L'enfant dans l'examen et le psychologue

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Pascal Ourghanlian
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L'enfant dans l'examen et le psychologue

Message par Pascal Ourghanlian »

Bues comme du petit lait, dans le dernier pavé de Bernard Jumel, Guide clinique des tests chez l'enfant, Dunod, 2008, pp. 3-5, ces lignes qui, me semble-t-il, éclairent d'une manière assez peu habituelle le travail du psychologue et de l'enfant, et leur rencontre singulière, autour des tests standardisés.
Deux idées auxquelles tient l'auteur, et qui en font un clinicien dont la lecture est toujours uniment roborative :
- la rencontre entre l'enfant et le psychologue est un temps et un lieu d'élaboration, de pensée à pensée,
- cette rencontre s'élabore sur et élabore des objets de culture.
L’enfant que nous recevons n’est pas un individu abstrait. Ce n’est pas l’enfant rencontré dans les étalonnages des tests. C’est un enfant pour lequel est faite une demande de consultation et d’examen. Il a anticipé la rencontre, il s’y est plus ou moins préparé, et il ne rencontre pas un monsieur qui étalonne un test, mais un psychologue, c’est-à-dire une personne préoccupée de lui.
Si les motifs de l’examen sont des problèmes d’adaptation à l’école, l’enfant est là devant le psychologue en attente d’une rencontre qu’il peut redouter parce que ses problèmes d’adaptation ne sont plus tenables. Cela lui a été signifié par ailleurs, donc il le sait - sans en être nécessairement conscient ni d’accord. Le compromis sur lequel il vit actuellement ne peut se poursuivre, il faut changer. Mais comment le faire, comment faire autrement quand la situation que l’on vous propose a toutes les chances d’accroître vos angoisses ?
[…] c’est un enfant. Nous savons que le propre de l’enfance est une dépendance à l’adulte. Et, avec Bruner, nous savons que si l’adaptation au semblable n’est pas propre à l’humain, il dispose d’une quantité de façons de « réagir à la proximité d’un congénère en aménageant un espace entre lui et nous » (Bruner). L’enfant aussi le sait et, lui, il ne l’a pas appris dans les livres. Il est seul avec l’adulte, il lui faut aménager l’espace de la relation pour la rendre moins angoissante.
Parce qu’il est en présence d’un enfant, le rôle du psychologue dans la rencontre est conforme en premier lieu au rôle de l’adulte en général : agent d’un « processus d’assistance, de collaboration entre enfant et adulte, l’adulte agissant comme médiateur de la culture » (Bruner). Et comme il témoigne naturellement sa sollicitude à l’enfant, il apporte avec lui ce qui va leur permettre à tous deux d’aménager l’espace de la relation pour la rendre moins angoissante. L’élément de culture est amené par le test. Il a subi des manipulations qui le rendent sans doute bizarre en première approche à l’enfant, différent des évaluations scolaires, mais ce sont bien des éléments de culture sur lesquels ils vont travailler ensemble, à ceci près que le psychologue ne vient pas pour l’enseigner, il vient pour apprécier la manière dont l’enfant entrera dans les divers exercices culturels qu’il lui propose et qu’il accompagnera.
La position du psychologue peut encore s’inspirer de l’auteur déjà cité. Bruner rend compte des principes qui devraient guider le tuteur dans une relation d’étayage ou d’aide. Son cinquième principe est ainsi formulé : « Il devrait y avoir une maxime du genre : ‘La résolution de problème doit être moins périlleuse ou éprouvante avec le tuteur que sans lui’ ».
La relation d’examen psychologique n’est-elle pas une relation d’étayage ? Pas au sens que le tutorat donne à ce mot. Mais parce que c’est un adulte qui est là, et parce qu’il accompagne l’enfant de sa présence dans ses réponses et dans ses tentatives de résolution de problème, l’énoncé de Bruner garde toute sa valeur. La résolution de problème sera moins périlleuse ou éprouvante avec le psychologue que sans lui.
Ces précisions sur les conditions de l’examen, son contexte non explicité - mais qui doit l’être par le clinicien - nous amènent à interroger les épreuves que nous utilisons d’une manière singulière : elles servent la relation entre l’enfant et le psychologue, elles prennent nécessairement en compte ce qui les sépare, dans l’espace de relation… Elles prennent donc en charge, en l’assumant, la différence fondamentale entre les positions de l’enfant et de l’adulte, la différence de génération […]
Les bons tests […] présentent certaines analogies avec les histoires que l’on raconte aux enfants : elles ont un début, qui délimite un cadre, dont le récit permet de prendre possession. Des éléments hétérogènes surgissent, ils créent le conflit, qui doit être dénoué. Les bons tests sont organisés par le temps. Ils scandent même pour certains, par la succession de leurs énoncés, les moments du développement de l’enfant : bien sûr ces développements concernent la pensée logique, mais cela suffit pour que le temps soit présent dans le test et puisse à un moment ou un autre s’offrir à l’enfant, quand « la résolution de problème est moins périlleuse avec le psychologue que sans lui ».
Cordialement,
Pascal Ourghanlian
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