La planète "dys-" - encore...
Posté : 02 mars 2007 09:54
Le 21 février dernier, l'INSERM "rénové" (à la suite du calamiteux rapport sur les troubles de la conduite qui avait conduit aux dérapages sarkoziens que l'on connaît et à la réaction virulente, et justifiée, de "Pas de zéro de conduite") faisait paraître un rapport sur les "dys-", exactement intitulé "Dyslexie, dysorthographie, dyscalculie : Bilan des données scientifiques".
La synthèse est là : http://ist.inserm.fr/basisrapports/dysl ... nthese.pdf .
Le rapport complet ici : http://ist.inserm.fr/basisrapports/rapp_lst.html
Le Café pédagogique fait une lecture critique de cette synthèse : http://www.cafepedagogique.net/lexpress ... ssage.aspx à laquelle répondent ceux qui signent "Les auteurs de l’expertise collective de l’INSERM « Dyslexie, dysorthographie, dyscalculie : Bilan des données scientifiques »", en fait, semble-t-il, une réponse de Franck Ramus qui s'est déjà fait remarquer pour ses prises de positions dans le précédent débat sur la lecture.
François Jarraud, le responsable du Café, répond à son tour ceci, que je vous livre un peu longuement, et qui me ravit - voir ce que Jacques Fijalkow, naguère, écrivait dans "Dyslexie, le retour" : http://daniel.calin.free.fr/dyslexie.doc (c'est moi qui souligne) :
"Pour autant nous avons un désaccord fondamental avec F. Ramus. Ce qu'il nous dit c'est qu'une fois que les neurosciences ont parlé, les enseignants doivent non seulement se taire mais appliquer une pédagogie unique fruit des travaux de laboratoire. Or pour nous la science n'est pas là pour clore les débats mais au contraire pour les nourrir.
Les travaux des auteurs du rapport ne doivent assurément pas être négligés et ils sont porteurs d'enseignement dans le cadre précis qui les définit. Pour autant ils ne nous paraissent pas répondre d'une part à la variété des cas évoqués dans le rapport (va pour la dyslexie, mais la dysorthographie et de la dyscalculie restent encore à définir précisément), d'autre part à la variété des situations que rencontre le maître en classe face aux difficultés d'apprentissage. Face à un élève qui fait des fautes d'orthographe ou qui a du mal à calculer, il y a mille facteurs qui peuvent expliquer cela et mille approches pédagogiques possibles. Nous ne reconnaissons pas aux neurosciences le monopole de la parole et de la méthode. C'est ce que nous avons dit en estimant que ce rapport associait "une grande rigueur scientifique et un éclairage borné". Nous avons montré que certains raisonnements portés dans le rapport, quand ils quittaient le champ des neurosciences, étaient peu rigoureux.
Il nous semble que les sciences sociales, les sciences de l'éducation ont aussi leur mot à dire dans ce débat sur les apprentissages et qu'elles ont été écartées du rapport sans motif objectif. C'est particulièrement fâcheux pour un rapport que l'on présente comme un "bilan". Il s'agit sans doute d'un bilan pour les neurosciences. Et il ne faut pas le sous-estimer. Pas d'un bilan à propos des troubles d'apprentissage".
Les troubles des apprentissages existent, je les ai rencontrés en tant que référent - dans les quelques rares cas où aucune autre hypothèse explicative ne peut être posée et que les éléments apportés par les bilans hospitaliers sont convergents. Ils sont alors un handicap avéré (et le plus souvent reconnu par la MDPH). Au-delà des rééducations et des prises en charge extérieures "habituelles", leur prise en compte conduit les maîtres à adapter leur pédagogie aux fonctionnements des gamins considérés.
Ce qui n'est jamais, me semble-t-il, qu'une définition basique de la pédagogie...
Médicalisons, médicalisons, il en restera toujours quelque chose... Et si on ne le faisait qu'à bon escient ? Et si on ne renvoyait pas toujours à l'extérieur de la classe l'accompagnement que ces gamins nécessitent ? Et si on rendait aux maîtres la possibilité d'exercer ce pour quoi ils sont payés, et qu'ils font, bon an mal an, correctement : donner la possibilité, à tous leurs élèves, d'apprendre juste au-delà de là où ils en sont (la fameuse ZPD de Vygotski) en aménageant les conditions d'enseignement/apprentissage pour qu'ils y parviennent ?
Au fait, n'oubliez pas de prendre votre cachet, après cette diatribe
Deuxième correction de ma part, par une citation extraite de la lecture que Philippe Meirieu fait de ce rapport qui met en cause une pédagogie prônée exclusivement de remédiation individuelle cognitive :
" 1) la remédiation érigée en principe pédagogique absolu renvoie toujours à une recherche des causes en amont qui, le plus souvent, conduit au biologique, parce que ce dernier est, tout simplement, aujourd’hui « l’amont absolu » (ce n’était pas le cas dans une société animiste ou religieuse) ;
2) cette « biologisation » clairement exprimée ou euphémisée conduit systématiquement à l’élaboration de typologies dont les effets d’assignation et d’enfermement sont bien connus par ailleurs ; l’histoire montre que ces typologies sont toujours remises en question et que c’est par leur subversion que les pratiques pédagogiques progressent ;
3) la considération des troubles sous l’angle exclusivement endogène (à partir de « troubles primaires dont l’origine apparaît indépendante de l’environnement socioculturel ») a pour conséquence systématique de négliger toutes les interactions sociales, familiales, des pairs, dans les institutions éducatives ;
4) en procédant ainsi, on paralyse ou discrédite toute inventivité et toute recherche rigoureuse sur ces interactions, en particulier, dans l’acte pédagogique ; j’ai montré, pour ma part, le caractère radicalement hétérogène des « solutions » efficaces en pédagogie, au regard de l’analyse des causes des difficultés ;
5) au bout du compte, c’est toujours la pathologisation de la difficulté scolaire qui se profile, avec un dessaisissement des enseignants et un surinvestissement des personnels de santé très spécialisés ;
6) dans le cas d’espèce, cette pathologisation se réduit à une approche cognitive qui, malgré ses dénégations, isole un segment dans l’individu quand elle prétend le traiter dans sa globalité ;
7) cet isolement permet de faire passer au second plan de graves dysfonctionnements sociaux qui sont ainsi exonérés de toute responsabilité ;
8 ) dans la conjoncture actuelle, cette démarche se traduit par la chaîne « repérage–dépistage–diagnostic–prise en charge » ; il est à craindre que cela corresponde à une dérive de notre société qui, au lieu de mettre en place des situations susceptibles de favoriser les apprentissages, propose un marché du « soutien » et de la « remédiation » qui, à terme, devrait être médicalisé et remboursé par les mutuelles de santé ;
9) cela provoquera inévitablement une marginalisation des sujets ainsi traités et renforcera les forces centrifuges déjà à l’œuvre dans notre société".
Troisième correction de ma part : voir ma réaction, sur le même sujet, sur le site de Philippe Meirieu : http://www.meirieu.com/reactionsblocnotes.htm
La synthèse est là : http://ist.inserm.fr/basisrapports/dysl ... nthese.pdf .
Le rapport complet ici : http://ist.inserm.fr/basisrapports/rapp_lst.html
Le Café pédagogique fait une lecture critique de cette synthèse : http://www.cafepedagogique.net/lexpress ... ssage.aspx à laquelle répondent ceux qui signent "Les auteurs de l’expertise collective de l’INSERM « Dyslexie, dysorthographie, dyscalculie : Bilan des données scientifiques »", en fait, semble-t-il, une réponse de Franck Ramus qui s'est déjà fait remarquer pour ses prises de positions dans le précédent débat sur la lecture.
François Jarraud, le responsable du Café, répond à son tour ceci, que je vous livre un peu longuement, et qui me ravit - voir ce que Jacques Fijalkow, naguère, écrivait dans "Dyslexie, le retour" : http://daniel.calin.free.fr/dyslexie.doc (c'est moi qui souligne) :
"Pour autant nous avons un désaccord fondamental avec F. Ramus. Ce qu'il nous dit c'est qu'une fois que les neurosciences ont parlé, les enseignants doivent non seulement se taire mais appliquer une pédagogie unique fruit des travaux de laboratoire. Or pour nous la science n'est pas là pour clore les débats mais au contraire pour les nourrir.
Les travaux des auteurs du rapport ne doivent assurément pas être négligés et ils sont porteurs d'enseignement dans le cadre précis qui les définit. Pour autant ils ne nous paraissent pas répondre d'une part à la variété des cas évoqués dans le rapport (va pour la dyslexie, mais la dysorthographie et de la dyscalculie restent encore à définir précisément), d'autre part à la variété des situations que rencontre le maître en classe face aux difficultés d'apprentissage. Face à un élève qui fait des fautes d'orthographe ou qui a du mal à calculer, il y a mille facteurs qui peuvent expliquer cela et mille approches pédagogiques possibles. Nous ne reconnaissons pas aux neurosciences le monopole de la parole et de la méthode. C'est ce que nous avons dit en estimant que ce rapport associait "une grande rigueur scientifique et un éclairage borné". Nous avons montré que certains raisonnements portés dans le rapport, quand ils quittaient le champ des neurosciences, étaient peu rigoureux.
Il nous semble que les sciences sociales, les sciences de l'éducation ont aussi leur mot à dire dans ce débat sur les apprentissages et qu'elles ont été écartées du rapport sans motif objectif. C'est particulièrement fâcheux pour un rapport que l'on présente comme un "bilan". Il s'agit sans doute d'un bilan pour les neurosciences. Et il ne faut pas le sous-estimer. Pas d'un bilan à propos des troubles d'apprentissage".
Les troubles des apprentissages existent, je les ai rencontrés en tant que référent - dans les quelques rares cas où aucune autre hypothèse explicative ne peut être posée et que les éléments apportés par les bilans hospitaliers sont convergents. Ils sont alors un handicap avéré (et le plus souvent reconnu par la MDPH). Au-delà des rééducations et des prises en charge extérieures "habituelles", leur prise en compte conduit les maîtres à adapter leur pédagogie aux fonctionnements des gamins considérés.
Ce qui n'est jamais, me semble-t-il, qu'une définition basique de la pédagogie...
Médicalisons, médicalisons, il en restera toujours quelque chose... Et si on ne le faisait qu'à bon escient ? Et si on ne renvoyait pas toujours à l'extérieur de la classe l'accompagnement que ces gamins nécessitent ? Et si on rendait aux maîtres la possibilité d'exercer ce pour quoi ils sont payés, et qu'ils font, bon an mal an, correctement : donner la possibilité, à tous leurs élèves, d'apprendre juste au-delà de là où ils en sont (la fameuse ZPD de Vygotski) en aménageant les conditions d'enseignement/apprentissage pour qu'ils y parviennent ?
Au fait, n'oubliez pas de prendre votre cachet, après cette diatribe
Deuxième correction de ma part, par une citation extraite de la lecture que Philippe Meirieu fait de ce rapport qui met en cause une pédagogie prônée exclusivement de remédiation individuelle cognitive :
" 1) la remédiation érigée en principe pédagogique absolu renvoie toujours à une recherche des causes en amont qui, le plus souvent, conduit au biologique, parce que ce dernier est, tout simplement, aujourd’hui « l’amont absolu » (ce n’était pas le cas dans une société animiste ou religieuse) ;
2) cette « biologisation » clairement exprimée ou euphémisée conduit systématiquement à l’élaboration de typologies dont les effets d’assignation et d’enfermement sont bien connus par ailleurs ; l’histoire montre que ces typologies sont toujours remises en question et que c’est par leur subversion que les pratiques pédagogiques progressent ;
3) la considération des troubles sous l’angle exclusivement endogène (à partir de « troubles primaires dont l’origine apparaît indépendante de l’environnement socioculturel ») a pour conséquence systématique de négliger toutes les interactions sociales, familiales, des pairs, dans les institutions éducatives ;
4) en procédant ainsi, on paralyse ou discrédite toute inventivité et toute recherche rigoureuse sur ces interactions, en particulier, dans l’acte pédagogique ; j’ai montré, pour ma part, le caractère radicalement hétérogène des « solutions » efficaces en pédagogie, au regard de l’analyse des causes des difficultés ;
5) au bout du compte, c’est toujours la pathologisation de la difficulté scolaire qui se profile, avec un dessaisissement des enseignants et un surinvestissement des personnels de santé très spécialisés ;
6) dans le cas d’espèce, cette pathologisation se réduit à une approche cognitive qui, malgré ses dénégations, isole un segment dans l’individu quand elle prétend le traiter dans sa globalité ;
7) cet isolement permet de faire passer au second plan de graves dysfonctionnements sociaux qui sont ainsi exonérés de toute responsabilité ;
8 ) dans la conjoncture actuelle, cette démarche se traduit par la chaîne « repérage–dépistage–diagnostic–prise en charge » ; il est à craindre que cela corresponde à une dérive de notre société qui, au lieu de mettre en place des situations susceptibles de favoriser les apprentissages, propose un marché du « soutien » et de la « remédiation » qui, à terme, devrait être médicalisé et remboursé par les mutuelles de santé ;
9) cela provoquera inévitablement une marginalisation des sujets ainsi traités et renforcera les forces centrifuges déjà à l’œuvre dans notre société".
Troisième correction de ma part : voir ma réaction, sur le même sujet, sur le site de Philippe Meirieu : http://www.meirieu.com/reactionsblocnotes.htm