Interrogations sur ma pratique en ITEP

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Boogie
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Interrogations sur ma pratique en ITEP

Message par Boogie »

Bonjour

Je suis en ITEP pour une deuxième année en tant qu'enseignant. J'ai les plus jeunes, les 7-10 ans. J'aime beaucoup ce travail, l'interdisciplinarité, les moments extraordinaires où se passent des choses extraordinaires en dépit des tensions et des violences. Mais je suis dans un doute profond quant à mon identité d'enseignant.

En parallèle, et pour contextualiser un peu mon questionnement, voilà ce que je peux préciser : j'ai été AVS-i cinq ans, puis ai repris des études grâce à une validation d'acquis et ai obtenu deux masters en trois ans, tout en vivant disons des difficultés économiques, sans que ce soit la misère non plus. Je touche 1100 euros, tout comme quand j'étais AVS... ce qui me fout un peu les boules, puisque j'ai quand même galéré à financer trois ans d'études (notamment pour obtenir le fameux master prof des écoles qui à peine apparu va disparaître sous les fondations des Écoles Supérieures de l’Éducation), et puisque pour occuper ce poste il faut un master.

Je suis admissible au CRPE pour la troisième fois cette année, et j'ai vraiment envie de enfin pouvoir travailler pour autre chose que pour le SMIC.

Eh oui, quand on a pas de pognon, on parle pas mal d'argent, le dévouement ça nourrit pas.

Je me sens tellement mieux dans les marges de l'EN que je souhaite rester à l'ITEP. Pour ce faire, comme il s'agit d'un établissement avec contrat simple, je me suis inscrit dans le privé.

Bref, voilà où j'en suis. Autant d'éléments qui vont peut être aider à comprendre le sens de mes interrogations.

Je prépare donc un concours où la norme du métier d'enseignant du premier degré doit se donner à voir au travers d'une "présentation de soi" irréprochable. Je n'ai jamais été bon dans cet exercice, j'y travaille pourtant depuis trois ans.

Dans les normes du métier, il y a les préparations en séquences découpées en séances, avec des objectifs et des compétences visées.

Le cœur du problème est là, pour moi : en ITEP, et bien que j'aie le sentiment d'être en classe, de faire classe et d'être un enseignant, je ne peux pas fonctionner sur la base de séquences, de programmation et d'une progression ordinaire. Enseignement simultané impossible (pour moi), groupe variant en permanence du fait des suivis thérapeutiques internes et externes et des quelques scolarisations à l'extérieur... Je boutique un fonctionnement de classe avec des outils de la pédagogie institutionnelle, avec un plan de travail de deux semaines, et des moments de collectifs au travers de jeux d'écoute et de travail de langage autour d'albums ou d'histoires.

Le grand écart entre mon travail réel, dont je ne cesse de questionner la pertinence et l'efficacité, et le travail projeté que je dois savoir prouver pour les oraux du CRPE me déstabilise beaucoup.

J'avoue de plus préférer tenir le choc en m'économisant plutôt que de travailler comme un dingue pour finir sur les rotules, pour 1 100 euros. En bref, je fais moins que si je gagnais plus, hors de question de pourrir ma vie de famille pour le SMIC.

Alors qu'est-ce que je cherche en témoignant de tout ça ici ? Des réactions de personnes qui ont un vécu similaire, ou/et qui ont des éléments à me renvoyer pour qu'on progresse un peu ensemble grâce à cet outil du forum.
"Je préfère me débarrasser des faux enchantements pour pouvoir m'émerveiller des vrais miracles." (PB)
akila m
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Re: Interrogations sur ma pratique en ITEP

Message par akila m »

Bonjour Boogie, déjà quelque temps que vous avez posté ce message.
On dirait que votre crainte est de ne pas ressembler à un "vrai" enseignant le jour des épreuves orales et d'échouer parce que vous n'avez pas l'image et les réponses que le jury attend. Bien sûr que c'est le risque... Je vous réponds juste pour vous montrer que votre message a été lu, mais si personne n'a répondu, c'est que peut-être on ne sait pas quoi vous dire.
Je vois des jeunes enseignants bien sous tous les aspects, toujours bons, qui décrochent le concours à 22 ans et qui se retrouvent dans des difficultés relationnelles avec leurs élèves inextricables car, selon moi, ils ne sont pas encore dans l'âge adulte et les enfants se mettent en rivalité avec eux, les percevant comme des pairs qui jouent à l'adulte mais ne savent pas tenir le cadre. Certains ont encore beaucoup de pertes à vivre avant de pouvoir exercer avec sérénité dans ce métier et surtout être contenants pour les élèves. J'ai même entendu des enseignants plus aguerris qui disaient ne pas se sentir adultes quand ils rentraient dans une classe de CM2 d'un quartier sensible.

D'après ce que vous nous dites, vous n'en êtes plus là. En espérant que le jury appréciera votre réflexion sur la pédagogie.
Bon courage et bonne chance
Boogie
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Re: Interrogations sur ma pratique en ITEP

Message par Boogie »

Merci de votre réponse, Akila. Une des raisons pour lesquelles personne ne répond est peut-être aussi parce que mes interrogations ne peuvent trouver de réponses ailleurs que par moi-même. Peut-être une tendance à socialiser des questions qui méritent plutôt une démarche personnelle. C'est qu'il me semble qu'il y a beaucoup plus de choses partagées que véritablement strictement individuelles, mais peut-être aussi y en a-t-il certaines qui méritent d'être abordées uniquement "en interne".

Je suis admis au CRPE cette année, pour avoir enfin trouvé la "présentation de soi" exigée par l'institution. 19 en français et AFE et 16 en maths/musique, cinquième année, troisième fois à l'oral sans dépasser 6, voilà des motifs de satisfaction. Quitter la précarité habitée depuis une douzaine d'années, la précarité de formation (je vais pouvoir accéder à la spécialisation), la précarité de salaire (quitter le SMIC!), la précarité de statut (être certain de travailler l'année suivante:).

Ce rite d'institution passé (j'ai été institué instituteur par la parole performative de personnes mandatées par l'Etat), je suis autorisé à me dire enseignant, alors que je l'étais déjà. Je ne suis pas prêt d'oublier en quoi consiste et de quoi procède le fait de vivre sous le statut de maître suppléant, tout comme vivre en étant AVS 6 ans, comme je l'ai fait aussi. Je me demande souvent comment de telles réalités sont rendues invisibles au point où elles le sont, et invisibles aussi dans presque tous les débats sur le fonctionnement de l'Ecole ou du système éducatif en général.

Entrer dans une communauté de pratique et avoir la reconnaissance symbolique des pairs, de l'institution et de l'entourage social en général : c'est ce que permet la réussite au concours. C'est juste de la magie sociale.

C'est vrai Akila que mes interrogations concernant ma pratique en ITEP ne concernent pas, ou peu, mon positionnement d'adulte et le côté relationnel avec les enfants. Plutôt comment rester enseignant dans des situations incertaines où "la classe" est une réalité plus ou moins lointaine. Comment construire petit à petit cette réalité sans s'enfermer dans des postures et des démarches plus relatives à un travail d'éducateur que d'enseignant (les différences entre les deux, au-delà des définitions formelles, étant par ailleurs la base d'une discussion intéressante). Comment être enseignant au milieu d'une équipe enseignante sans aucune formation pédagogique (une sociologue, deux psychologues) donc sans aucun territoire langagier, notionnel en commun ? Comment également rester enseignant au milieu d'une équipe de quatre éducateurs qui ne s'entendent pas, et qui pour certains ne programment rien, ne laissent aucune trace de leurs activités, ne réfléchissent pas à la progression et à l'adaptation de leur offre d'activité par rapport à là où en sont les enfants ?

Autant d'éléments d'un contexte que je n'avais pas dévoilé dans ma question. Je pense que les réponses sont à trouver du côté de l'appréhension socio-historique du champ des institutions de la rééducation, IR devenus ITEP, colonies agricoles si on remonte au XIXème siècle. Il y a une histoire à faire des institutions médico-sociales, et l'éclairage de cette histoire aiderait à comprendre. Les structures historiques sont inscrites dans les corps, et dans les postes : une excellente sociologue (Francine Muel Dreyfus) parle de "inconscient social d'un poste". Ce qu'on trouve en y arrivant, et qu'on a beaucoup de mal à comprendre.
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Re: Interrogations sur ma pratique en ITEP

Message par ludika »

Bonjour Boogie!

Voilà bien longtemps que tu as posté ce dernier message. Je viens de m'inscrire sur ce forum car je suis en Master 2 "Elèves à besoins éducatifs particuliers" et en recherche de témoignages pour un étude sur la démotivation des élèves en ITEP.

Ton histoire résonne en moi, car je suis enseignante en ITEP depuis trois années, et comme toi, je me préfère en marge de l'EN.
Comme toi, je vois des équipes éducatives plus ou moins motivées par la mise en place d'activités réfléchies et programmées.
Mais j'ai la chance de partager mes journées avec un éducateur spécialisé qui avait comme première volonté d'être instit. Je dois dire que nous avons un groupe de 10 enfants, que nous nous répartissons en deux groupes de cinq afin de mieux les accompagner. L'avantage est que nous nous aidons mutuellement ; je lui apporte des idées d'approches, d'organisation et de méthode afin que tous les élèves soient acteurs en même temps. Lui m'apporte la gestion des conflits, la réflexion sur les sanctions, etc... Et nous réfléchissons ensemble les activités afin qu'il y ait du lien entre ma salle de classe et sa salle d'activité. Mais je sais que cela tient pour beaucoup au fait qu'il soit très attaché à mettre du pédagogique dans ses activités éducatives.
Nous avançons conjointement et nous apprenons tous deux le vocabulaire de l'autre.

Il est vrai que le vocabulaire est source d'incompréhension parfois entre différents corps de métiers. Je pense au relations avec les psychologues au départ, etc... Il s'agit de faire un pas vers l'autre, d'apprendre, de questionner sans remettre en cause le point de vue de l'autre.
C'est un apprentissage qui ne se fait pas sur les bancs de l'école, mais sur le tas.
Mais les progrès sont plus faciles et rapides lorsque tout un chacun est animé d'une même dynamique et ce n'est malheureusement pas toujours le cas (en ITEP, comme ailleurs !).

Peux-tu me dire si tu t'étais présenté aussi au concours privé les deux premières fois ? :?:
Parce
que je suis comme toi (bien que je gagne davantage étant donné que je suis sur un poste du secondaire), je ne suis pas titulaire de mon poste. Il n'est d'ailleurs pas ouvert à la titularisation. Je ne sais donc pas comment faire pour rester dans cet ITEP. Une de mes collègues, titulaire, veut changer d'établissement. Elle occupe un poste du primaire. J'ai donc envie de me présenter au CRPE malgré le fait que, comme tu le dis, je ne pratique que très peu le découpage en séquences et en séances. Je travaille aussi en plan de travail bihebdomadaire, et en projets.

Merci!
Boogie
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Re: Interrogations sur ma pratique en ITEP

Message par Boogie »

Bonjour Ludika

Je lis ton message très peu de temps après que tu l'aies posté, magie des robots (il m'a envoyé un message sur ma boîte mail pour me dire que le fil de discussion avait une nouvelle réponse). Ça fait au moins deux ans que je ne suis pas venu sur le forum.

Pour répondre à tes dernières questions : je pense que tout dépend du département où tu es, et du type de contrat qu'a l'association gestionnaire de l'ITEP où tu travailles. Là où je suis instituteur (c'est un IME), c'est un contrait simple, c'est donc l'association qui recrute les enseignants, l'attribution des postes ne dépendant pas de l'IA, les postes ne paraissent pas au mouvement. Si c'est un contrat d'association, l'attribution des postes est déléguée de l'association à l'EN, et les postes paraissent au mouvement du département.

Je ne suis pas très au fait du fonctionnement du mouvement dans le public puisque je travaille dans cette étroite marge de l'enseignement privé non confessionnel, mon poste est financé par l'EN mais je ne dépends pas du public, j'ai une double appartenance institutionnelle, EN et l'institution où je travaille, dont l'asso gestionnaire est mon employeur.

Bref, je ne sais pas ce que ça veut dire quand tu évoques le fait que ton poste n'est "pas titularisable".

Sinon, j'ai passé le concours dans le privé seulement l'année où je l'ai obtenu, parce que j'avais l'intention d'aller travailler dans un établissement sous contrat simple. Les enseignants du public ne peuvent y travailler qu'en étant en disponibilité.

En tout cas content de t'avoir lu, et te souhaitant bon courage

Boogie
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ludika
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Re: Interrogations sur ma pratique en ITEP

Message par ludika »

Merci pour cette réponse rapide !
Je vois que tu as changé d'établissement au final.

Je pense suivre ton exemple le moment venu, en m'inscrivant au concours privé (le jour où ma collègue quittera son poste). Car je suis dans ton cas, c'est à dire enseignante recrutée par l'établissement ITEP rémunérée par l'EN (déléguée rectorale et donc pas titulaire). En fait les postes, que nous sommes trois à occuper, n'apparaissent nulle part au mouvement. Seules deux enseignante sont titulaires, une sur du primaire et une sur du secondaire. Seulement notre public a tendance à rajeunir et dans la perspective des unités externalisées, je pense qu'à terme, nos postes du secondaire sont amenés à disparaître et seront affectés à des enseignants du public.

Merci pour tes précisions !
Ludika
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