Pourtant les PLP ne semblent pas très inquiets.
Je ne prétends pas parler au nom des PLP, je ne peux et ne veux le faire qu'en mon nom perso.
Depuis 2006, très exactement, l'institution, relayée par ses courroies de transmissions (les inspecteurs), nous signifie clairement la mise à mort des SEGPA. L'un des socles de la SEGPA, les ateliers, est mort, assassiné par des gens qui, une fois de plus, une fois encore, nous considèrent comme des pions. Bien avant les déstructurations qui s'annoncent aujourd'hui, nous, les PLP, avons déjà essuyé les premiers tirs, avons été les toutes premières victimes de mesures stupides, bêtes, débiles, humiliantes, déstabilisantes ET violentes (car il y a une violence extrême à s'entendre dire « vous allez cesser de travailler comme avant », c'est à dire cesser de faire ce que nous savons faire – et même très bien faire, au vu de l'abandon dans lequel nous sommes, livrés à nous-mêmes).
En interdisant aux PLP de faire ce qu'ils savent faire (s'appuyer sur des pratiques professionnelles pour ENFIN considérer autrement les élèves, en leur confiant des responsabilités, en leur accordant une confiance mesurée, pondérée, raisonnable, adaptée MAIS réelle – ce que nous faisons tous avec nos propres enfants, surtout à cette étape compliquée de l'adolescence), l'institution nous a « tué ».
Oh, pour cela, elle est maline, rusée, rouée, manipule les esprits et les mots de longue expérience.
Promeut même le concept de « machines dangereuses », c'est dire à quel point nous sommes tous démunis. Démunis car niés dans ce qui est le cœur de nos pratiques. Jusqu'en 2006, je me considérais comme privilégié : je voyais effectivement (dans les faits, au quotidien) tout ce que les séances d'atelier produisaient chez les élèves : une lente ou rapide prise de conscience de leurs capacités à exister dans le « faire », seule planche de salut pour des jeunes en mal « d'être », uniquement vus et reconnus par l'institution comme des « élèves en difficultés », une lente ou rapide capacité à acquérir de l'autonomie, à penser « travail », à penser « organisation », à SE penser autrement qu'au travers du prisme déformant de la difficulté scolaire.
A l’atelier, personne n'était en difficulté, personne. Le cadre proposé ne l'était pas en fonction d'une difficulté scolaire (bien que seulement proposé aux élèves de SEGPA), mais bien en fonction de capacités à (se) prouver que la difficulté n'est pas rédhibitoire, définitive et permanente.
Que répondre à cette production de discours de nos « élites » dirigeantes ? Je ne sais pas, mais le résultat est là : désormais, nous sommes interdits de pratiques professionnelles, nos élèves ne doivent plus utiliser du matériel et des machines. C'est fini.
Terminé ce « rite de passage », où des élèves se voyaient soudain confier des responsabilités importantes dans le cadre scolaire (de quoi les réconcilier avec l'école, au moins jusqu'à la fin de la scolarité obligatoire, et de quoi bâtir ENFIN un projet concret de formation professionnelle, de quoi ENFIN envisager le proche avenir, de quoi ENFIN oser avoir des projets de formation professionnelle). Ce n'est pas rien, que de manipuler des machines, à partir de 14 ans, dans un cadre (l'atelier) où un adulte expérimenté (le PLP) veillait au grain, dans un cadre protégé, dans un cadre bienveillant, sans pression, sans la menace de l'évaluation ou de la comparaison des résultats (ce que font tous les élèves entre eux, hélas, à moins d'y être soustraits dès les premiers pas à l'école – et encore, il se trouve toujours hélas des adultes pour questionner les mômes sur leurs résultats scolaires, uniquement sur les résultats en termes de notes).
Désormais, l'élève va manipuler des outils « non-dangereux » : le tournevis, la brosse, la taloche, la brouette, le râteau, … que du matériel manuel. Là où je voyais des mômes de 6° et 5° me dire leur envie d'être ENFIN en 4°, pour ENFIN travailler (je reproduis exactement ce que me disaient des élèves, c'est tout, je n'invente rien) – et, une fois en 4°, la plupart se mettaient effectivement au travail, je dois désormais les brider, les écœurer, les détourner, les occuper, les amuser, les divertir, faire semblant de professionnaliser des activités où dans le meilleur des cas, ils vont utiliser un tournevis, un rouleau à peinture, …. alors que dorment des machines dites « dangereuses ». C'est le coup classique du chien accusé d'avoir la rage, pour mieux l'abattre, pour justifier sa mise à mort.
Et le PLP se voit rabaissé à un rôle de « bricoleur « , puisque qu'en plus de l'interdire de pratique, l'institution le somme de brasser tous les métiers du bâtiment. Le PLP devient par la grâce de je ne sais qui (et dans l'obligation de le faire!), un super-expert dans tous les métiers du bâtiment. Électricité, plomberie, isolation, charpente, maçonnerie, menuiserie, …. bref, j'enfile ma tenue de Super-expert en tout. Sans bien entendu le recul nécessaire de l'expérience et de la pratique professionnelle, puisque du point de vue de l'institution, je dois être capable de le faire Et surtout OBLIGÉ de le faire.
Je rappelle en passant qu'un métier s'apprend. Et que tous les métiers du bâtiment demandent une formation spécifique et particulière. Mais qu'importe, après tout, ce n'est pas la première fois que des enfants gâtés cassent un jouet qui marche bien. Quitte à casser du PLP et à détruire ce qui fonctionnait très bien. Ce n'est pas du tout le problème de nos « élites » qui moulinent du discours et jamais ne questionnent les actes et décisions qu'ils nous imposent, jamais ! De parfaits petits robots, des fonctionnaires qui obéissent, carrière oblige.
Je me souviens du passage de France-Télécom à « Orange », de l’entreprise de mission de service publique au privé. De tous ces cadres, soumis à des « managers » arrogants et imbus de leur pouvoir, qui se sont vu signifier qu'ils devaient cesser immédiatement de travailler « comme avant », c'est à dire de faire ce qu'ils savaient faire, au nom d'un changement « d'esprit d'entreprise ». Les mises au placards, les missions absurdes, les humiliations au quotidien.... bref, le si glorifié « esprit d’entreprise » qui en a mené certains à la dépression, au suicide.
Sans aller aussi loin (encore que question humiliation et violence, je sais désormais de quoi il est question), je dois dire que j'ai encore en tête les propos d'un IET (inspecteur technique) qui nous a dit, en réunion « Oubliez les vieilles méthodes de travail » - les dites « vieilles méthodes » étant celles où je pouvais confier des responsabilités importantes à des jeunes de 14 / 15 / 16 ans, leur montrer qu'ils étaient dignes de confiances, les accompagner un peu (autant que je pouvais le faire) sur ce chemin difficile du passage de l'enfance à l'âge adulte dans le cadre scolaire qui, jusque là, n'avais pas été un terrain de réussite pour eux, où ils n'avaient pas été reconnus pour leur réussite.
Au moins, l'avantage des ateliers, c'est celui de la nouveauté : pas de passé, pas de passif. Du concret, de quoi y rattacher du général (maths, français, …) - je simplifie pour faire court.
Je dois désormais conjuguer le verbe au passé. C'était la nouveauté.
Quand je parle de cette régression, quand j'évoque cette interdiction stupide avec des artisans (qui sont les premiers employeurs de nos élèves), ils me regardent bizarrement, presque avec compassion. Mais leurs propos vis-à-vis de l'Educ Nat ne sont pas tendres. J'aimerais bien organiser une confrontation entre ces artisans des métiers du bâtiment et nos inspecteurs, juste pour voir....
Je vous lis souvent, n'intervenant jusqu'à présent jamais. J'aimerais que vous ne tombiez pas dans le piège de la division un peu caricaturale, je ne suis pas responsable du blocage à 21 h de votre temps de service. Je sais que les PLP en SEGPA ont bénéficié des luttes des PLP en LP pour la diminution du temps de travail, pour passer de 26 h à 18 h, sur 3 ou 4 ans (je ne me souviens plus exactement).
Que cette diminution a aussi concerné les PE, jusqu'au blocage à 21 h. Que des promesses ont été faites, pour poursuivre jusqu'à 18 h ? Que les promesses.... Que les quelques PE que je connaissais à ce moment se sont sentis très satisfaits de cette mesure, qu'en même temps ils changeaient de statut (d'instituteurs à PE), avec certes un allongement de carrière, mais un bonus indiciaire aussi (bien qu'étant inférieur à celui des PLP et autres profs du secondaire). Que la division est le meilleur rempart à tous les pouvoirs, quels qu'ils soient.
Et non, je ne m'en désintéresse pas. S'il y a des actions à mener, je serais présent à vos côtés. Personnellement (mais je suis isolé sur ce point dans la SEGPA où je travaille),
je serais pour la menace de ne plus assumer / assurer bénévolement les missions de professeur référent. Je l'ai fait pendant toutes ces années (l'an prochain, j'entame ma 30e année en SES / SEGPA : première rentrée scolaire en septembre 1985 !), en 4° et en 3°. Je sais l'ampleur de la tâche, ses exigences, ses contraintes. Je sais aussi à quel point c'est difficile en classe de 3°. Ni modeste, ni l'inverse, j'ai une certaine pratique et je sais comment faire pour ne pas trop me planter. Je ne discoure pas avec les familles (quand elle sont présentes), je leur parle, avec franchise et clarté. Je sais que les familles me respectent, se parlent entre elles et savent à qui elles ont à faire, je suis très impliqué par cette partie (bénévole) de mon travail, je me dis que je n'ai finalement des comptes à rendre qu'aux élèves et aux familles et quand un projet abouti, je suis très fier de ma participation et de mon travail (je me le dis, car personne dans cette administration hiérarchise, cloisonnée et infantilisante ne me le signifiera jamais !). Comme j'ai absolument besoin de travailler avec les familles, je fais ce que je peux pour être sincère (le plus possible), direct et précis, afin de m'assurer de leur participation et de leur aide. C'est ce que je leur dis, j'ai besoin d'eux, leur enfant à besoin d'eux.
Ne plus assumer / assurer les missions de professeur référent ne semble pas présenter pour nous le risque de se voir retirer des portions de salaire, vu que nous ne sommes pas payés pour le faire. (Encore que je vais perdre 2 / 30e de salaire pour refus de rattraper la journée de pré-rentrée scolaire 2 mercredis après-midis).
A partir de la rentrée prochaine, je refuserait définitivement toutes contraintes liées à l'exercice bénévole de professeur référent. En espérant y rallier mes collègues... Même si cette partie de mon travail est celle que je considère le plus, ce sera un crève-cœur, mais tant pis.
Mais voilà, dans ma petite SEGPA à la campagne, je suis isolé sur ce point. J'ai imprimé le rapport de novembre 2013 sur la scolarisation des élèves en difficultés, je l'ai évoqué en réunion, j'ai alerté mes collègues PE sur les dangers liés à la 6° « inclusive ».... sans que cela ne provoque la moindre réaction, ou alors quelque chose de bien timide.
En revanche, j'ai bien reçu la « plaquette » du SE-UNSA (très « sobrement » intitulée « La SEGPA, j'y crois » :
http://www.se-unsa.org/spip.php?article5844), « syndicat » tout entier voué à soutenir cette régression « inclusive » en classe de 6°. Superbe opération de com', tout ce fric dépensé dans une plaquette où la com' le dispute à la manipulation et à la démagogie.
Mais l'UNSA n'est pas le seul syndicat aveugle sur les SEGPA, ses élèves et le (tout petit) personnel composé de pions que nous sommes au yeux de la hiérarchie.
De votre côté, sachez que les PLP des métiers du bâtiment sont tous « morts » professionnellement. Je ne sais pas comment les PLP s'en sortent, personnellement, je suis en colère depuis 2006. Mais cette colère ne change rien. Je n'arrive pas encore à m'en débarrasser, alors qu'il faudrait. Il y a eu de la sidération, de l'absence de réaction, beaucoup d'isolement (les PLP sont encore très « à part » dans la structure SEGPA / collège et très éloigné des PLP de LP), pas de relais de la part des syndicats, une absence totale de prise en compte de cette mesure violente, un tel mépris de la part des « élites » que j'en suis encore à me demander s'ils savent ce qu'ils font.... bref, rien n'a bougé depuis 2006 alors que les motifs sont bien réels et puissants.
Edmond Kober, PLP « génie industriel, structures métalliques » SEGPA collège Jean Lurçat – 46400 Saint-Céré
(désolé d'être long)