Malaise dans la pratique

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clairea
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Malaise dans la pratique

Message par clairea »

Cette rentrée scolaire ne ressemble à aucune autre, elle s'annonçait comme hésitante, imprécise tant nous étions dans l'attente des nouvelles circulaires qui orienteraient nos pratiques dans la logique dichotomique du handicap ou de la grande difficulté scolaire, elle devient déstabilisante, agressive, telle que je la vis depuis plusieurs semaines.
La mise en place de la MDPH, nous le savions, serait une révolution fondamentale dans les procédures et dans les représentations de chacun.

Aujourd'hui, je navigue avec prudence, souvent envahie d'ambivalence et chacune de mes "actions" pensées de psychologue scolaire deviennent plus que jamais hésitantes.

L’institution en appelle à « mes expertises » là où je m’obstine à penser des hypothétiques…
Pourtant l’objet de mes études, le sujet, cet enfant dont l’institution attend l’apprentissage, m’avait-on appris, est un sujet en devenir, un être dépendant de son environnement….
Tous mes livres universitaires m’invitaient au plus grand respect déontologique, et à la plus grande prudence en ce qui concerne la psychopathologie de l’enfant.
L’enfant jeune développe des symptomatologies multiples, malléables, temporaires, au hasard des grandes crises structurantes du développement de l’enfant et des aléas de la vie. Elles n’ont pas de caractères suffisamment stables pour être supports à des pronostics.
Je cite Myriam Boulbi (psychopathologie de l’enfant, édition Dunod) : « Chez l’enfant, on ne peut pas parler en terme de structures, au sens où il est employé pour les adultes. La psychopathologie de l’enfant est caractérisée, de façon fondamentale, par sa mouvance. »
J’ai donc construit mon regard de psychologue en terme économique, j’auscultais ;), J’écoutais la dynamique psychique d’un enfant et essayais d’en ressentir les entraves pour les mettre en sens et enfin amenais le sujet vers le long chemin de l’élaboration d’une demande.
Mes années de pratique m’ont donné la chance de voir plusieurs enfants défier tout présomptueux pronostic, imposer des révisions d’orientation à l’institution, et même parfois surprendre l’entourage thérapeutique par des évolutions rapides. Certaines évolutions étaient tout autant dramatiques qu’étonnantes d’ailleurs.
Mais le fait est qu’un enfant ne s’enferme pas dans un diagnostic, c’est un être en pleine évolution et construction psychique et cette dernière est dépendante de multiples facteurs dont ceux environnementaux.

Alors, mon « expertise » sur l'état psychique d’un enfant…. Pour qui, d’ailleurs, pour quoi ? Je ne sais qu’en dire si ce n'est pour l’instant me taire afin de cacher aux familles mon trouble.
Quant à toutes ces situations d’enfants bénéficiant d’une scolarité en CLIS 1 et qui quitteront la CLIS à la fin de l’année si une étiquette d’enfant handicapé ne leur est pas « aimablement » attribuée….
Comment recevoir des familles et participer, même si cela sera toujours de façon secondaire, à cette logique de l’étiquetage alors que toute ma pensée et mon éthique s’en défend ?
Il me faudra pourtant trouver un espace de cohérence entre ma pratique, les contraintes institutionnelles et ma pensée, sous peine d’une grande fatigue psychique et d’un immobilisme empreint de prudence.

Si, ici, une personne trouvait les arguments suffisants pour me convaincre, et donc m’aider à convaincre les familles de ces enfants en souffrance psychologique, qu’être reconnu handicapé est une bonne chose pour l’enfant…. Vous soulageriez un grand poids….
Mais peut-être que certains agacements et résistances sont plus saines que d’autres ?
Je sonde et re-sonde ma résistance au changement, mes représentations du handicap et de la personne en situation de handicap, pour essayer de comprendre si des raisons masquées n’animent pas ma frilosité face à cette démarche, mais, en ce qui concerne la souffrance psychique et la psychopathologie de l’enfant, je reste convaincue que la MDPH n’est pas adaptée.
Pascal Ourghanlian
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Message par Pascal Ourghanlian »

Claire,

Toutes choses égales par ailleurs, il me semble que j'aurais pu écrire ce que vous nous livrez aujourd'hui avec confiance et retenue :cry:

Et les lieux institutionnels d'où nous parlons - vous, psychologue "scolaire" dont la circulaire de 1990 définissant les missions n'a pas été modifiée bien que se surajoute à ces dernières une demande d'"expertise" sur le handicap dans la loi de 2005 et ses décrets d'application ; moi, enseignant spécialisé "difficultés d'apprentissage" (E et F) référent pour la scolarisation des élèves handicapés - ne sont pas anodins.

Sans être un inconditionnel des typologies, j'essaie de dresser ici un répertoire des réactions des parents que je rencontre :
- "enfin !" : c'est la réaction des familles dont l'enfant a un handicap "évident", champs sensoriels ou moteur lourd, et qui se heurtent au quotidien, tout à la fois, à l'évidence du handicap de leur gamin et à la quasi inexistence de leur prise en compte concrète ; ils sont "militants", au moins pour eux-mêmes, souvent à l'origine de la loi de 2005 par le biais du lobbying de leurs associations ; leurs enfants "inquiètent" assez peu l'école, sous réserve d'accompagnement par un SESSAD ou une AVS : elle peut faire "son métier" : enseigner / apprendre ;
- "pourquoi ?" : c'est la réaction des familles qui raisonnent en termes de "retard" et non de "trouble", pour lesquelles l'aide de l'Éducation nationale et quelques "soins" "anodins" (orthophonie, par exemple) laissaient espérer un retour à la normale à plus ou moins brève échéance ; le passage par la MDPH les renvoie à une difficulté structurelle, dont ils ne veulent pas entendre parler, parfois à juste titre ;
- "jamais !" : je ne détaille pas, la réaction est assez claire, assez rare pour ce qui concerne "mes" 120 gamins ;
- "comment ?" : ce sont les familles qui veulent comprendre, qui admettent et/ou utilisent l'expression "situation de handicap", qui ne veulent pas de l'étiquette "handicapé" qui renvoie à leur seul gamin la cause et le traitement de la différence ;
- "combien ?" : il s'agit là de quelques familles, j'aurais aimé écrire rares mais ne le peux pas, qui comprennent le handicap de leur gamin, souvent dans le "champ mental", comme une manière de percevoir une allocation ou d'autres familles, toujours dans le même champ, qui attendent le médicament qui va permettre à leur gamin d'être comme les autres, de sortir de leur psychose qui les renvoie à quelque chose de trop intime pour elles-mêmes ;
- "ah bon !" : les familles qui ont du mal à se dépatouiller avec le monde de l'école, de la santé, des institutions en général, qui attendent de l'aide, sans forcément tout comprendre, mais qui sont dans la confiance faute de mieux.

Panorama incomplet, évidemment, mais qui montre qu'il ne peut pas y avoir un traitement unique des situations (même si le "guichet" de la MDPH se veut tel), qui souligne la complexité renouvelée du départ entre grande difficulté et handicap, qui rappelle combien les mots sont autant porteurs de scission que de réunion (cf. Roland Barthes).

Qui rend visible combien cette loi a été mal travaillée avec les institutions (les services de soins, pour beaucoup, sont dans le même état que ce que vous décrivez), pour ne répondre qu'à des pressions politiques.

Au bénéfice de qui ? Je continue d'espérer au bénéfice des gamins. Et je me donne l'année pour l'éprouver. Y compris électorale. Après...

Désolé, Claire, de n'avoir pas trouvé les arguments pour vous convaincre : je les cherche encore pour moi-même...
Cordialement,
Pascal Ourghanlian
clairea
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Message par clairea »

Finalement, votre absence d'argumentation, Pascal, me réconforte par le partage de nos interrogations.

Votre position est bien plus exposée que celle d'un psychologue scolaire dans le cas présent.

Si seulement ce handicap n'était pas posé et accepté comme une évidence bien confortable...

Cette année va être longue, je le crains.
patrick
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Message par patrick »

Je suis admiratif de votre écrit, il arrive à la fois à dégager des questions fondamentales et en même temps garder de la pondération et de l'humilité.
Actuellement un enfant m'interroge sur deux grands principes que je pensais être des points fixes : pour l'école laïque la position d'accueil a priori de tout enfant et pour le rééducateur le refus d'enfermer sa démarche dans un diagnostic .
J'ai rencontré Robert en PS, dans mon principe d'accueil j'ai pris une position de médiateur entre la famille et l'école. Robert posait des gros problèmes de comportement, le passage à l'acte sur les autres était quotidien à la récréation, les familles se plaignaient, les autres enfants le craignaient, l'enseignant s'inquiétait mais restait maître pour son élève. La famille était en conflit avec l'école qu'elle accusait de ne pas comprendre leur enfant surdoué.
A cette époque, comme médiateur, j'ai essayé de ne pas enfermer tous les acteurs dans cette vision unique et de préparer chacun à trouver sa place dans le système scolaire.
Ce travail permettra la mise en place l'année suivante d'une rééducation pour Robert (c'est une des rares rééducations en MS que j'ai engagée), la piste de travail étant la fonction différenciatrice : liens et séparations, personne privée personne scolaire, représentations différenciées...
La mère (seule présente en ce début de travail) parlera de ses difficultés de séparation (elle s'interdit de s'éloigner de l'école pendant que son fils s'y trouve, elle reste derrière la porte du club de judo, elle refusait à sa propre mère le droit de porter Robert bébé...) Il est difficile de mettre du tiers dans ces conditions, l'enfant en tout cas n'arrive pas à utiliser l'école dans ce sens, la rééducation touche ses limites, et suite à une synthèse réseau une prise en charge extérieure est proposée en fin d'année en présence du père.
En GS l'enfant sera suivi en CMP, je ferai avec lui 2 fois par semaine en fin de journée de l'accompagnement pour permettre à cet élève perturbant de souffler. Parallèlement le travail auprès des parents de l'élève les prépare au difficile passage au CP, la pression monte !!
Les parents choisissent l'évitement et inscrivent leur enfant dans le privé.
La psy du réseau retrouvera sur son secteur cet élève qui va poser des problèmes en crescendo et montrer des tendances autodestructrices. (jeu du foulard, escalade des murs, mais le saccage de la chapelle de l'école étant l'acte de trop je crois)
Le travail avec le CMP va tourner court, le CMP fera un signalement à la justice et une éducatrice AEMO intervient depuis, la famille a interrompu toute prise en charge et porte plainte contre le CMP.
Sur ce, la famille revient vers l'école d'origine et inscrit de droit son fils avec un certificat de radiation de son école privée.

A partir de là, mes 2 principes clignotent à l'orange.
D'abord, dès que j'apprends en juin le retour de Robert pour septembre, je ne me positionne pas dans l'accueil mais au contraire j'essaye d'influencer le directeur de l'école pour que l'inscription de droit ne corresponde pas à une scolarisation normale de droit. Je lui conseille d'organiser une équipe éducative préalable, d'informer la famille que nous connaissons cet élève et qu'il ne rentre pas dans cette école de façon classique. Que nous devons rencontrer préalablement le CMP et que deuxième principe à l'orange nous devons connaître l'état de souffrance de cet enfant.
Pire, l'orange clignote encore plus quand je me permets de formuler mes hypothèses sur un enfant exclu de la relation à l'autre par sa mère, que nous ne sommes pas confrontés à une relation enfant parent problématique mais à la problématique psychique de la mère. (de fait je pose un diagnotic de structure pour cet enfant).

Le directeur n'a pas suivi avec ses raisons mes conseils, l'enfant est arrivé à l'école, il a de suite dit à sa maîtresse que c'est lui qui ferait la loi, les conflits sont quotidiens, la mise en danger régulière, fin septembre une équipe éducative entérine son exclusion de la cantine, et l'injonction thérapeutique est lourdement formulée par l'IEN et la psy. L'IEN demande au réseau de prendre en charge cet élève en fin de journée pour soulager la classe. (retour à la case départ).

Il me semble une fois de plus qu'aider ce n'est pas que être dans l'écoute bienveillante mais aussi dans le positionnement. Je pense (mais je peux me tromper surtout que ce n'est pas mon domaine de compétence) que cet enfant est dans une position d'objet, qu'il n'a pas pu se construire une identité, tout ce qui participe, renforce la dynamique de cet enfant à se construire dans cette structure psychotique doit être évité. Accepter son changement d'école sans lui demander le sens que cela prend pour lui, ce n'est pas de la neutralité bienveillante, c'est participer à un fonctionnement familial et institutionnel autour de l'enfant qui l'enferme.
J'ai été déjà trop long mais voilà Claire une réponse à votre question !
clairea
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Message par clairea »

A la lecture de votre réponse Patrick, de nombreuses situations me sont revenues en mémoire et toutes venaient faire echo au parcours douloureux de Robert.

Dans le cas présent, vous avez donc questionné les deux principes que vous mentionnez : l'accueil a priori et le refus d'enfermer dans un diagnostic.

Je ne crois pourtant pas que vous ayez avec Robert été en contradiction avec ces deux règles.
Votre discours n'enferme pas Robert dans un diagnostic bien que vous cibliez, à juste titre je le crains, combien la situation est pathogène et combien la position de l'institution scolaire est imbriquée dans les facteurs pathogènes.
Il y a une grande différence selon moi entre un diagnostic stérile que l'on accroche à un enfant et une objectivation de la symptomatologie et des facteurs pathogènes. Vous n'avez pas écrit que cet enfant était psychotique mais que tout ce qui pouvait renforcer la dynamique du clivage devait être évité. Il y a dans cette nuance tant de possibles que je n'y vois aucun enfermement mais une dure lucidité.

Si je vous cite :
Pire, l'orange clignote encore plus quand je me permets de formuler mes hypothèses sur un enfant exclu de la relation à l'autre par sa mère, que nous ne sommes pas confrontés à une relation enfant parent problématique mais à la problématique psychique de la mère. (de fait je pose un diagnotic de structure pour cet enfant).
Je ne lis pas un diagnostic de l'enfant mais un diagnostic de la défaillance de la relation maternante. Vous me direz, avec ce genre de mère on devient forcément fou... (je caricature biensûr) et bien sûr vous vous en doutez je suis convaincue que ce n'est pas si simple...

Et donc allons-y, cet enfant est reconnu comme handicapé du fait des troubles envahissants de la personnalités qu'il manifeste....
Quelle place va alors prendre cette parcelle de son identité dans l'économie familiale ? Cette mère va-t-elle alors renforcer son attachement à son enfant parce qu'elle se sentira compétente dans l'acte de le guérir ou va-t-elle le rejeter comme l'être imparfait qui agresse sa propre fragilité identitaire ?
L'enfant va-t-il s'apaiser dans ces angoisses identitaires grâce à cet étiquetage facile ? à defaut d'être soi il sera handicapé, ce statut en vaut-il un autre ? Ou va-t-il définitivement se révolter face à ces autres qui l'envahissent jusqu'à le définir ... et finir par attaquer définitivement ce "méchant handicapé" qui sommeille en lui.

Qui oserait prétendre avoir de réponse à ces questions ??


L'accueil a priori ne voudra jamais dire l'accueil à tout prix et certainement pas au risque d'alimenter la souffrance de l'enfant. (et de l'école)
Le déni de l'institution répond il à celui de la famille comme pour mieux enfermer cet enfant dans un réel fragmenté : école bonne ou mauvaise, mère bonne ou mauvaise, enfant aimé et abandonné à sa violence, à celle de l'institution. Il y a surement quelque chose à construire autour de cet accueil, mais cela ne peut se faire sans aménagement.

Tant de maux pour écrire une fois encore qu'il n'y a pas d'évidence et que
si nous sommes parfois destabilisés par la souffrance d'un enfant, je ne crois pas qu'il faille pour autant s'en défaire en la catégorisant.
Modifié en dernier par clairea le 10 oct. 2006 07:22, modifié 1 fois.
Pascal Ourghanlian
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Message par Pascal Ourghanlian »

Tant de maux pour écrire une fois encore qu'il n'y a pas d'évidence
Désolé, Claire, de ne pas résister à cette citation : mais que le lapsus calami est porteur de sens :wink:

Et comme il est proche des ces situations-limites dont nous parlons régulièrement, et qui interrogent nos pratiques, variées pourtant.
Cordialement,
Pascal Ourghanlian
clairea
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Message par clairea »

Ce n'était pas un lapsus ;)
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