Fleurs fanées pour l’option « G » ?

Questions spécifiques concernant les formations à l'option G (rééducation).
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Patrice Nagel
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Fleurs fanées pour l’option « G » ?

Message par Patrice Nagel »

Cet article est paru dans le n° 40 de la revue ENVIE D'ECOLE de septembre/Octobre 2004. Il a été légèrement mofifié le 25/10/04 par mes soins.


Fleurs fanées pour l’option « G » ?

A travers les changements de formation prévus et amers, tentons le souvenir de la formation des rééducateurs dans ce qu’elle apportait d’imprévus et de certitudes.

La formation au métier de rééducateur, maître spécialisé de l’option « G » tient à la fois d’une alchimie délicate et d’une subtile métamorphose ou la prétendue rationalité de la didactique n’a pas vraiment sa place, même si elle pointe le bout du nez en fin d’un parcours poétique et merveilleux.

Contrairement aux apparences, il s’agit d’un métier original parce que s’adressant à des enfants n’ayant pas compris qu’être écolier supposait une transformation de soi, par soi.

La plupart des enfants font d’ordinaire ce « travail » intériorisé. Ils « comprennent » sans bien s’en rendre compte qu’être élève suppose des contraintes et une réorganisation de la pensée. Celle-ci touche aux différents champs de la conscience. Y compris ceux modifiés par des événements peu ou pas conscientisés de la vie affective et sociale, dont les rapports influencent les conduites de soi dans les apprentissages.

L’enseignant habité par l’envie de devenir maître spécialisé chargé de l’aide spécialisée à dominante rééducative, avait le temps d’en saisir l’essentiel.

L’espace large et durable d’une année scolaire offerte par la formation en IUFM pour le CAPSAIS, permettait les nécessaires évolutions identitaires personnelles souvent parsemées de douleurs, d’angoisses, de solitudes et de surprises.

Elle supposait d’envisager peu à peu un changement d’univers professionnel.

De découvrir à son rythme, qu’apprendre un nouveau métier suppose à la fois de perdre quelque chose de soi, et de n’avoir pas trop peur de l’inconnu. Que c’est accepter d’être « incomplet ».

De découvrir peu à peu, le kaléidoscope personnels de ses idées enfouit dans les racines mélangées de ses propres croyances, toutes subjectives et teintées d’affects incompris.

Enfin qu’accepter le « nouveau professionnel » en soi, met nécessairement en cause le réaménageant d’une pensée peu à peu encombrée de notions empruntes d’une étrange humanité. Qu’apprendre par cœur « des solutions » pour les réciter ensuite n’est en rien une aide pour les humains de tout âge.

Avec l’apparition des circulaires créant le CAPA-SH, nouveau dispositif de formation des rééducateurs de l’éducation nationale, le temps plein empli de choses vécues, fait soudain place à une contrainte du temps limité et de l’instant, sur la durée.

Le problème nouveau est celui de l’urgence de devoir apprendre, tous « en même temps » des « choses de soi, sur soi », selon un découpage imposé par une pseudo rationalité prétentieuse et contre nature.

Le temps maintenant réduit, l’emploi du temps, de « son » temps, mesuré, cadencé, calibré, contrôlé par « ministère » interposé, prétend prendre en charge l’arrivée de l’instant magique, fulgurance inattendue, de la compréhension de soi par « ses-idées-en-acte » qui caractérise tout apprentissage. Le ministère a peut-être conçu de cette manière l’idée de prévoir enfin l’imprévisible ? Y compris celui des composantes complexes nécessaires à l’exercice d’un métier nouveau.

Le « réfléchissement », ce retour sur soi nécessaire mais compliqué peut-il s’accommoder d’une « rythmicité » inhumaine parce que constitutive d’une externalité imposée ?

C’est nier l’impact de l’intime, du personnel, de la féconde créativité issue de toute subjectivité, dans l’acte éducatif et dans l’élaboration par le sujet, de ses connaissances et du savoir.

Le temps, grâce au temps, opérait finalement cette transformation personnelle du sujet par lui-même pour accéder peu à peu à la riche complexité d’un métier d’une grande délicatesse.

Le grand écart s’opère entre, d’une part, la finalité de la rééducation, qui consiste en une aide spécialisée qui suppose la prise en compte d’une évolution progressive dans l’aménagement du psychisme de l’enfant, et d’autre part, celle d’une formation proposant la négation de l’évolution de la pensée du stagiaire.

Désormais, faire vivre aux stagiaires un « flagrant délit » de contradiction pédagogique serait sans importance. Bref, un stagiaire peut-il sortir de formation comme il y est entré ?

Or, devant les difficultés d’un enfant perdu dans l’entrelacs de ses préoccupations affectives intimes et des prescriptions didactiques flanquées au groupe classe, le rééducateur procède selon une logique de l’attente « d’occasions à saisir », imprévisibles et surprenantes, pour entamer une pratique de l’oralité qui procède plus de « l’aide au rangement » des « choses de la vie » qui sont arrivées trop vite ou au mauvais moment, que de l’injonction.

Il est concrètement obligé de « saisir au vol » le sens de l’invisible, de l’inconnu, de vivre les ruptures, les contraires, d’en comprendre le sens dans l’instant, alors même qu’il y est impliqué.

La maîtrise professionnelle d’une forme de « gestion de l’incertitude du devenir-à-deux-en-rééducation » s’acquiert et suppose une professionnalité de l’improvisation qui l’oblige à un haut degré de technicité non laissé au hasard. Cela demande du temps.

Avoir confiance en soi, (ce qui suppose cette gestion de l’imprévu, comme dans toute classe), réinventer, commenter, dialoguer, palabrer, plaider, faire semblant, poser une parole, sans perdre de vue son objectif final et à la fois conserver « une idée derrière la tête » sans « perdre pied », c’est acquérir une « tournure d’esprit » propre au rééducateur. Cela se construit dans la durée.

Ce qu’il faut « ruser » d’intelligence pour le « rééducateur », comme dans la tactique des joueurs de sports collectifs ou dans celle des braconniers, pour créer les conditions de l’apparition du processus de symbolisation. Pour amener l’enfant à se décentrer de ses affects obsédants qui l’empêchent de passer à des « manière d’entrevoir comment s’y prendre pour apprendre ». Apprendre à faire cela est long. Chacun a sa propre manière d’y parvenir selon sa propre logique et à son rythme. Un repas se mange bouchées par bouchées.

Cette capacité à inventer, bricoler, jouer, varier ses postures et ses attitudes en relation avec l’enfant, suppose une durée de formation où « l’éducation du stagiaire à l’imprévisible » l’implique dans un retournement inhabituel du temps. L’amener à comprendre, après coup, que l’avenir de chacun n’est qu’un passé en cours de (re)construction. C’est long et délicat.

L’inconnu, l’inattendu, la surprise, l’invisible, viennent s’opposer à toute rationalité scientifique sans pour autant en oublier les contraintes. C’est la perception (contrainte instantanée venant « du dehors » du rééducateur) la plus fine du sens dans l’instant des conduites de l’enfant et des langages sous-jacents qui guident ses gestes et ses langages, qui est en cause. Tout ceci dans des formes codées, semblables et différentes pour l’un et l’autre, dont la grammaire est à découvrir et à réinventer. Apprendre l’Autre c’est se construire avec lui.

Le savoir faire professionnel du rééducateur c’est la prise en compte de l’autre comme de lui-même au cours d’une recherche obsédante et permanente du sens.

Se former c’est donc se transformer pour soi, avec soi, selon sa propre volonté consciente. Donc réfléchie.

L’implication personnelle importante du stagiaire, nous conduisait à lui proposer, un " décor formatif symbolique " dans lequel il acceptait d’entrer pour s’essayer dans des rôles nouveaux, à l’abri de toute forme de jugement institutionnel. Mais en relation à d’autres et aux formateurs, tous peu à peu capables d’apprécier les évolutions diverses et variées de tous et de chacun.

Le ministère à peut-être conçu de cette manière l’idée de prévoir enfin l’imprévisible ?

Ceci tout en aménageant des « moments clés » pour oser s’expliquer, expliquer aux autres, ses propres changements de point de vue nécessaires à toute évolution maîtrisée par le sujet dans des « allers-retours » sur soi par les autres.

Penser par soi-même c’est également le découvrir selon des durées toutes personnelles son « temps vécu ».

Dans une formation en cours d’exercice, les difficultés à se décentrer des contraintes des moments de terrain sont un obstacle à toute transformation personnelle par le stagiaire. Elle l’installe sournoisement dans une « forme d’entraînement » de gestes professionnels stéréotypés, telle une technicité standard, calquée, ou imposée. Ces gestes ainsi appris, risquent fort d’être inadaptés aux mouvances de l’instant. On n’est plus dans une aide à l’éducation du stagiaire. Mais dans l’instruction.

De plus, le temps de formation ainsi calibré ne permet pas de temps de repos. Ce ne sont pas des temps où on ne fait rien. Il s’agit d’évocations de soi, de projection dans l’avenir, de mise à l’essai « de soi » au plan représentatif, de se reconstruire par un nouveau « maillage » d’idées de soi, sur soi, selon une rythmique intime.

Or, passer immédiatement, d’une réflexion « qui n’a pas durée » à une mise en œuvre concrète d’une pensée inachevée, ne relève pas tant de l’inconfort que de la supercherie intellectuelle.

Notre expérience de la formation des Professeurs des écoles stagiaires illustre mieux le phénomène. Lors des périodes de stages en responsabilité, ils sont placés dans un curieux dilemme et un véritable « faux self » : devoir à la fois réagir sainement à l’imprévu normal de la classe, et s’en séparer pour entrer (s’il veut obtenir à la fin un bon rapport) dans le « désir » et « l’attente » de « Celui » (tout puissant) qui vient le visiter, le conseiller, l’évaluer, le sanctionner en tout état de cause en vertu du « parce que c’est comme ça ».

On ne peut pas imposer à l’autre du « dehors » ses réponses, et faire en sorte de vouloir à sa place, qu’il soit en fait ce qu’on voudrait qu’il devienne. Lui imposer implicitement d’être ce qu’il ne sait pas encore qu’il peut devenir, c’est le réduire à l’état « d’objet » de la formation.

Aux formations désormais de ruser à leur tour, aujourd’hui, pour permettre « l’individuation » de chaque stagiaire, dans des espaces à inventer.

Trouver maintenant les moyens d’installer des dynamiques personnelles, d’autoriser les échanges ininterrompus entre le groupe et chacun des membres, si denses qu’ainsi se noueront des complicités durables permettant de mieux comprendre la manière d’agencer ses événements vécus, à l’aide et par d’autres « soi-même » semblables et différents, stagiaires et professionnels. C’est ne rien laisser au hasard.

Provoquer des espaces pour « se laisser aller » à s’absorber complètement dans sa formation, sans quitter le « médiat » pour une urgence d’un immédiat du désir d’un autre qui n’y comprendrait rien. C’est apprendre dans la durée à devenir et rester professionnel.

Aux stagiaires de s’emparer de leur pensée pour eux-mêmes, pour accéder aux formes infinies de l’imprévisible, issues de toute combinatoire propre à la situation concrète, de tenter la découverte de « l’invisible » dans les énigmes sans fin qui se jouent entre le rééducateur et l’enfant.

D’oser traquer les aspects surprenants et magiques dans toutes connivences nécessaires aux prémisses du dialogue, entre deux personnes. C’est accepter que chacun pense « en particulier » pas en « général » comme on veut nous le faire croire dans ce nouveau « flagrant délit de contradiction de formation ».

Ces lieux durables de formation, sont à réinventer. Lieux organisés et cadrés où les stagiaires pourront encore se parler, s’éprouver, mesurer les écarts entre leurs perceptions et leurs avancées dans la découverte de soi en relation à l’autre, se raconter leurs histoires.

Il ne s’agit pas d’une nostalgie du passé. Ces lieux constituent les enjeux importants d’une véritable rééducation, pour éviter que ces fleurs fanées qu’on nous offre un instant ne meurent jamais.

patricenagel

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patrick

fleurs fanées

Message par patrick »

Beaucoup de plaisir à lire votre dernier sujet avec lequel je suis en accord total. Cependant il manque à cet article l'analyse critique du fonctionnement des centres de formation G , des rééducateurs et de leurs associations.
1- Les problèmes de la formation et de la certification restent fondamentaux dans des métiers spécifiques et atypiques comme la rééducation (on constate par exemple que ces questions sont à l'origine de presque toutes les scissions au sein du mouvement psychanalytique)
2- La rééducation existe avant tout parce que des rééducateurs rééduquent !, se sont battus pour la reconnaissance de leur métier et ont désiré son évolution en gardant l'essentiel.
3- La rééducation n'a pas de corps doctrinal, ce n'est pas une raison pour ouvrir la porte à tous. Il me semble que sur ce point par "culture", par faiblesse, par usure les rééducateurs aprés la création des réseaux n'ont pas cherché à construire une identité (ref : travaux de Gentili et en opposition la politique de lobbying des psy scolaires). Pour la FNAREN une vieille motion demandant la reconnaissance d'un niveau maÏtrise et pour les centres de formation des disparités, des réponses inégales sur la formation en alternance, et la débandade face à la formation en cours d'activité. (A ma connaissance je n'ai jamais lu aucun texte commun à tous les centres déclarant l'incompatibilité des propositions ministérielles et de la rééducation).
4- La première bataille perdue sur ce terrain a été le recrutement direct sans le passage préalable dans un métier de l'AIS. J'ai pu constater avec les nombreux stagiaires rééducateurs que j'ai accueillis l'écart entre ces deux situations. La reconnaissance de la souffrance scolaire et le positionnement face à la difficulté me semblent être un préalable incontournable que les enseignants des CLIS, des institutions, les E ... connaissent.
5- Deuxième défaite : l'évolution de la certification sur un modèle scolaire amenant les rééducateurs dans des postures impossibles pour les examens. Je ne remets pas en cause la nécessaire certification par l'institution mais à mon avis elle devrait être complétée par une reconnaissance par les pairs.
6- Troisième glissade : les théories cognitives et autres psy qui nous perdent et qui dans la confusion nous détournent des fondamentaux de la rééducation.
7- La nouvelle formation peut signer la fin de la rééducation, ou la nouvelle formation est le résultat de la lente dégradation de la rééducation.
8- Nous avons toujours été en situation d'être de trop pour l'école, le mamouth ne nous rejetera peut être pas mais il peut nous phagocyter.
Patrice Nagel
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Message par Patrice Nagel »

Je réponds à votre message.

Je n’avais pas prévu de faire une critique ni du fonctionnement des centres de formation pas plus que d’une association ou des rééducateurs.

Oui, les problèmes de formation sont au centre du débat de fond. Ils se heurtent à des intérêts divergents liés aux contingences budgétaires et idéologiques.

La rééducation est le fruit d’une lente évolution depuis les divergences (des années 60) issues des deux courants tiraillant la psychomotricité en tant que méthode et en tant que pratique. [La psychomotricité serait à lire comme un langage, l’expérience du corps comme un dialogue tonique.] Je peux citer J. de Ajuriaguerra : « Son but est de permettre de mieux se sentir, et ainsi, par un meilleur investissement de sa corporalité, de se situer dans l’espace, dans le temps, dans le monde des objets et de parvenir à un remaniement et à une harmonisation de ses modes de relation avec autrui. ».

Si les collègues n’ont pas réussi à construire une identité, c’est à mon sens une question de temps. La quinzaine d’années passées n’est pas suffisante pour réaliser cela. Par contre, les formateurs ont exprimé à la FNAREN leur désaccord, chacun en leurs noms et pour des motifs différents, devant la nouvelle formation en alternance. Consulter ENVIE D’ECOLE pour en faire le constat. Là encore, il y a des réflexes et des attitudes différentes des uns et des autres. Ce n’est pas anormal et quand bien même, le MEN ferait comme si de rien n’était.

C’est vrai qu’accéder directement au métier de l’option G, sans passer par une réelle formation AIS antérieure, reste une difficulté pour beaucoup placés dans ce cas. Cela tient au fait que la formation initiale ne permet pas « au débutant » la mise en perspective de la souffrance scolaire. Il faut pour cela, soit une expérience personnelle d’échec devant des élèves placés en difficulté d’apprentissages avec une prise de conscience qu’il y a bien une source liée à « l’intersubjectivité » et une absence de prise en compte de la logique du sujet agissant, soit une formation à la pratique réflexive… C’est en cours à mon sens, mais ce sera long.

La certification pose d’autres problèmes : celle de la compétence des membres du jury.

Je pense que les théories cognitivistes sont plus que suspectes. Etre phagocytés me semble pas de mise, il y a de plus en plus de besoins devant de plus en plus d’enfants en souffrance. Par contre, les réponses toutes faites et à appliquer stupidement sont le danger permanent. C'est un risque majeur que de voir arriver des attitudes stéréotypées pouvant nuire aux enfant parce que non adaptées à la personne.
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