation - Erès - Ramonville - 2005.
(2) Remarque de Monsieur Jean François REY, professeur de philosophie, IUFM Centre de LILLE.
(3) Félix Gentili, ib.
(4) Félix Gentili, ib.
(5) Extraits de l’annexe 1 de la circulaire n° 2004-026 du 10-02-2004 et des circulaires n° 2002-111 ; 2002-112 ; 2022-113 du 30 avril 2002.
(6) "L'imaginaire", c’est le temple des illusions des lieux intérieurs qui se jouent de tout, où la culbute des idées et des choses s’inventent dans un kaléidoscope mouvant, lieux ou les rêves et les songes s’emparent et s’illuminent de la pensée mouvante et insaisissable. (Note toute personnelle).
(7) Ce passage s’inspire largement l’article de Marie Luce Verdier-Gibello, « Penser pour grandir quand on est un enfant », sur le site : « Apprendre autrement aujourd’hui » (disparu) de la Cité des Sciences...
patrick
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Message par patrick »

J'ai débuté comme instit Freinet, et déjà face au GFEN nous mettions en avant le vécu de la classe devant le scientisme des positions de nos collègues. J'ai ensuite travaillé en institut et j'ai très vite été du côté de la psychothérapie institutionnelle face au pouvoir médical s'appuyant sur le savoir universitaire. Rééducateur en réseau, je retrouve les mêmes filiations et je me reconnais dans ce texte qui dégage les positionnements très particuliers de la rééducation du côté de l'agi, du vécu.
Le fil rouge de ces différentes oppositions me semble être la phénoménologie, mais quand j'essaye de saisir les enjeux je n'y comprends rien. Une fois de plus, nos formations sont bien insuffisantes sur ces questions fondamentales et s'y lancer tout seul demande un grand courage qui me fait défaut.
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