Intégration ?

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F. Muller
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Intégration ?

Message par F. Muller »

Ces derniers temps - est-ce la perspective de la fin de l'année et "l'heure des bilans" ? - je me trouve dans une situation bien inconfortable.
A examiner la situation de certains de mes élèves, à l'approche des synthèses et autres équipes de suivi, j'en arrive à la conclusion, pour un d'entre eux au moins, que l'UPI est maltraitante. Ce jeune - par ailleurs en IME - a obtenu sa place grâce au forcing de ses parents (lettre au ministre) et je crains de comprendre que le seul bénéfice qu'il tire de l'UPI est de faire plaisir à ses parents (c'est déjà ça, me direz-vous). Le temps passé au collège me parait être essentiellement source de souffrance. Pour ce jeune l'intégration n'est pas réalisée, ce lieu n'est même pas vecteur de socialisation et ses relations avec les collégiens vont de l'ignorance à la moquerie, en passant par l'effet mascotte et le mépris. On me rétorque qu'"il n'en souffre pas puisqu'il ne s'en rend pas compte". J'en doute. Je me sens complice de maltraitance.
Mais lorsqu'aux différents partenaires je dis la difficulté de ce jeune, et que peut-être sa place n'est pas au collège, je suis loin d'être entendue. Pire, je suis soupçonnée d'être réfractaire à la loi 2005, rejetante... Toutes choses qui par ailleurs me font penser qu'on ne pense déjà plus nos élèves en terme d'humains. Comment l'"intégration" pourrait-elle être source de souffrance puisqu'il a été décrété (légiféré) que c'était ce qu'il y a avait de mieux ?
Tout le chemin reste à faire...
Daniel Calin
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Message par Daniel Calin »

Votre courriel exprime un malaise que j'ai moi-même vivement ressenti cette année lors des visites à mes stagiaires, plus qu'à l'ordinaire encore. Je pense, plus que jamais, que, pour nombre d'élèves handicapés, la scolarisation en milieu ordinaire est un laminoir. Même en classe spécialisée - alors que j'ai longtemps pensé que c'était une bonne solution "intermédiaire" (je le pense d'ailleurs toujours pour certains élèves handicapés et à certaines conditions).

Je précise que ce n'est pas la loi de 2005 qui a décrété que la scolarisation en milieu ordinaire était préférable : elle n'a fait sur ce point que reprendre, presque mot à mot, un "idéal" déjà posé par la loi de 1975. Idéal défini in abstracto, en relation avec des principes éthiques et politiques extrêmement généralistes, sans aucune réflexion sur les besoins effectifs des élèves handicapés, leurs besoins éducatifs particuliers, selon la formule désormais en vigueur. Voir à ce sujet mon article sur La problématique de la socialisation des enfants handicapés.

Reste que ce cadre législatif et idéologique met de fait régulièrement les enseignants spécialisés en situation de complicité de maltraitance. Insupportable. Mais je ne sais pas quelle conclusion en tirer, même si ça pose à l'évidence la question de la continuation de l'exercice du métier. À chacun de décider, "en son âme et conscience".
Cordialement,
Daniel Calin
clarinette
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Message par clarinette »

Je suis moi-même choquée de la violence que je découvre dans les écoles, de la souffrance qu'elle provoque chez les enseignants, les AVS et bien sûr les enfants au nom du principe du droit à l'école et de la peur de l'exclusion (je suis AVS).

Sommes-nous des sujets pensants ou les pantins des idéologies ambiantes de la pensée unique ?
La personne handicapée n'existe-t-elle que par ses droits ?
Les droits sont-ils plus importants que les personnes ?
A en croire certains, j'ai l'impression que l'on entre dans une nouvelle religion et que si on n'est pas d'accord, on est effectivement taxée de brebis galeuse.
Où est le sujet ?
Pascal Ourghanlian
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Message par Pascal Ourghanlian »

Questions bien passionnantes que celles soulevées ici.

J'avoue avoir de moins en moins de réponses. Ou, plus exactement, avoir de plus en plus de réticences aux réponses trop générales. Ou trop particulières.

Je m'explique. La question du handicap (je passe toutes les transitions qui devraient conduire de manière nuancée à ce que j'affirme ici un peu péremptoirement), c'est la double question de la mort, d'une part, et de ce qui fonde l'humain dans l'homme, d'autre part.

Autrement dit, jusqu'où le handicap n'est pas une différence comme les autres (la couleur des cheveux ou... de la peau), mais un élément constitutif, intrinsèque, de ce qui fonde l'unité de la personne ? Et en quoi cette "différence" fait de cet autre différent un être humain de même valeur, existentiellement, que moi. J'ai tendance à penser que c'est bien nos différences qui nous rapprochent (et non nos ressemblances, qui nous poussent à chercher le même dans l'autre, dans une indifférenciation dont Narcisse est mort - il faut être deux pour être un...). Mais, dans le même temps, j'ai tendance à penser que le handicap fonde un rapport au monde essentiellement différent de l'"ordinaire". Tout, dans le rapport au monde, est changé lorsqu'on est handicapé : le regard des autres, le rapport à soi, la vie sexuelle, le chant des oiseaux - comme une exacerbation généralisée de ses ressentis propres. Je dirais volontiers : on est tous autistes quand on est handicapé, dans ce que l'on sait du rapport hyper-sensible au monde des personnes avec autisme, de leur vécu de la relation à l'autre comme terriblement périlleuse ou de leur besoin compulsif d'une position moins insécure de soi-même dans le monde. La personne sourde, troublée, en fauteuil - je crois - vit sa vie dans ce rapport-là aux êtres et aux choses.

Pour répondre à "clarinette", je crois que le sujet est là, dans ce qui le constitue qui en fait un être unique. Le problème supplémentaire, quand il s'agit d'enfants, c'est que les adultes s'arrogent le droit de penser pour lui ce qui est bon pour lui et lui assignent donc la position d’objet (sous prétexte d’objectivité…). Et de décider que l'intégration individuelle est meilleure que l'intégration collective qui est meilleure que... En projetant sur l'enfant le désir irrépressible de normalité qui est le leur.

Et c’est là que le « qui en fait un être unique » devient à son tour problématique : à ne voir que ce qui est différent, unique, on ne perçoit plus ce qui est commun, qui fait de la personne handicapée une personne comme les autres, pas seulement « en droit » (sans pluriel, ici, la « discrimination positive » posée par la loi de 2005 étant, au contraire, pourvoyeuse de droitS) mais aussi au quotidien : l’enfant avec autisme, pour se construire comme sujet, a le même besoin que l’enfant ordinaire à un « non » clairement posé, explicité et structurant, par exemple. Et la mise en avant du handicap devient alors élément d’une discrimination, pas positive du tout, celle-là (et des aventures politiques européennes, pas si éloignées dans le temps, nous rappellent que cette tentation-là est toujours vivace, et peut être réactivée par quelques bulletins de votes…).

Cette oscillation permanente entre le général et le particulier, entre le souci de chacun et la nécessité d’une réponse commune, entre l’enfant handicapé d’abord vu comme un enfant ou comme un handicapé crée une tension (une approche plus marxiste dirait une « dialectique ») qui donne à ce qu’interroge la loi de 2005 toute sa force terrible.

La mise en œuvre, c’est autre chose, qui a son importance, ô combien, mais que je ne discute pas ici (et les effets pervers de celle-ci m’apparaissent un peu plus chaque jour). La question, ici, c’est : jusqu’où je suis humain ? Jusqu’où je suis différent ? Jusqu’où je suis comme les autres ?

Bon WE ! Et que l’effet collectif de notre vote individuel de demain soit le moins désastreux possible… :cry:
Cordialement,
Pascal Ourghanlian
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