Le soin pour une enseignante en hôpital de jour

Avec des enfants présentant des troubles graves de la personnalité.
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akila m
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Le soin pour une enseignante en hôpital de jour

Message par akila m »

Avant les vacances, chaque membre de l'équipe de l'hôpital a décidé d'écrire un texte sur sa conception du soin qu'il fera parvenir à la nouvelle direction médicale pour affirmer sa volonté de ne pas obéir. Ces textes sont les fruits des groupes d'analyses de pratiques effectués avec un psychiatre qui vient d'être licencié. Ce qui peut sembler être une énumération est basé sur des situations vécues qui m'ont conduites à dégager ces idées qui me semblent fondamentales.
Je pense que cela peut intéresser tous les enseignants travaillant en ASH et les autres.

Le soin c'est de permettre à chaque enfant de retrouver des traces des souvenirs de son passage dans ma classe (donc accepter les traces, garder les objets cassés, usés, les dessins apposés n'importe comment...) la plupart recherche même quelques années après des souvenirs de leur passage comme pour vérifier qu'ils ont existé sur ce lieu, réclamant un objet, un dessin qui les a marqués.
Le soin c'est de permettre à chacun de s'inscrire dans le temps et de s'y retrouver.
Le soin c'est de préserver la continuité de la vie.
Le soin c'est de permettre à chacun d'être sous le regard d'un enseignant qui a renoncé à la réussite obligatoire.
Le soin c'est de ne plus faire refaire vivre à un enfant défaillant dans la réussite ces moments où il ressent l'exaspération d'un adulte.
Le soin c'est donc de créer un lieu classe où l'enfant pourra s'essayer à apprendre en lui enlevant le souci d'être mal regardé, inquiété par l'appréhension, l'attente et l'observation de l'enseignant. Le premier travail de l'enseignant est de travailler son propre regard sur la souffrance psychique et les échecs qu'elle peut induire.
Le soin c'est de saisir les croisements du savoir et de l'intime : saisir les moments où cela se passe permet de se réconcilier avec l'école.
Le soin c'est de préserver ce qui se passe dans la classe pour chacun comme on le fait en thérapie.
Le soin c'est de vivre les débordements de la souffrance psychique en pouvant ne pas sanctionner, faire peur, menacer.
Le soin c'est de partager, arriver à laisser voir sans honte à ces enfants notre vie psychique afin qu'ils s'appuient dessus.
Le soin c'est de se retrouver dans leurs questions.
Le soin c'est de se laisser questionner par les enfants sur notre choix d'être auprès d'eux.
Le soin c'est d'accueillir leur famille comme on le fait pour eux.
Le soin est d'oser des supports impensables.
Le soin c'est de laisser se créer une histoire entre soi et l'enfant puis de l'élargir aux autres.
Le soin c'est de laisser chacun trouver ses moyens pour ne plus être fou.
Le soin c'est de se laisser bercer, charmer par le rythme, l'originalité de la présence de ces enfants.
Le soin c'est de prendre du temps.

Les progrès ne seront que la conséquence du soin que l'on aura créé pour aborder ces enfants et non d'une programmation progressive de leur devenir.
Le soin ne peut devenir accompagnement vers la réalité de la vie (scolarisation, socialisation, évaluations, confrontation au retard, prise de conscience du handicap, renoncement) que lorsque le temps d'une découverte, d'un chemin singulier au sein de l'hôpital de jour aura ouvert une affirmation et une manifestation de soi qui permet de ne pas se retrouver vide
et déshumanisé face à des exigences qui humilient.

mescudie
akila m
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Re: Le soin pour une enseignante en hôpital de jour

Message par akila m »

SUITE ET FIN : le départ. Je l’écris en espérant que les « dirigeants » de l’association qui, je sais, vont sur ce forum puissent lire et se taisent, pour une fois.
Les départs des adultes sont banalisés : on attend le suivant, le remplaçant qui aura à vivre, à établir des relations avec les enfants en pressentant le manque de celui qui était avant (du moins un temps avant que les souvenirs ne s’installent)
Les départs forcés qui se succèdent créent une souffrance et une effervescence particulières.


Pour dire aussi que s’engager à travailler auprès de ces enfants est un engagement très personnel et que le départ de leurs soignants peut aussi être un moment de soin (soin du psychisme).
Il existe ces lieux « les hôpitaux psychiatriques » où tout est vécu à l’extrême ; les sentiments et leurs émotions ; la haine, la jalousie, l’amour, la reconnaissance, la colère, la tristesse, la joie… et même des sentiments inconnus qu’on ne sait pas nommer.
Les soignants rentrent inévitablement dans ces extrêmes et les vivent intensément souvent tous seuls puisqu’il est impensable de parler de ça dans cette institution (on peut parler d’organisation et de désorganisation à n’en plus finir ou de clinique : observation la plus objective comme si le but était de se rassurer sur notre pensée bien dans les normes en diagnostiquant tous les mêmes choses). Pourtant, la manière dont les enfants se sentent regardés et découverts par ces adultes sensés les soigner fondent une partie de leur restauration psychique.

Ainsi, la vie peut être très calme, presque endormie après cette tourmente et je pars me reposer ; un jeune m’a dit : « tu vas t'ennuyer de ne plus entendre de gros mots alors pour ton dernier repas... »

Je voulais raconter ce qui s’est passé avec les enfants avec mon départ afin de témoigner pour eux de ce qu’ils peuvent avoir à l’intérieur.

Des réactions assez violentes à l’annonce « publique » : « super » « chouette » « tant mieux » ; mais le ton n’est pas à la joie. Puis j’entends « tu nous laisses tomber comme des vieilles chaussettes » « tu pars parce qu’on est insupportable » « parce que tu aimes mieux d’autres enfants ceux de l’IME par exemple » « qui va s’occuper de nous au collège ? » « tu vas où ? » « tu parleras de nous à la personne qui va te remplacer » « si elle me gronde je la n…… »
Après avoir nommé des adultes qui ne partent pas et qui pourront servir de relais, c’est l’abandon ; tout juste si on me dit bonjour, si on ne fuit pas ma classe. On va vers qui est solide et sera là.
Les deux dernières semaines sont extraordinaires : chacun se débrouille pour trouver un moment pour me dire au revoir (et je ne peux que souhaiter à chacun de vivre cela) : l’un m’apporte une photo de lui plus petit et me demande de la photocopier pour la garder, un enfant qui ne parle pas et qui n’a jamais voulu rentrer dans la classe (c’était la classe couloir) vient et éparpille tout ce qu’il trouve (les nombres, du sable) et je n’oublie pas les yeux avec les larmes retenues et les mains sur mon épaule et beaucoup d’autres, chacun différemment.
Le dernier après-midi, montée avec trois petits très remuants (« hyperactifs » dit-on).
J’aurais aimé que quelqu’un se rende compte de mon état : la tête qui tourne est le symptôme du dernier jour.
Voilà, j’enlève mon étiquette sur la porte car je veux éviter à mon successeur de le faire devant eux (elle est encore froissée par les enfants qui l’ont arrachée il y a 4 ans de rage de m’avoir vue enlever celle de la personne qui m’a précédée). Les trois petits garçons se mettent à pleurer silencieusement. La veille des vacances, je ne suis pas fière, je fais pleurer des enfants.
Je pleure aussi. À ce moment, un adolescent entre dans la classe et nous voit. Il court chercher tout son groupe : ils veulent m’embrasser, me serrer contre eux. Et les rôles s’inversent, ils me disent que je n’ai pas à être gênée, que l’on se reverra. Je sais qu’un seul s’est caché accroupi dans un coin. À voir leur assurance, leur calme, leur compassion et leur discrétion, j’ai pensé aux moments tumultueux où leur chagrins et colères, parfois leurs coups, m’ont appris à être sans représailles, toujours essayer de comprendre. J’ai aussi pensé que ma peine et vulnérabilité leur faisaient du bien. Ils n’avaient peut-être pas pensé que des adultes pouvaient avoir du mal à se séparer d’eux, les enfants impossibles des écoles. J’ai aussi pensé à une amie qui les a quittés avec un visage impassible, sans marquer de peine et qui s’est effondrée en recommençant un travail avec d’autres enfants parce qu’il est impossible de remplacer les uns par les autres si vite.
Boogie
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Re: Le soin pour une enseignante en hôpital de jour

Message par Boogie »

merci
"Je préfère me débarrasser des faux enchantements pour pouvoir m'émerveiller des vrais miracles." (PB)
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