La planète "dys-" - encore...

Questions concernant la politique générale et l'organisation générale des enseignements spécialisés.
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Pascal Ourghanlian
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La planète "dys-" - encore...

Message par Pascal Ourghanlian »

Le 21 février dernier, l'INSERM "rénové" (à la suite du calamiteux rapport sur les troubles de la conduite qui avait conduit aux dérapages sarkoziens que l'on connaît et à la réaction virulente, et justifiée, de "Pas de zéro de conduite") faisait paraître un rapport sur les "dys-", exactement intitulé "Dyslexie, dysorthographie, dyscalculie : Bilan des données scientifiques".
La synthèse est là : http://ist.inserm.fr/basisrapports/dysl ... nthese.pdf .
Le rapport complet ici : http://ist.inserm.fr/basisrapports/rapp_lst.html

Le Café pédagogique fait une lecture critique de cette synthèse : http://www.cafepedagogique.net/lexpress ... ssage.aspx à laquelle répondent ceux qui signent "Les auteurs de l’expertise collective de l’INSERM « Dyslexie, dysorthographie, dyscalculie : Bilan des données scientifiques »", en fait, semble-t-il, une réponse de Franck Ramus qui s'est déjà fait remarquer pour ses prises de positions dans le précédent débat sur la lecture.

François Jarraud, le responsable du Café, répond à son tour ceci, que je vous livre un peu longuement, et qui me ravit - voir ce que Jacques Fijalkow, naguère, écrivait dans "Dyslexie, le retour" : http://daniel.calin.free.fr/dyslexie.doc (c'est moi qui souligne) :

"Pour autant nous avons un désaccord fondamental avec F. Ramus. Ce qu'il nous dit c'est qu'une fois que les neurosciences ont parlé, les enseignants doivent non seulement se taire mais appliquer une pédagogie unique fruit des travaux de laboratoire. Or pour nous la science n'est pas là pour clore les débats mais au contraire pour les nourrir.

Les travaux des auteurs du rapport ne doivent assurément pas être négligés et ils sont porteurs d'enseignement dans le cadre précis qui les définit. Pour autant ils ne nous paraissent pas répondre d'une part à la variété des cas évoqués dans le rapport (va pour la dyslexie, mais la dysorthographie et de la dyscalculie restent encore à définir précisément), d'autre part à la variété des situations que rencontre le maître en classe face aux difficultés d'apprentissage. Face à un élève qui fait des fautes d'orthographe ou qui a du mal à calculer, il y a mille facteurs qui peuvent expliquer cela et mille approches pédagogiques possibles. Nous ne reconnaissons pas aux neurosciences le monopole de la parole et de la méthode. C'est ce que nous avons dit en estimant que ce rapport associait "une grande rigueur scientifique et un éclairage borné". Nous avons montré que certains raisonnements portés dans le rapport, quand ils quittaient le champ des neurosciences, étaient peu rigoureux.

Il nous semble que les sciences sociales, les sciences de l'éducation ont aussi leur mot à dire dans ce débat sur les apprentissages et qu'elles ont été écartées du rapport sans motif objectif. C'est particulièrement fâcheux pour un rapport que l'on présente comme un "bilan". Il s'agit sans doute d'un bilan pour les neurosciences. Et il ne faut pas le sous-estimer. Pas d'un bilan à propos des troubles d'apprentissage
".

Les troubles des apprentissages existent, je les ai rencontrés en tant que référent - dans les quelques rares cas où aucune autre hypothèse explicative ne peut être posée et que les éléments apportés par les bilans hospitaliers sont convergents. Ils sont alors un handicap avéré (et le plus souvent reconnu par la MDPH). Au-delà des rééducations et des prises en charge extérieures "habituelles", leur prise en compte conduit les maîtres à adapter leur pédagogie aux fonctionnements des gamins considérés.

Ce qui n'est jamais, me semble-t-il, qu'une définition basique de la pédagogie...

Médicalisons, médicalisons, il en restera toujours quelque chose... Et si on ne le faisait qu'à bon escient ? Et si on ne renvoyait pas toujours à l'extérieur de la classe l'accompagnement que ces gamins nécessitent ? Et si on rendait aux maîtres la possibilité d'exercer ce pour quoi ils sont payés, et qu'ils font, bon an mal an, correctement : donner la possibilité, à tous leurs élèves, d'apprendre juste au-delà de là où ils en sont (la fameuse ZPD de Vygotski) en aménageant les conditions d'enseignement/apprentissage pour qu'ils y parviennent ?

Au fait, n'oubliez pas de prendre votre cachet, après cette diatribe :wink:

Deuxième correction de ma part, par une citation extraite de la lecture que Philippe Meirieu fait de ce rapport qui met en cause une pédagogie prônée exclusivement de remédiation individuelle cognitive :
" 1) la remédiation érigée en principe pédagogique absolu renvoie toujours à une recherche des causes en amont qui, le plus souvent, conduit au biologique, parce que ce dernier est, tout simplement, aujourd’hui « l’amont absolu » (ce n’était pas le cas dans une société animiste ou religieuse) ;
2) cette « biologisation » clairement exprimée ou euphémisée conduit systématiquement à l’élaboration de typologies dont les effets d’assignation et d’enfermement sont bien connus par ailleurs ; l’histoire montre que ces typologies sont toujours remises en question et que c’est par leur subversion que les pratiques pédagogiques progressent ;
3) la considération des troubles sous l’angle exclusivement endogène (à partir de « troubles primaires dont l’origine apparaît indépendante de l’environnement socioculturel ») a pour conséquence systématique de négliger toutes les interactions sociales, familiales, des pairs, dans les institutions éducatives ;
4) en procédant ainsi, on paralyse ou discrédite toute inventivité et toute recherche rigoureuse sur ces interactions, en particulier, dans l’acte pédagogique ; j’ai montré, pour ma part, le caractère radicalement hétérogène des « solutions » efficaces en pédagogie, au regard de l’analyse des causes des difficultés ;
5) au bout du compte, c’est toujours la pathologisation de la difficulté scolaire qui se profile, avec un dessaisissement des enseignants et un surinvestissement des personnels de santé très spécialisés ;
6) dans le cas d’espèce, cette pathologisation se réduit à une approche cognitive qui, malgré ses dénégations, isole un segment dans l’individu quand elle prétend le traiter dans sa globalité ;
7) cet isolement permet de faire passer au second plan de graves dysfonctionnements sociaux qui sont ainsi exonérés de toute responsabilité ;
8 ) dans la conjoncture actuelle, cette démarche se traduit par la chaîne « repérage–dépistage–diagnostic–prise en charge » ; il est à craindre que cela corresponde à une dérive de notre société qui, au lieu de mettre en place des situations susceptibles de favoriser les apprentissages, propose un marché du « soutien » et de la « remédiation » qui, à terme, devrait être médicalisé et remboursé par les mutuelles de santé ;
9) cela provoquera inévitablement une marginalisation des sujets ainsi traités et renforcera les forces centrifuges déjà à l’œuvre dans notre société
".

Troisième correction de ma part : voir ma réaction, sur le même sujet, sur le site de Philippe Meirieu : http://www.meirieu.com/reactionsblocnotes.htm
Cordialement,
Pascal Ourghanlian
alainl
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Re: La planète "dys-" - encore...

Message par alainl »

Déjà en 2007 ... décidément, je suis toujours en retard d'une "guerre" :roll: ... j'étais pourtant sûr que le débat avait été lancé sur ce forum ... je n'avais pas su trouver où ... mais où en sommes-nous aujourd'hui ???

Juste encore un petit mot pour dire combien le texte DYSLEXIE : LE RETOUR de Jacques Fijalkow me parait caricatural, outrancier et à la limite sectaire ... et à quel point il m'agresse en tant qu'enseignant lorsqu'il dit :
"Les enseignants eux-mêmes, si nous pouvons généraliser à partir de nos rencontres personnelles, semblent soit dépassés par ces mesures, considérant comme leurs syndicats qu'il s'agit de querelles d'experts dépassant leurs compétences professionnelles (cf. l'autorité du discours médical), soit, pour une minorité sans doute, penser que passer le relais à l'orthophoniste présente des avantages ergonomiques certains. L'avenir nous dira peut-être si l'accroissement soudain de clientèle dite « dyslexique », déjà remarquée et critiquée par une minorité d'orthophonistes scrupuleux et vigilants, constitue un phénomène général. "
(autre question ... pourquoi le rapport de l'Inserm n'est-il plus accessible :?: )
" Du fond de son puits, le crapaud s'imagine que le ciel est rond ... "
(pensée chinoise)

alain l.
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Re: La planète "dys-" - encore...

Message par alainl »

Je sais qu'il n'est politiquement pas correct de "s'auto-répondre" sur un forum ... mais je souhaitais que ce message soit différencié du précédent ...
Je voudrais donc vous livrer cet extrait d'un article d'Ariel Conte, président de Coridys pour l'ADOSEN ... :

" Quels messages souhaiteriez-vous transmettre à nos lecteurs et plus particulièrement au personnel scolaire qui peuvent avoir un enfant "dys " dans leur classe ?

AC: Ce que les enseignants vont devoir apprendre et expérimenter avec un élève souffrant de Handicap Cognitif, va leur servir rapidement pour beaucoup d'autres élèves en difficulté. Vous savez à quel point rendre la ville accessible aux personnes à mobilité réduite, change la vie des personnes âgées et des parents avec des enfants en bas âge . Il en sera de même dans le domaine du Handicap Cognitif: on va observer de profondes mutations dans notre système éducatif et notre société en général. J'entends encore souvent des enseignants dire, en parlant des élèves souffrant de handicap Cognitif : " Si c'est médical, ça ne nous concerne pas " . Je voudrais leur dire qu'il n'y a aucune raison que les connaissances sur le fonctionnement du cerveau et sur les mécanismes cognitifs soient réservés aux médecins. Il est urgent que les enseignants s'approprient ces savoirs en plein développement. Ils sont indispensables à l'exercice de leur métier. De toute façon, si l'école ne fait pas sa part de travail, le système de santé ne pourra pas suivre . "


Pour lire le document complet de l'interview d'Ariel Conte et sans arrière-pensée de publicité pour Coridys ... ( l'ouverture du fichier est un peu longue ... mais chez moi ça fonctionne... ) :
http://www.archive-host.com/files/74376 ... _10_09.pdf
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leonieleo
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Re: La planète "dys-" - encore...

Message par leonieleo »

Peut-être êtes-vous acquis aux théories que seules les neurosiences peuvent apporter une réponse aux problèmes d'élèves qui ne savent pas lire au CE2 mais qui ne sont pas identifiés avec un trouble ?
Pourquoi la pédagogie différenciée ne suffirait-elle pas ? Et en quoi les neurosciences apportent-elles une réponse univoque et non un supplément d'aide ?
daniele
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Re: La planète "dys-" - encore...

Message par daniele »

c'est pas les neurosciences en tant que science mais les luttes de pouvoir et d'égos surdimensionnés qui m'énervent.
Il suffit d'observer le fonctionnement des médecins scolaires qui, médicalisation oblige, ont en charge les dys et peuvent mettre leur véto sur d'éventuels bilans complémentaires mais passent commande de QI en s'adressant à l'école : "dites au psy qu'il faut un QI " quand ils ne disent pas carrément que l'enfant est déficient.
Si le psy a travaillé avant avec la famille et a engagé des démarches, tant pis, le médecin est aussi psy allons, il n'est pas intéressé par l'analyse du testeur.
Moi c'est ce que je vis depuis des années.
Daniel Calin
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Re: La planète "dys-" - encore...

Message par Daniel Calin »

En fait, on est assez loin de simples "querelles d'ego", insupportables, mais sans intérêt. On est dans le politique au sens fort, dans le pouvoir médical et ses fortes accointances avec la droite la plus épaisse. Sur le point que vous soulevez, "le médecin est aussi psy allons", ça a l'air d'une plaisanterie, mais en réalité c'est inscrit dans le Code de la santé publique depuis le fameux amendement Accoyer, qui dispense d'inscription au "registre national des psychothérapeutes"... "les titulaires d’un diplôme de docteur en médecine". Donc, tout médecin est ipso facto psychothérapeute habilité par l'État !!! La pratique des psychologues scolaires se heurte ainsi à un choix politique, obstinément assumé comme tel, malgré toutes les levées de boucliers qu'il a suscitées. Et on n'est pas sorti de l'auberge : si vous connaissez une des têtes d'affiche de la "gauche" qui se serait engagée sur l'abrogation de l'amendement Accoyer, faites-moi signe !
Cordialement,
Daniel Calin
daniele
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Re: La planète "dys-" - encore...

Message par daniele »

Monsieur Calin,
Ce qui est insupportable n'est jamais sans intérêt, en particulier quand cet insupportable nuit de fait. En sociologie des organisations, il y a le formel et l'informel dont les aménagements créent les marges de liberté, des zones d'incertitude. Lorsque tout se détermine dans ces zones d'incertitude, au gré des abus de pouvoir (je parle du pouvoir de compétence), que devient le système ? La somme des éléments est bien plus que le tout. L'élémentaire, quand il est récurrent, me semble donc digne d'intérêt. C'est d'ailleurs à ce niveau que se situe ma résistance.
Quant à la question de l'ego, elle me semble essentielle quand on a affaire à de l'humain. Pour finir par une plaisanterie, vous aurez compris que c'est une manière de défoulement chez moi, j'ajouterai que je suis encore obligée de le surveiller, moi, mon ego, même après 20 ans de psychologie scolaire.
Merci de l'information mais l'habit ne fait pas le moine n'est-ce pas ?
clairea
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Re: La planète "dys-" - encore...

Message par clairea »

Quand j'essaye de penser ce mouvement dans sa globalité, il me semble se réduire à une pulsion d emprise.

Il est, pour en faire l'expérience dans ma pratique de psychologue, très difficile d'être dans une position d'humilité face à l'autre qui vous aborde pourtant comme un sujet plus que savant...
Les neurosciences sont basées sur un idéal d'objectivation du sujet humain et de sa pensée... Si on en fait un objet, on peut le mesurer, l'évaluer et le réparer.
En arrière plan, cette objectivation nie l'inconscient... cela va de soi.
Toutes les TCC sont basées sur un contrat thérapeutique qui est en opposition complète avec une position clinique qui s'inspire de l’enseignement freudien.
Relisez les 4 registres de Discours de J. Lacan... Ce texte m'aide souvent à penser ce qui se joue dans la relation à l'autre en demande.
La relation thérapeutique d'orientation psychanalytique est bien plus délicate... Elle demande une humilité totale pour laisser l'autre se dévoiler à lui-même.

En ce qui concerne l'école, terre de savoirs et de ma^ttrise... les théories d’objectivation de l'apprenant ne pouvaient qu'y être cultivées... Savoir pourquoi il n'apprend pas... quel enseignant ne souhaiterait pas qu'on lui énonce cette réponse à la question que lui soumet son élève dans sa difficulté scolaire.
Cependant, apporter une réponse à cette question sous la forme d'un trouble cognitif dégage ce même enseignant de l'acte créatif pédagogique.
Le diagnostic clôt la question posée par le symptôme et réduit les possibles...

C'est ce que j'avais appelé un dyscours.

Je suis d'accord avec Daniel, c'est un problème politique, voire philosophique... Nous devrions porter cette question, tout comme le fait le collectif pasde0deconduite, sur le plan sociologique et politique. Je ne sais pas trop comment faire mais j'y songe en cette période propice.

Les acteurs du milieu éducatif, ceux qui participent à construire l'avenir, doivent énoncer les enjeux masqués de ces théories qui réduisent l'école à un espace d'évaluation.

Cordialement

Clairea
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Re: La planète "dys-" - encore...

Message par daniele »

Un livre ancien quand j’étais en fac, Doise je crois, les différents niveaux d'analyse en psychologie : intra-individuel, social, institutionnel, idéologique, etc. Je ne me souviens plus très bien. Et donc plus haut niveau ensuite, politique etc.
Je me situais donc au niveau de la sociologie des organisations et du système formel et informel qu'elle décrit, ce qui constitue un niveau d'analyse valide mais moins large que le niveau politique.
Chaque problème peut donc être approché selon différents niveaux d'analyse.
Quant à l'approche freudienne opposée à l'approche comportementale, là encore, je pense que les deux approches correspondent à différents niveaux d'analyse, et qu’après tout, c'est notre travail de savoir quand il faut psychologiser ou quand il ne le faut pas, et par conséquent d'analyser la pertinence de chacune des approches selon la situation ; d'ailleurs l'une n'exclut pas l'autre.
Les parents ne m'abordent pas comme un sujet plus que savant (et quand ils le font, ça va pas ! j'ai du boulot) parce que j'interroge d'abord leur connaissance de leur enfant et je la confronte avec eux à ma connaissance de la psychologie de l'enfant, de la famille, de la pédagogie, de l'institution etc. etc. et on teste ce que l'on peut faire ou pas.... et quand il s'agit de faire, il n'est pas toujours inutile de faire référence au cognitif et au comportementalisme et au systémique et aux théories de l'engagement de la psychologie sociale et ainsi de suite... et à chaque petit pas, recommencer... une histoire sans fin, oups on revient au freudisme là peut être...
Mais pour tout ça, vrai qu'il faut du temps et une reconnaissance de la psychologie à l'école.
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