Maladie mentale, psychose, traits autistiques ?

Avec des enfants présentant des troubles graves de la personnalité.
sandydiams
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Maladie mentale, psychose, traits autistiques ?

Message par sandydiams »

Bonjour,

Je suis enseignante spécialisée depuis plusieurs années : j'ai auparavant enseigné en ITEP, et en CLIS. Cette année, j'ai été nommée en CLIS mais celle-ci possède une convention avec un hôpital de jour. J'avoue que je suis un peu perdue face aux termes qu'utilisent les soignants et rééducateurs : certains parlent de psychose à traits autistiques, d'autres de maladie mentale, d'autres encore de troubles envahissants de la personnalité et du développement. Quelles sont les différences ? Qu'est-ce qui va déterminer le suivi d'un enfant en hôpital de jour ? J'ai rencontré en ITEP des enfants psychotiques : n'auraient-ils pas eu davantage leur place en hôpital de jour ? L'autisme est un trouble du développement, ce qui n'est pas le cas de la psychose : pourquoi parle-t-on de psychose à traits autistiques ? Comment se développe une psychose ? Avez-vous des lectures à me conseiller pour y voir plus clair ?

D'avance merci !

Sandrine
Daniel Calin
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Re: Maladie mentale, psychose, traits autistiques ?

Message par Daniel Calin »

"maladie mentale" est une terme générique, qui désigne, assez confusément, tous les troubles psychiques sévères. Ça ne peut pas être un diagnostic.

"psychose" désigne l'ensemble de ce que nos textes réglementaires ont longtemps appelé les "troubles graves de la personnalité", chez l'enfant comme chez l'adulte. Il s'est forgé dans la psychiatrie du XIXe siècle, qui a conduit le premier effort pour approcher de façon rationnelle les maladies mentales. Ces acquis, repris par Freud, distinguent en particulier "psychoses" et "névroses".

"troubles envahissants du développement" (TED) est une expression d'introduction récente en France, même si elle est désormais très envahissante ! Elle est issue du DSM-IV, manuel de diagnostic élaboré par l'association américaine de psychiatrie, qui a l'étrange manie d'effacer systématiquement toute référence au psychique dans les formulations qu'il retient pour désigner... les troubles psychiques - ses présupposés sous-jacents étant neurologiques et génétiques. Cette expression désigne exactement les mêmes troubles que notre expression "psychoses infantiles".

On utilise l'expression "psychose à traits autistiques" pour deux raisons complémentaires :
1/ le terme "autisme" ayant été rapté par les propagandistes du neurogénétisme, on l'utilise pour prendre ses distances avec cette idéologie, pour affirmer la dimension psychique des troubles autistiques ;
2/ la psychiatrie américaine a fait un usage extrêmement large du terme "autisme", ce qui fait qu'on voit maintenant très souvent des enfants étiquetés "autistes" qui sont en réalité fort loin de la définition princeps de Kanner (blocage de toute communication, absence de langage, immutabilité) ; on utilise alors l'expression "psychose à traits autistiques" pour désigner des enfants qui ne présente que des formes partielles ou atténuées des troubles extrêmes décrits par Kanner.

Autre remarque : les enfants psychotiques n'ont pas leur place en ITEP. Les textes réglementaires définissent clairement leur public par des "troubles graves du comportement" et en excluent clairement à la fois les troubles psychotiques et les déficiences intellectuelles.

Quant à savoir "comment se développe une psychose", vous comprendrez, au vu de ce qui précède, que la question est pour le moins controversée et qu'y répondre un tant soit peu sérieusement ne relève pas de ce forum !
Cordialement,
Daniel Calin
jpoupette
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Re: Maladie mentale, psychose, traits autistiques ?

Message par jpoupette »

Je suis étudiante en psycho et je pense m'orienter vers le métier d'EJE, le sujet de l'autisme m'intéresse mais on ne l'a qu'effleuré en cours pour le moment. Je suis donc intéressée par cette discussion, et j'aimerais mieux comprendre vos explications.

Vous écrivez :
"On utilise l'expression "psychose à traits autistiques" pour deux raisons complémentaires :
1/ le terme "autisme" ayant été rapté par les propagandistes du neurogénétisme, on l'utilise pour prendre ses distances avec cette idéologie ; pour affirmer la dimension psychique des troubles autistiques ;
2/ la psychiatrie américaine a fait un usage extrêmement large du terme "autisme", ce qui fait qu'on voit maintenant très souvent des enfants étiquetés "autistes" qui sont en réalité fort loin de la définition princeps de Kanner (blocage de toute communication, absence de langage, immutabilité) ; on utilise alors l'expression "psychose à traits autistiques" pour désigner des enfants qui ne présente que des formes partielles ou atténuées des troubles extrêmes décrits par Kanner
"

Vous affirmez donc clairement l'origine psychique de l'autisme, mais pouvez-vous me dire sur quoi se fonde cette conviction ? Je suppose qu'il y a des pratiques basées dessus, qui donnent des bons résultats ? Il y a un débat que vous décrivez avec la psychiatrie américaine, est-ce que quelque chose permet de trancher, de dire qui a raison ? Cette question parce qu'en cours on n'est pas entré dans le détail et je suis restée sur ma faim !

Autre question : ces enfants étiquetés "autistes" à tort, comment faut-il les soigner ? Et si les vrais autistes de Kanner sont d'origine psychique, les autres, quelle est l'origine de leur problème, et comment faut-il appeler ce qu'ils ont ?

Merci de votre aide
Daniel Calin
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Re: Maladie mentale, psychose, traits autistiques ?

Message par Daniel Calin »

Quelques éléments de réponse seulement : j'ai déjà écrit, dans mon message précédent, que des analyses de fond dépasseraient le cadre de ce forum.

1/ D'abord, contrairement à ce que vous écrivez, je n'affirme pas l'origine psychique de l'autisme, tout simplement parce que mon message ne portait pas sur la question de l'étiologie, mais sur la description des troubles. Ce que j'affirme, c'est la nature psychique de l'autisme, ce qui est tout autre chose. Même si l'autisme et plus généralement les psychoses infantiles avaient une origine génétique ou neurologique, ce qui, pour une part au moins, n'est pas impossible, il n'en reste pas moins que ce sont des troubles profonds de l'organisation psychique, de la structuration du sujet. Ce que je refuse le plus radicalement dans le neurogénétisme, c'est l'idée simpliste qu'il peut y avoir un lien direct, univoque, mécanique, entre une atteinte organique et un trouble psychique. C'est ce "causalisme" borné que je mets avant tout en cause. Voyez, dans un autre domaine, celui des déficiences intellectuelles, le modèle aussi extraordinaire que méconnu développé par Misès dans L'enfant déficient mental (Approche dynamique). Il montre, exemples cliniques à l'appui, que les problèmes neurogénétiques les moins contestables et les plus massifs ne se traduisent pas pour autant de façon mécanique par un "taux de déficience", mais en influençant négativement la logique universelle du développement psychologique, en relation complexe avec tous les autres facteurs qui influencent le développement psychologique. Ce livre de Misès est très difficile d'accès, mais il vaut largement la peine qu'il faut se donner pour se l'approprier.

2/ Et non, il n'est pas possible de trancher, de dire qui a raison... tout simplement parce que les "sciences humaines" ne sont pas des sciences. La question de la vérité ne peut pas y être séparée de la question éthique, à savoir la question de savoir ce que l'on veut que soit l'humanité. Voir mes articles À propos des « sciences humaines » et Qu’est-ce qu’un fait psychique ?. Ceux qui prétendent le contraire ou bien sont des imbéciles (on peut parfaitement être universitaire et imbécile) ou bien sont ce que Sartre nommait des "salauds", c'est-à-dire des gens qui tentent de masquer leurs choix éthiques lamentables.

3/ La question de l'efficacité des méthodes n'est évidemment pas séparable de celle de l'objectif de chacune de ces méthodes. S'il s'agit uniquement de normaliser les conduites, d'adapter aux normes sociales, les méthodes comportementalistes sont évidemment les plus efficaces. S'il s'agit d'induire un mieux-être subjectif ou de faire évoluer l'organisation psychique, il faut évidemment se tourner vers d'autres pratiques !!! Quoi qu'en disent ses détracteurs, les patients de Bettelheim ont presque tous connu des évolutions positives, voire quelque chose qui s'approche de ce qu'on peut appeler une guérison (lisez la longue conclusion de La forteresse vide pour vous faire directement une idée de la prudence et de la subtilité de l'approche par Bettelheim des effets de son propre travail). Une autre référence, jamais évoquée par les propagandistes du comportementalisme, est Frances Tustin (Autisme et psychose de l'enfant), qui ne travaillait pas en institution, mais prenait des enfants autistes en cure intensive en cabinet privé, avec des résultats exceptionnels. En France, Geneviève Haag, qui malheureusement écrit peu, s'inspire avec bonheur de Tustin, tout en travaillant elle en institution.

4/ Les comportementalistes présentent leurs méthodes comme des méthodes éducatives. C'est confondre éducation et dressage. Voir sur mon blog l'article Dresser ou éduquer ?. Ceci posé, la seule idée que je partage avec ces gens-là est que les autistes et psychotiques ont besoin non seulement de soins (psychothérapeutiques) mais aussi d'éducation. Mais d'une authentique éducation, qui est l'accompagnement par l'adulte éducateur de l'effort de l'enfant pour se construire et s'humaniser. Je suis d'ailleurs persuadé qu'avec ces enfants profondément troublés, la distinction classique, juste en elle-même, entre éducation et thérapie ne tient pas vraiment. J'ai vu des enfants très atteints évoluer remarquablement dans un cadre uniquement "scolaire", avec seulement leur enseignant et leurs camarades de classe. Évidemment, ce qui se passait dans ces cadres avait peu à voir avec ce qu'on voit ordinairement dans les classes, et l'enseignant de la classe était certes autre chose qu'un enseignant ordinaire ! Que l'enfant ait affaire à un thérapeute ou à un enseignant, l'essentiel est qu'il bénéficie d'une relation à la fois respectueuse et porteuse, ce que le seul statut professionnel de l'adulte est évidemment loin d'assurer ! D'ailleurs, il arrive que ce soit le père ou la mère qui parvienne, au bout du compte, à jouer ce rôle déterminant d'ouverture et d'étayage au processus d'humanisation...
Cordialement,
Daniel Calin
jpoupette
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Re: Maladie mentale, psychose, traits autistiques ?

Message par jpoupette »

J'ai un peu du mal à vous suivre sur votre point 2, vous avez l'air de dire que la vérité dépend de ce qu'on veut qu'elle soit ??? Pour moi il y a forcément plusieurs possibilités, et dans le lot une est la bonne, indépendamment de ce que l'on souhaite ? Mais là on quitte l'autisme pour arriver dans la philosophie, non ?

Par ailleurs j'aimerais savoir ce que vous pensez du syndrome d'Asperger, j'ai lu le livre de Daniel Tammett "je suis né un jour bleu", n'est-il pas une variante de l'autisme ? Dans son récit il ne parle pas de psychose, par contre il dit qu'il a fait des crises d'épilepsie, est-ce que ça n'indique pas un problème au cerveau ? Est-ce que pour vous le syndrome d'Asperger est aussi une psychose ?
Daniel Calin
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Re: Maladie mentale, psychose, traits autistiques ?

Message par Daniel Calin »

Mon point 2 exprimait une idée à la fois très simple et très difficile, de façon très condensée. Mais en renvoyant à deux articles, que vous n'avez manifestement pas lus : pas étonnant que vous ayez du mal à me suivre... Je vous renvoie donc à nouveau à ces articles. Se défaire de simplismes exige toujours un effort intellectuel.

Vous écrivez : "Pour moi il y a forcément plusieurs possibilités, et dans le lot une est la bonne".
C'est ce qu'on appelle une pensée binaire. Si vous en restez là, vous êtes mûre pour le neurocomportementalisme, et nous n'aurons plus rien à nous dire, ça serait dommage, non ? :)
Là encore, vous avez un gros travail d'acculturation à faire, de Nietzsche à Morin en passant par Bachelard. On peut peut-être dire que c'est de la philo, mais on ne peut réfléchir sérieusement à rien sans en passer par là. Alors que les sciences proprement dites ont inventé depuis un siècle des formes de pensée sophistiquées comme la relativité ou la théorie du chaos, je suis toujours affligé par les modes de pensée archaïques de ceux qui prétendent faire des "sciences" humaines.
La réalité, surtout humaine, n'est pas univoque, blanche ou noire. Réfléchissez, lisez... Et, puisque vous étudiez la psychologie, commencez par vous appliquer à vous-même votre réflexion : vous, personnellement, êtes-vous vraiment aussi simple que ça, une chose et pas une autre ? Si vous répondez oui, il ne me reste plus qu'à vous conseiller de changer d'orientation dans vos études... :(

Pour ce qui est du syndrome d'Asperger, oui, évidemment, c'est une psychose. A versant autistique très prévalent en général. Souvent très proche psychiquement de l'autisme kannérien, malgré la présence d'un fonctionnement intellectuel certes distordu mais intense... Cette profonde parenté psychique entre deux troubles aussi différents par ailleurs est au fond très surprenante. Elle incite à relativiser fortement l'importance qu'on attache généralement aux "capacités intellectuelles"...

L'épilepsie est elle, sans conteste, un problème neurologique, acquis, bien connu. Son association avec des troubles psychotiques est relativement fréquente. Pour des raisons assez compréhensibles : les crises épileptiques "hachent" la continuité de la vie psychique, menacent la continuité du sentiment de sa propre existence, comme l'expliquent très clairement les adultes épileptiques par ailleurs "normaux et intelligents". C'est donc un facteur de "psychotisation". Notez d'ailleurs que l'épilepsie n'est pas toujours associée au syndrome d'Asperger, bien loin de là. Tammett est un cas particulier, comme tout être humain, d'ailleurs. Là encore, ce n'est pas blanc ou noir. On peut être, ou non, autiste et épileptique...Et bien d'autres choses...

...

En relisant ce message, je lui trouve un ton bien "docte"... :oops:
Mais après tout, de mon âge au vôtre, je peux me permettre...
En pensant à votre message avant de vous répondre, il m'était d'ailleurs venu à l'esprit qu'il vous manquait un "maître". On ne peut pas se former sérieusement sans se donner un maître. Puis un autre, pour ne pas devenir un "disciple", ce qui est bête et triste... Sans "maître", on reste au mieux un "étudiant", besogneux, sans épaisseur...
Je me suis façonné avec une galerie de maîtres, que j'ai admirés intensément, mâchonnés jusqu'à l'os, digérés en profondeur. Certains émergent toujours : Jean Rostand (dès l'âge de 14 ans), puis Camus, puis Bachelard et Morin, puis Nietzsche, puis, beaucoup plus tard, Devereux. Mais aussi, côté psychanalyse, Bettelheim, Winnicott, Fromm... Notez que Freud n'est pas dans la liste : même si je l'ai beaucoup lu et si j'ai appris pas mal de choses par lui, évidemment, je n'ai jamais eu le "coup de foudre" pour lui, il m'a "alimenté", pas "formé"...
Cordialement,
Daniel Calin
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Re: Maladie mentale, psychose, traits autistiques ?

Message par jpoupette »

Je comprends ce que vous écrivez, mais cependant vous n'avez pas éclairci tous les points sur lesquels je me pose des questions. Par exemple, quand vous dites que vous voyez arrivez en HJ des enfants étiquetés autistes mais qui ne répondent pas aux critères de Kanner, du fait des "nouveaux" critères de diagnostic avec lesquels vous n'êtes pas d'accord. Ces enfants-là, s'ils ne sont pas autistes, qu'est-ce qu'ils ont ? Et comment les aider ?
Pascal Ourghanlian
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Re: Maladie mentale, psychose, traits autistiques ?

Message par Pascal Ourghanlian »

Discussion passionnante et de haute volée... Il faudra, un jour, faire de ce forum un bouquin !

Petit clin d'oeil amusé, cependant :
- "étudiante en psycho" : le temps des "pourquoi ?"
- "EJE" : le temps du "comment ?"

Quand le parcours professionnel réemprunte les étapes de l'humanisation... :wink:
Cordialement,
Pascal Ourghanlian
Daniel Calin
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Re: Maladie mentale, psychose, traits autistiques ?

Message par Daniel Calin »

Remarque préalable : ce n'est pas sur ce fil de discussion que j'avais évoqué des arrivées "surprenantes" en hôpital de jour. Pas le même contexte, mais bon...
jpoupette a écrit :Ces enfants-là, s'ils ne sont pas autistes, qu'est-ce qu'ils ont ?
Il n'y a bien sûr pas de réponse générale à cette question. Certains sont "seulement" psychotiques, de façons diverses, mais sans aucun versant autistique. Eux au moins ont leur place en hôpital de jour, et c'est alors "seulement" un problème de terminologie. Pas négligeable cependant : on n'approche évidemment de la même façon un enfant sans langage et un enfant qui parle, ni un enfant "bunkerisé" et un enfant ouvert aux autres...

Beaucoup de ces enfants "mal étiquetés" sont surtout des enfants malmenés par la vie. Certains d'entre eux sont psychiquement dans les limites de la normalité, ce qui est souvent un exploit quand on sait ce qu'ils ont vécu. Ils relèvent plus de mesures de protection, qu'on ne leur donne pas, que de soins. D'autres sont déprimés, et on les comprend : on retrouve alors la difficile question de la distinction entre dépression réactionnelle normale et dépression pathologique. Ceux-ci, j'aurais tendance à penser qu'ils ont plus besoin de longues vacances au soleil que de soins - mais ça ne se fait pas non plus. Certains présentent des troubles du comportement, donc plutôt d'ITEP, mais avec toute la complexité de ces troubles et de leur prise en charge (voir mes articles récents sur cette question)...

Parfois, l'orientation est tout simplement incompréhensible. J'ai croisé il y a quelques années, en classe spécialisée, un enfant étiqueté (c'était écrit noir sur blanc sur sa fiche CDES), bizarrement, "enfant sauvage sans langage". Une bonne relation s'est vite instaurée entre lui et le maître de la classe. Il s'est alors avéré, non seulement qu'il parlait, mais qu'il avait un excellent niveau de langage. Ses relations avec les autres étaient plutôt bonnes, hormis des réactions de prestance un peu envahissantes, assez compréhensibles dans cette classe où il était très "décalé". C'était aussi un gamin intelligent, qui a fait de grands progrès scolaires et qui a pu intégrer assez rapidement une classe ordinaire... C'était un jeune africain, ses parents étaient des petits employés d'ambassade, pas de problème décelable. On a soupçonné un racisme rampant là d'où il venait, mais sans aucune certitude. A vrai dire, on n'a jamais compris. C'est un des exemples qui m'ont amené à penser et enseigner qu'on ne sait jamais ce qu'est un enfant "en lui-même", parce qu'un enfant, bien plus qu'un adulte, se donne à voir en fonction du contexte. Voire est ce qu'il est en fonction du contexte...
Cordialement,
Daniel Calin
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Re: Maladie mentale, psychose, traits autistiques ?

Message par jpoupette »

Je vous remercie de ces explications qui m'éclairent beaucoup.
Si je tente de résumé vos propos peut-être un peu "grossièrement", vous me dites qu'il est impossible de trancher sur le désaccord au sujet de l'autisme : psychose ou trouble de développement. Puisque c'est impossible, il faut choisir l'option qui vous semble éthiquement et philosophiquement la meilleure, soit pour vous la psychose.
Mais je me pose la question tout de même, puisque dans d'autres pays ils appliquent la notion de trouble du développement, ils ont je suppose des traitements de l'autisme qui ne sont pas ceux qu'on utilise en hôpital de Jour ?
Vous dites que le traitement de l'autisme selon les méthodes des psychanalystes que vous citez donne des résultats, mais les autres pays doivent bien aussi obtenir des bons résultats ? Sinon pourquoi eux ont-ils changé de méthode ?
Est-ce que quelqu'un a pu comparer les résultats sur les autistes, obtenus avec les deux approches ? Pour voir si par exemple, ils sortent de leur monde, se mettent à parler ? Communiquent mieux avec les autres enfants ?
Daniel Calin
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Re: Maladie mentale, psychose, traits autistiques ?

Message par Daniel Calin »

Tout d'abord, habitudes terminologiques mises à part, il ne s'agit pas d'une opposition entre "psychose" et "trouble du développement", puisque toutes les théorisations psychanalytiques sur les psychoses en font bien un "trouble du développement", une distorsion grave de la formation de la personnalité. L'opposition porte sur les explications étiologiques, et plus encore sur les méthodes de prise en charge.

Ensuite, seuls les militants du neurocomportementalisme veulent faire croire à des oppositions entre pays, avec derrière l'éternelle rengaine du "retard français". En fait, cette opposition traverse tous les pays. Il ne faut pas regarder beaucoup de films américains (sans parler de Woody Allen !) pour réaliser à quel point la psychanalyse est présente dans la culture américaine !

Sur le fond, à savoir la comparaison des résultats, j'ai déjà donné l'essentiel de la réponse, dans le point 3 de mon message du 28 juillet : les objectifs de ces deux courants n'étant pas comparables, leurs résultats ne sont pas comparables. Même quand on essaie, comme vous le faites, de poser des questions concrètes, comme "se mettre à parler" ou "communiquer avec les autres enfants", les approches demeurent peu comparables. Que veut dire "parler", "communiquer" ? Même si cela peut paraître étrange à des non professionnels, les psychanalystes et les comportementalistes n'ont pas le même conception de ces activités "banales" : les premiers privilégient le sens et l'implication du sujet, les seconds l'adaptation aux normes sociales. Personnellement, je perçois toujours les jeunes que les comportementalistes présentent comme des succès exemplaires, dans certains de leurs documents, comme des "animaux de foire", inauthentiques, pathétiques. Je reçois, à chaque fois, ces documents comme des plaidoyers, involontaires, contre ces prises en charge... Sans parler de ce que j'ai pu voir de l'état de certains jeunes passés entre les mains de ces gens-là, mais c'est "subjectif", évidemment, et en plus je risque de perdre mon calme...

Autre point : les psychanalystes travaillent avec des personnes et considèrent que ce sont l'adhésion et les appréciations de ces personnes qui donnent la mesure de leur "réussite". De plus, la complexité de leurs approches est peu compatible avec des "grilles d'évaluation". Bref, ils sont assez allergiques à ce qu'on appelle maintenant "la culture de l'évaluation". Peut-être à tort, même si je les comprends. En tous cas, ça leur porte tort.

Tout ce que je peux vous dire, c'est que j'ai vu, plutôt du côté de bons enseignants spécialisés d'ailleurs, mais c'est mon expérience professionnelle qui veut ça, des évolutions spectaculaires de certains enfants, avec de vraies paroles, de vraies communications, etc. Mais personne n'est obligé de me croire. Et les collègues avec lesquels je travaillais, étant des fonctionnaires de la République délivrés de toute visée commerciale, ne se souciaient absolument pas de faire estampiller leurs "résultats". Qu'ils ne pensaient d'ailleurs pas comme "leurs résultats", mais plutôt comme les "résultats" de leurs élèves... C'est peut-être ça, au bout du compte, la distinction fondamentale entre les comportementalistes et les autres : pour "nous autres", comme disent les Québécois, l'autre n'est jamais une matière inerte sur laquelle on travaille pour la "modifier", voire la "reprogrammer", mais le partenaire d'une relation...
Cordialement,
Daniel Calin
jpoupette
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Re: Maladie mentale, psychose, traits autistiques ?

Message par jpoupette »

Bonjour Mr Calin

Je pense m'être mal exprimée sur les oppositions entre pays. Je ne parlais pas de la présence de la psychanalyse en général, mais des méthodes de traitement de l'autisme. J'ai cherché sur internet et clairement, à l'étranger, ils font autre chose qu'en France. J'ai vu des films et des documents où le "ABA therapist" fait partie du standard chez eux. C'est le sens de ma question. C'est clair qu'aux USA il y a beaucoup de psychanalystes, moi aussi j'aime bien Woody Allen (et aussi le film avec de Niro, Mafia Blues, très drôle). Mais sur l'autisme en particulier, pourquoi sont-ils passés à autre chose ?

Ensuite, au sujet des résultats des méthodes, vous parlez des professionnels, c'est clair qu'il y a 2 points de vue inconciliables, y compris sur comment évaluer les résultats. Mais les parents des enfants autistes, qu'est-ce qu'ils en pensent ? Est-ce que ce qu'on fait en France leur convient, est-ce qu'ils sont contents de l'évolution de leur enfant ? Parce que j'ai lu aussi qu'il y en a plein qui partent en Belgique pour faire de l'ABA ou autre (Teacch ?) et du coup je m'interroge à ce sujet.

Je ne veux pas polémiquer, j'ai bien compris que ce sujet est sensible et vous tient très à cœur. Je cherche vraiment à comprendre par moi-même, à me faire mon idée, c'est pour ça que je viens sur votre forum mais aussi que je regarde sur les autres sites.
Pascal Ourghanlian
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Re: Maladie mentale, psychose, traits autistiques ?

Message par Pascal Ourghanlian »

Un autre fil de discussion sur le même thème : http://daniel.calin.free.fr/phpBB3/view ... =21&t=1365

Je redis ce que j'ai écrit souvent : on peut parfaitement comprendre les parents d'un enfant avec autisme de vouloir regagner ou préserver une partie de leur vie sociale en permettant à leur enfant, par un dressage approprié (c'est ça ABA ou TEACCH), d'être "présentable". Quiconque a approché une famille dans laquelle vit un enfant avec autisme sait ce qu'il en coûte de repli plus ou moins assumé dû au regard des autres... Et je ne nie pas que des effets secondaires positifs peuvent être induits par cette meilleure acceptation sociale.
Pour autant, sur la durée (c'est-à-dire à la mesure de la vie entière d'une personne avec autisme - nous, "éducateurs", ne les croisons jamais aussi longtemps), ce qui compte c'est bien la prise en compte de cette personne comme sujet, ayant raisonnablement prise sur elle-même, et non comme objet d'une rééducation permanente. Et ça, ABA et TEACCH seuls n'y parviennent pas, parce que la parole ou le comportement libres de la personne ne sont pas leur entrée, mais la parole et le comportement conditionnés.
Quand vous voyez un jeune de 18 ans qui, lorsqu'il s'assied sur une chaise devant une table, met trois minutes à dire : "je veux m'asseoir, je dois tirer la chaise pour l'écarter de la table, puis je dois m'asseoir sans mettre les fesses et avancer la chaise", parce qu'il a répété cette formule des milliers de fois depuis l'âge de 3 ans, ça interroge...
La "psychanalyse" (mais que met-on derrière ce terme) permet de mettre des mots sur le désir, le plaisir de faire, donc l'anticipation, la projection dans l'avenir, la durée - la temporalité de l'homme, donc, pas celle d'un robot.
Si vous consultez pleinement les sites outre-Atlantique ou belges, vous constaterez que les préconisateurs d'ABA et TEACCH estiment nécessaire, en même temps, une psychothérapie pour mettre du sens sur les objets et les actions. Les laudateurs français oublient seulement cet avertissement, et ne préconisent que forçage et conditionnement.

Le monde n'est ni noir ni blanc, il a tendance à être gris (ou en couleurs :wink: ). La seule question éthique sur laquelle il me semble nécessaire de ne jamais céder me paraît la suivante : considérer l'autre comme un autre moi-même, ne pas l'entraîner vers ce vers quoi je n'accepterais pas d'être entraîné, le considérer comme un sujet à part entière aussi estimable que moi. Cela laisse toute la place à l'apprentissage, aucune au formatage.
Cordialement,
Pascal Ourghanlian
perecastor

Re: Maladie mentale, psychose, traits autistiques ?

Message par perecastor »

Bonjour

Je suis papa d'un petit autiste, Mr Calin m'a déjà banni une fois de ce forum pour discours "politiquement incorrect" de son point de vue. Je vais donc essayer de nuancer mes propos de façon à apporter une contribution constructive ne choquant personne, même si sur le fond je crains que nos positions ne demeurent irréductibles.
Je reviens régulièrement lire ce qui se dit, et là je ne peux m'empêcher de réagir aux termes qui reviennent fréquemment, de "dressage". Vous citez quelques exemples assez extrêmes, je pense qu'effectivement on doit en trouver, étant donné que les méthodes TEACCH et ABA, mal utilisées, de façon inadaptée, peuvent faire autant de dégâts qu'elles peuvent faire du bien lorsqu'elles sont employées à bon escient par des gens compétents. Je rejoins en cela Mr Calin au sujet de l'importance du thérapeute.

Mais je ne peux pas accepter sans rien dire une vision aussi réductrice. Mon fils est pris en charge par des psychologues professionnels qui appliquent une éducation structurée, inspirée de ABA et TEACCH. Ces méthodes sont considérées comme des outils de formation à adapter à chaque enfant selon ses capacités. L'enfant n'est jamais forcé à faire quoi que ce soit contre son gré. On l'incite, on cherche à l'intéresser, à surmonter ses réticences, on le récompense (ne serait-ce que par des marques d'approbation), bref on l'éduque. Je précise aussi qu'en parallèle il fait de l'orthophonie et de la psychomotricité.

Au bout de 7 mois de prise en charge, il est plus calme (beaucoup moins de crises de colère). Il communique avec nous, il parle de mieux en mieux. Il demande spontanément des bisous et des câlins alors qu'en fin d'année dernière il nous repoussait brutalement. Hier il s'est amusé comme n'importe quel petit garçon de son âge, dans notre piscine gonflable, avec ses sœurs, en souriant, en criant "youpi" quand il jetait de l'eau en l'air. De temps en temps il réclame un jouet ("je veux l'arrosoir bleu"), et il commence à demander spontanément à aller aux toilettes.

Nous-mêmes, notre entourage, notre famille, tout le monde est sidéré de ses progrès. Personne ne trouve qu'il se conduit comme un singe savant, comme un animal dressé. Je pense que votre vision des méthodes éducatives date un peu ; avez-vous essayé de voir ce qui se fait maintenant ? Je crois savoir qu'en France il y a quelques structures agréées par l'Etat (hopital de jour, IME, sessad ou CMP) utilisant ces méthodes. Avez-vous essayé de leur rendre visite, de discuter avec eux, de voir les enfants et leurs progrès ? Avez-vous discuté avec les pédopsychiatres qui les dirigent ?

A l'inverse, notre fils n'a pas eu besoin de psychothérapie pour progresser. Si un jour, il en ressent le besoin, pourquoi pas, comme n'importe qui, autiste ou pas. Mais honnêtement s'il arrive à exprimer ce besoin, je pense sincèrement (et sans désir de fâcher) que ce sera grâce aux prises en charge actuelles.

Pour préciser un dernier point : ces prises en charge ne sont que de quelques heures par semaine. C'est adapté à son jeune âge et sa fatigabilité. Mon fils adore y aller, maintenant il réclame sa psychologue préférée et lui fait des câlins. Je peux vous dire qu'en la voyant, et après avoir lu les écrits sur ce site, que j'ai du mal à penser qu'elle mérite le terme de "neurofasciste".

En conclusion, le TEACCH et l'ABA, appliquées correctement et sans excès par des gens compétents, sont des techniques éducatives, pas du dressage. Les enfants qui en bénéficient progressent vers plus d'autonomie et d'intégration dans la société, ce qui est bien à ma connaissance le but de l'éducation. Je tiens à préciser que les autres parents dont les enfants sont pris en charge dans la même structure sont du même avis (sinon ils n'y auraient pas laissé leurs enfants). Et personne n'est fasciste là-dedans ; la personne responsable de la structure a même expliqué aux parents (dont certains avaient enlevé leur enfant de l'hôpital de jour) l'importance de faire suivre leur enfant par un pédopsychiatre compétent, de façon entre autres à lui permettre de gérer ses angoisses, les enfants autistes étant facilement angoissés par le monde qu'ils on du mal à comprendre.

J'espère que vous saurez répondre à ce message, qui se veut une tentative de conciliation sans colère et sans invective. Dans l'intérêt des enfants.
Daniel Calin
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Re: Maladie mentale, psychose, traits autistiques ?

Message par Daniel Calin »

Pour en revenir à la question de ce qui se passe à l'étranger concernant l'autisme, le Web francophone donne une image totalement déformée, du fait de la présence massive des partisans du comportementalisme. Des sites "non alignés" ont été fermés par leurs auteurs suite à des menaces professionnelles. J'ai moi-même reçu une menace de mort suite à la publication de mon article La question de l’autisme, pourtant modéré. On est dans un domaine où règne une forme de terrorisme intellectuel (il y en a d'autres). La bibliographie que j'ai publiée sur Autisme et psychose chez l’enfant et l’adolescent doit être la seule sur le Web à recenser tous les livres francophones sur le sujet, y compris les plus absurdes ou les plus insupportables, de quelque courant qu'ils relèvent. Elle est du coup très consultée - et pas seulement depuis la France. Même mes "ennemis" m'aident à la tenir à jour !!!

Pour savoir ce qui se passe réellement à l'étranger, il faut soit sortir de la langue française (comme Pascal), soit aller voir sur place. C'est pourquoi je maintiens que les pratiques d'inspiration psychanalytique n'ont été nulle part abandonnées, que les autres pays connaissent, à des degrés divers, les mêmes divergences théoriques et pratiques que nous. C'est bien cela que je voulais dire.

Pour ce qui est des parents, c'est le même problème. Ceux qui ne sont pas "dans la ligne" ont le plus grand mal à s'exprimer. Il est d'ailleurs probable qu'une partie d'entre eux en éprouvent moins vitalement le besoin. Lisez quand même Sortir de l'autisme, de Jacqueline Berger (Buchet-Chastel, 2007), un des très rares ouvrages de parent qui fasse autre chose que ressasser la vulgate neurocomportementaliste.

Le recours à la Belgique est un phénomène plus complexe que ne le donnent à croire les zélotes du comportementalisme. D'abord il ne concerne pas que l'autisme. Une bonne part des jeunes Français placés en Belgique sont des polyhandicapés, ce qui ne s'explique par aucun écart des pratiques, mais tout bêtement par un manque criant de places en France, dénoncé de longue date par les associations concernées (en particulier l'ADEPO). Pour ce qui est de l'autisme, nombre d'institutions en France proposent des prises en charge comportementalistes, souvent ouvertes, d'ailleurs, par les parents militants de cette orientation. Mais pas seulement : diverses institutions s'y sont mises, pour diverses raisons, assez souvent sous la forme "mixte" évoquée par Pascal (Pierre Delion, psychiatre et psychanalyste, est typique de ce courant).
Cordialement,
Daniel Calin
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