Elève précoce

Questions concernant la politique générale et l'organisation générale des enseignements spécialisés.
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Pierrot59
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Elève précoce

Message par Pierrot59 »

Bonjour,

Je sais que la précocité ne relève pas du champ du handicap mais, étant donné sa spécificité, je ne savais pas trop où mettre ce sujet...

Une de mes amies a une petite fille précoce (4 ans).
Elle vient de faire un test qui a révélé une forte précocité.
J'ai regardé la page de l'IA de ma région et il est indiqué qu'il n'existe aucune école ou établissement spécialisé public accueillant ce public.

Quelqu'un sait-il si l'Education Nationale reconnait la différence de ces élèves ? Y a-t-il des dispositifs prévus pour eux ?

D'après les commentaires que je lis sur des forums de parents, beaucoup d'enfants finissent en échec scolaire, rejetés par les autres... parfois deviennent violents, dépressifs. Ils s'ennuient en classe, vivent mal leur différence, ont des rapports conflictuels avec leurs enseignants...

Ce n'est pas le cas de tous heureusement, mais certains sont broyés par le système scolaire car ils n'ont pas eu une pédagogie adaptée.

D'où ma deuxième question :
Si un dispositif adapté n'existe pas, pensez-vous qu'une pédagogie type "Freinet" serait plus adaptée à ces enfants (ils s'ennuieraient peut-être moins) ?

Merci de vos réponses !!!!
Daniel Calin
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Re: Elève précoce

Message par Daniel Calin »

Au niveau des textes réglementaires, l'Éducation Nationale a commencé à bouger... en 2005, avec l'article 24 de la Loi Fillon :
http://dcalin.fr/textoff/loi_education_2005.html#a27

Cet article est intégré dans partie législative du Code de l’éducation :
http://dcalin.fr/textoff/code_education.html#321-4

Cette "décision" (?) est reprise peu après par l'article 5 de ce décret, point II :
http://dcalin.fr/textoff/soutien_ecole_2005.html#a5

Ce texte a été ensuite intégré dans l'article D. 321-7 de la partie réglementaire du Code de l’éducation :
http://dcalin.fr/textoff/code_education_reg.html#321-7

En 2007, une circulaire revient spécifiquement sur ce thème... en termes de formation exclusivement :
http://dcalin.fr/textoff/surdoues_2007.html

Il devrait donc exister "des aménagements appropriés" pour ces élèves. Bien que ce texte soit de haut niveau (loi), il n'est pratiquement pas appliqué.

Quant à votre deuxième question, concernant la pédagogie Freinet, la réponse est oui, bien sûr, la différenciation pédagogique systématique apportée par ces pratiques ne peut que bénéficier à ces élèves - sauf blocage personnel ou idéologique de l'enseignant concerné (on ne sait jamais).

Quant au risque d'échec scolaire de ces élèves, il est probablement assez minoritaire (les forums de "parents de surdoués" ne sont fréquentés que par les parents de cette minorité, évidemment). Un quart ? Pas de statistiques fiables là-dessus, ne serait-ce que parce que la plupart des parents d'enfants "brillants" s'opposent absolument à tout "fichage" de leur progéniture.

Sur le fond, c'est-à-dire ce pourquoi un enfant est "intellectuellement précoce", c'est une question complexe. Les qualités éducatives et/ou le niveau culturel du milieu familial sont évidemment des facteurs souvent déterminants. Mais des facteurs a priori beaucoup moins "favorables" peuvent aussi jouer un rôle. On sait que les enfants présentant des troubles du comportement ont des capacités intellectuelles normales, voire supérieures, alors que leur milieu familial est le plus souvent très problématique. Avoir à se défendre contre des difficultés personnelles peut être un stimulant du développement intellectuel... quand ce n'est pas l'inverse. De ce fait, les difficultés rencontrées par certains de ces élèves ne sont pas forcément dues au fait qu' "ils n'ont pas eu une pédagogie adaptée", elles peuvent être liées à ces difficultés personnelles qui ont stimulé leur développement intellectuel - l'une de ces causes n'empêchant pas l'autre. Il ne faut quand même pas perdre de vue que les pratiques "pédagogiques" les plus lamentables ne parviennent pas à empêcher la réussite de la grande majorité des enfants intelligents - fort heureusement, au vu, par exemple, de la stupidité exubérante des "méthodes" d'apprentissage de la lecture !
______________________________________________
Enfin :
Pierrot59 a écrit :Je sais que la précocité ne relève pas du champ du handicap
Il semblerait effectivement logique qu'elle n'en relève pas. Mais :

1/ Dans tous les manuels de psychopathologie de l'enfant, même les meilleurs, le chapitre sur les pathologies de l'intelligence comprend un sous-chapitre sur les "surefficients".

2/ Ce que je viens de dire sur les soubassements parfois troubles des intelligences supérieures justifie au moins en partie ce regard psychopathologique sur ces enfants.

3/ À Paris, il y a quelques années, ont été fondées une puis deux UPI pour "surdoués", la première dans un lycée huppé du 16e, la seconde l'année suivante dans un lycée de l'Est parisien, pour faire bonne mesure. Je ne sais pas si elles existent encore. Je pensais qu'aucune famille ne serait assez folle pour faire passer son brillant rejeton par la MDPH pour l'orienter vers une telle structure. Mauvaise pioche : les demandes ont plu comme à Gravelotte !
Cordialement,
Daniel Calin
Pierrot59
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Re: Elève précoce

Message par Pierrot59 »

Merci beaucoup pour votre réponse très détaillée qui apporte beaucoup d'éclaircissements.

C'est très "étonnant" ces UPI pour élèves surdoués, mais quand on y pense il y a une vraie différence qui est vécue par certains comme un handicap.
C'est vrai qu'aller à la MDPH en disant "mon fils est surdoué", c'est complétement surréaliste.

Merci encore.
daniele
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Re: Elève précoce

Message par daniele »

Surréaliste la MDPH pour enfant précoce ? Non, je ne pense pas : la définition du handicap n'entre pas en contradiction avec cette démarche.
Psychologue de l'EN, j'ai pu constater le déni très profond des enseignants et de la hiérarchie sur la question du surdon.
Un enfant précoce peut éventuellement souffrir d'hyperanxiété, voire de dépression, renforcé par ce déni.
D'où la question de la MDPH.
Les enfants précoces ne doivent pas subir les effets de la catégorisation à outrance (nécessaire à la recherche sans doute) qui définirait un prototype du style "surdoués, oh pas de soucis".
Comme si un QI supérieur à 125 était une garantie d'adaptation épanouie ! Surréaliste en effet.
Daniel Calin
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Re: Elève précoce

Message par Daniel Calin »

Si, la définition légale du handicap est incompatible avec le "surdon". Rappel de cette définition : "une altération substantielle, durable ou définitive d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques" (article 2 de la loi de 2005). Il n'y a aucune "altération" d'aucune sorte dans le "surdon", mais plutôt son contraire, si tant est que ce vocabulaire ait ici un sens.

Problème de vocabulaire, justement, de renoncement à prendre soin du sens des mots. Et problème institutionnel qui en dérive : je ne nie absolument pas que les enfants "surdoués" aient assez souvent besoin d'aide (ô combien pour certains d'entre eux, fortement menacés de schizophrénie, par exemple, ou sévèrement "caractériels"...), mais je trouve aberrant que pour obtenir une telle aide ils doivent en passer par l'étiquetage "handicapé", parfaitement absurde dans leur cas.
Cordialement,
Daniel Calin
daniele
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Re: Elève précoce

Message par daniele »

CQFD "surdon" ne veut pas dire absence d'altération d'une fonction. M'étais-je mal exprimée ?
Par contre, la question du handicap, effectivement, je comprends votre position, je ne suis pas loin d'être d'accord mais nous allons encore confronter votre approche éthique et la mienne pragmatique : la MDPH m'est dernièrement apparue comme la seule solution possible pour lever le déni de l'école face à une enfant intellectuellement précoce en souffrance. Les parents l'ont finalement changée d'école mais elle reste une petite fille fragile.
Finalement, vous m'avez répondu par deux fois déjà et nos niveaux d'analyse sont différents. Je manipule le concret, le pragmatique, vous avez un regard plus distancié. Finalement, il nous faut parler éthique pour nous rejoindre.
Quant aux mots, la souffrance n'est-elle pas une altération de la fonction psychique ? Chacun a droit d'être reconnu dans sa souffrance n'est-ce pas ?
Merci de répondre à mes messages, j'apprécie beaucoup, je travaille dans une zone rurale et ai très peu d'occasion de réflexivité.
Daniel Calin
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Re: Elève précoce

Message par Daniel Calin »

Oui, je vous reprochais bien une maladresse d'expression. Oui, mon approche est plus "éthique" que la vôtre, plus abstraite - je suis en principe philosophe de formation :) .

Par contre, non, on ne peut pas à mon sens qualifier la souffrance d'altération d'une fonction psychique. En elle-même, la souffrance est psychiquement normale, elle résulte d'un fonctionnement psychique normal... Même si, évidemment, des dysfonctionnements de l'organisation psychique peuvent induire des souffrances - mais, en ce cas, ce sont ces dysfonctionnements qui peuvent éventuellement être considérés comme des "altérations" (même si je me méfie de l'application de ces notions biologiques au domaine psychique). Abstraction encore, mais pas seulement : on prend très souvent en charge des enfants "en souffrance", alors qu'il est parfaitement normal qu'ils souffrent dans la situation qui leur est faite. Et comme on ne peut pas modifier cette situation, on "soigne" ces enfants. Ça m'a toujours gêné, même si je comprends que, pragmatiquement, on soit amené à le faire.

Comme je comprends qu'on fasse appel à la MDPH face à certains problèmes d'enfants "surdoués", faute de pouvoir faire autre chose. Tout en restant, sur le fond, choqué par ces pratiques.

Dans les deux cas, c'est le même problème : on a affaire à un problème qui tient au "cadre", mais on doit accepter d'inscrire son action dans ce "cadre". C'est de ce genre de contraintes que ma position de retraité me tient éloigné, et c'est en soi une délivrance :D !
Cordialement,
Daniel Calin
daniele
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Re: Elève précoce

Message par daniele »

Je vais encore vous répondre.
Normalement, un psychologue fait la différence entre une souffrance "normale" et une autre qui nécessite prise en charge chez psychologues ou psychiatres évidemment. Comme je le dis toujours aux enseignants qui ont tendance à tout psychologiser, le psychologue scolaire lui au moins sait (normalement) quand il faut psychologiser ou pas. La fonction sociale de la psychologisation est bien analysée en psychologie sociale.
La maltraitance institutionnelle existe malheureusement et il faut utiliser les moyens que nous avons à notre disposition pour l'enrayer.
Il y aurait à dire sur les effets pervers des systèmes.
Heureusement, la MDPH, on en sort ! Elle a aussi une fonction symbolique de reconnaissance quand tout est dénié, elle soulage quand des parents "hurlent" sans être entendus, elle prend le relais.
C'est ainsi, Il y a des lois maintenant pour instaurer l'empathie et la sollicitude, des émissions de télé et des grands rassemblements, des spectacles, des mots nouveaux comme solidarité pour les plus simples que nous avons oubliés. Paradoxalement, pendant que l'empathie devient solidarité institutionnalisée, la souffrance "ordinaire" n'est plus tolérée autrement que mise en scène, ... bon je m'emballe encore...
Désolée, je finirai pas faire appel à la MDPH pour compenser mon isolement social, professionnel et intellectuel ! Merci de ces quelques échanges.
Votre approche est plus philosophique tout simplement, elle fouille, elle révèle du sens, elle interpelle. Est-ce ce type de démarche qu'on appelle épistémologie ? Je ne connais pas précisément son sens mais j'aime ce mot !
J'aime à penser que j'ai une réflexion éthique, limitée oui par le cadre qui m'est imposé.
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