Spécialisé ou Ordinaire ?

Questions concernant la politique générale et l'organisation générale des enseignements spécialisés.
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chritic
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Spécialisé ou Ordinaire ?

Message par chritic »

Bonjour à tous et à toutes,

Une nouvelle question anodine dont la réponse ne me vient pas, ou dont les réponses ne me satisfont pas.

L'inclusion scolaire, la scolarisation en milieu ordinaire, le rapprochement du milieu ordinaire pour la scolarisation des jeunes en situation de handicap semblent constituer une évidence contemporaine.

Elle s'inscrit, à mon sens, en particulier dans le rejet "idéologique" (ce n'est pas négatif sous ma plume) d'une certaine ségrégation (ce n'est pas négatif non plus) liée au désir de protection et d'adaptation aux problématiques de chacun (dont découle aussi par exemple les options de spécialisation, les agréments d'établissements... qui nous paraissent évidents).

Je trouve peu de référence à des études faisant état ou constat des bénéfices que les personnes en situation de handicap, elles-mêmes, tirent de cette "inclusion" en dehors de la promotion des effets d'acceptation.

Ma question est orientée (je le dis pas honnêteté intellectuelle, je crois) par le désir de pouvoir répondre aux arguments de ceux qui se défient de cette évidence (aller vers le milieu ordinaire) qui place (placerait ?) le jeune en situation de souffrance (regard de l'autre, rejet de l'autre, imposition d'un rythme inadapté, confrontation à un milieu globalement inadapté).

Merci :roll:
Pascal Ourghanlian
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Re: Spécialisé ou Ordinaire ?

Message par Pascal Ourghanlian »

La norme actuelle, c'est "tous inclus".
Et pourtant nous croisons tous les jours de jeunes qui nous disent : "je sais que je suis différent, on m'oblige à courir après le TGV alors que moi je préfèrerais prendre une Micheline, je voudrais bien être avec d'autres jeunes en Micheline".

Le discours sur l'égalité des droits est philosophique, inaliénable. Il est idéaliste.
Mais le discours qui, ce faisant, nierait la spécificité de chacun est fasciste. Il est idéologue.

La différence entre idéaliste et idéologue, c'est tout le poids du réel.
L'idéaliste prend le réel en compte, et essaie de l'amender. L'idéologue nie le réel, qui le gène, pour se référer aux idées, qui sont lointaines.

"Pouvez-vous mesurer l'effet positif de votre idéal sur le réel ? Oui ? Alors vous n'êtes pas dans l'idéologie.
Vous objecterez que cet effet positif n'est certes pas visible tout de suite, mais qu'il le sera plus tard ? L'idéologie vous guette"
(Charles Pépin)
Cordialement,
Pascal Ourghanlian
chritic
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Re: Spécialisé ou Ordinaire ?

Message par chritic »

Bonjour,

Je croise chaque matin un pas très jeune qui devant son miroir se dit qu'il est bon d'avancer et de penser à demain, de se sentir poussé par un certain dynamisme.
Je croise souvent le même qui se dit aussi qu'il est bien naïf celui qui veut toujours plus et se satisfait avec une certaine complaisance d'une course après un devenir qui ne fait finalement qu'occuper le présent.

Sans sombrer dans trop de philosophie, "auprès de mon arbre, je vivais..." nous disait GB.

La position de l'éducateur, de l'enseignant est cependant spécifique.
Il est, il oeuvre, avec, aux côtés (parfois un peu contre aussi il faut le dire) d'un individu vis-à-vis de qui il se place en position de médiateur ou de "guide" dans un espace où il pense conduire l'autre pour son bénéfice vers un ailleurs... que lui connaît, mais que l'autre ne connaît pas encore.

Dans cet espace, l'autre n'est pas toujours d'emblée motivé par ce changement : c'est la dictature, souvent ressentie, du "pour ton bien".
Et si on l'interroge à l'orée de cet effort, ou du malaise que crée la confrontation avec le "je ne sais pas encore", dira-t-il qu'il préfère tenter l'aventure du TGV ou rester dans sa micheline ?

La tension de nos métiers se joue souvent sur ce quai de gare là. Tantôt chef de gare au coup de sifflet, tantôt vendeur de billet, tantôt agence de voyage qui promet..., tantôt j'espère aussi guide et conseil un peu distancié, observateur empathique des désirs de l'autre et point d'appui pour oser essayer...

Mais ici, dans ce contexte de rouleau compresseur idéologique, là où l'évidence n'est plus interrogée ("L'inclusion c'est bien" ou "c'est pas bien"), existe-t-il des gens qui au-delà du "d'accord-pas d'accord", des options "protection ou émancipation", tentent de définir en quoi l'inclusion apporte quelque chose de bon à la personne...?

J'allais dire, objectivement, mais... je sens la connerie en même temps que je la dis. :oops:


Merci
Daniel Calin
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Re: Spécialisé ou Ordinaire ?

Message par Daniel Calin »

chritic a écrit :Je trouve peu de référence à des études faisant état ou constat des bénéfices que les personnes en situation de handicap, elles-mêmes, tirent de cette "inclusion" en dehors de la promotion des effets d'acceptation.
Excellente remarque, à une nuance près : moi, côté études concrètes sur ce point, je remplacerais le "peu" par le "pas". C'est un domaine où l'on trouve une pléthore de discours idéologiques, philosophiques et politiques, mais uniquement cela. Je souhaite de longue date une étude comparative entre élèves 1/ "inclus", 2/ en classes spécialisées, 3/ "en établissements spécialisés", conduite par catégories de handicap (absolument nécessaire, bien sûr). Rien. J'ai parfois l'impression que le seul fait de demander une telle étude est un crime de lèse bien-pensance. Les idéologues ne sont pas toujours des imbéciles ou des naïfs, ils sont aussi souvent de très mauvaise foi.

Un rappel, dans un autre domaine. Pendant des décennies (des années 1970 aux années 2000), les nombreuses études comparatives des années 1950-1960 sur les enfants du divorce ont complètement disparu : au nom de la libération des mœurs, évidence intouchable de la fin du siècle dernier, il ne fallait surtout pas inquiéter les "libérés". Il a fallu attendre ces dernières années pour voir ressurgir une étude comparative entre les enfants des séparations et les enfants "entre leurs deux parents" - qui a évidemment démontré que, statistiquement, les derniers s'en sortaient nettement mieux que les premiers, à tous égards. Et encore, il faudrait affiner. J'aimerais bien lire un jour, par exemple, une étude comparative entre les élèves des classes prépa et les autres sous cet angle de la famille qu'ils ont derrière eux, et pas uniquement en terme de CSP, pour une fois !

Conclusion : au rythme que prend apparemment la mise en cause des bien-pensances dans nos "démocraties libérales avancées", on est parti pour trente ans de cette "inclusion" manu militari des mômes handicapés parmi leurs "semblables" pas handicapés...
Cordialement,
Daniel Calin
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Re: Spécialisé ou Ordinaire ?

Message par Boogie »

Daniel Calin a écrit : Conclusion : au rythme que prend apparemment la mise en cause des bien-pensances dans nos "démocraties libérales avancées", on est parti pour trente ans de cette "inclusion" manu militari des mômes handicapés parmi leurs "semblables" pas handicapés...
"l'inclusion" est devenue/devient une catégorie d'action publique (et ça se passe à l'échelle européenne). Elle se décline à la sauce "scolaire" mais aussi à la sauce "sociale" ("l'inclusion sociale" étant une antienne des productions de discours européens sur l'action sociale, bien que peu relayé en France). Il y a derrière cette notion de "inclusion" toute une vision du monde, vision qui a partie liée avec l'idéologie dominante consistant à faire primer par principe les actions, stratégies et décisions individuelles sur tout effet de structure, voire même à nier ces derniers.

Il y a plusieurs niveaux à "l'idéologie", plusieurs niveaux de puissance, voire de niveaux en terme de "avatars" (ce mot désignant dans l'hindouisme l'incarnation d'une divinité sur terre).

Je distingue l'idéologie "aérienne", celle qui enfante toutes les autres (dont celle de l'inclusion scolaire) de, justement, tous ses avatars, ou incarnations différentes dans tel ou tel domaine spécifique (comme l'école).

Cette idéologie de fond, dominante, matrice de nombre d'avatars qui lui sont autant de traductions spécifiques à des milieux professionnels et à des champs plus ou moins autonomes, se retrouve dans l'inclusion en remontant sa généalogie. "Inclusion" est un mot qui a été choisi et consacré par des intellectuels au service de l'OCDE, à la fin des années 1980. "Inclusion" a dès lors proprement incarné le versant éducatif des politiques "d'ajustement" menées par les organisations financières supranationales : "inclure", c'était, pour certains, abolir purement et simplement le spécialisé (les apôtres de la "full inclusion"), et pour les autres, à tout le moins s'engager dans un processus de rationalisation des dépenses d'éducation (intéressant quand on sait qu'à l'échelle mondiale, c'est 80% des dépenses consacrées à l'éducation qui se volatilisent dans la corruption).

Mais cette généalogie est complexe et pas du tout unilatérale, tout comme l'est la géographie du "handicap". Il y a aussi dans "l'inclusion" les traces d'actions véritablement politiques qui procèdent d'un objectif de transformation sociale, notamment de la place des personnes "handicapées" dans la société.

On en est un peu toujours là, entre des visées politiques de transformation sociale (bien dominées, minoritaires, et bien peu sur le devant de la scène) et d'autres consistant à souhaiter "gérer" l'existant au mieux, dans un objectif de "rationalisation" des dépenses publiques (c'est-à-dire la privatisation de tout ce qui n'est pas régalien). Je crois qu'il est très difficile (et dangereux) de tracer à la va-vite la carte des défenseurs et pourfendeurs de "l'inclusion", tellement cette notion est beaucoup plus un réceptacle d'investissements d'intérêts divers qu'une véritable notion claire et clairement utilisée.

En d'autres termes, on l'invoque pour dire des choses qui peuvent s'avérer tout à fait divergentes. D'où la nécessité de l'utiliser avec des pincettes, et de toujours imposer aux interlocuteurs d'éclaircir l'investissement de sens et d'intérêt qu'ils mettent dans cette notion.

Il y a "l'inclusion" des récents textes réglementaires de notre bien-aimé ministère.

Il y a "l'inclusion" des associations parentales, elles-mêmes diverses et défendant diversement le principe, selon le territoire du "handicap" qu'elless occupent et défendent.

il y a "l'inclusion" telle qu'elle est vécue par les professionnels (un avatar de "l'inclusion" des textes).

il y a aussi "l'inclusion" des intellectuels, eux aussi divergeant et luttant parfois sur sa véritable définition - certains n'y voyant qu'idéologie, d'autre qu'un progrès, d'autres encore (dont je suis) une notion qui constitue un nœud extrêmement complexe et qui cristallise (un peu comme les passions autour du poste d'AVS) beaucoup d'enjeux actuellement très vivaces quant aux spécificités historiques de l'évolution des relations entre "spécialisé" et "scolaire".

En fait avec ce mot on assiste à ce phénomène de réduction systématique de réalités très diverses et complexes à une forme de slogan et d'idée simpliste - et c'est en ça qu'il est vraisemblablement tout à fait justifié de s'en méfier largement, surtout au travers de l'usage qu'en fait l'institution et, de manière générale, le pouvoir qui, comment ne pas le savoir maintenant, sert des intérêts extrêmement réduits et particuliers.

Pour ce qui est des effets de "l'inclusion" des textes et des dispositifs actuellement à l'œuvre en France sur les enfants concernés, je pense comme Daniel qu'une étude serait la bienvenue - mais une telle recherche serait, de mon point de vue, extrêmement compliquée à construire méthodologiquement (ce qui ne veut pas dire impossible). Chercher par catégorie de "handicap", certes, mais après, il y a d'autres facteurs, notamment la position sociale des déficiences et handicap (et je ne parle pas que des CSP, marqueur dont les (bons) sociologues se méfient éminemment puisque cette catégorie est une création administrative, et pas du tout une catégorie vraiment pertinente pour la recherche).

Une difficulté des recherches de comparaison c'est qu'on a beau comparer, les situations sont tellement différentes (au-delà du partage de telle ou telle déficience ou handicap) qu'on est incapable de dire ce qu'il serait advenu, ou quels processus se seraient enclenchés, si la personne en question avait suivi une autre filière ou trajectoire.

Je parle de trajectoire parce qu'à mon sens c'est dans cette notion (avec tout ce que ça implique de "changements", d'"ajustements" et de possibilité d'adaptation) que réside la meilleure acception de "l'inclusion" : c'est les allers et retours entre "ordinaire" et "spécial" qui devraient fonder les "trajectoires" éducatives des enfants handicapés.

Quand j'étais AVS, j'ai pu constater à quel point certains élèves (un petit garçon avec des "troubles autistiques", disait-on) pouvaient bénéficier grandement d'un passage dans "l'ordinaire". J'ai travaillé avec ce petit garçon pendant trois années scolaires consécutives (de la MS au CP), jusqu'à ce qu'il parte en CLIS (il est aujourd'hui en attente d'une place en UPI). Je l'ai vu ce week-end chez des amis (il est invité, encore, aux anniversaires des enfants avec lesquels il a partagé ces trois années, il y a un petit noyau dur qui est resté ensemble pendant ces trois ans) : sa mère m'a dit qu'il lisait maintenant. Bien sûr l'incertitude est grande pour l'avenir (la réponse pour l'ULIS arrive en juillet...) mais lui semble vivre bien, comme il était bien, je le sais, pendant son passage à l'école ordinaire. Peut-être ne serait-il pas resté heureux (et n'aurait pas continué à progresser dans le savoir) s'il n'était pas parti en CLIS ?
"Je préfère me débarrasser des faux enchantements pour pouvoir m'émerveiller des vrais miracles." (PB)
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